Padre Pio, des stigmates à la canonisation.

L’apparition de la transverbération du cœur [1] comme les stigmates furent cachés pour éviter l’afflux de nombreux fidèles au monastère. Après la grande guerre les rumeurs de miracles se propagèrent et Padre Pio fut surnommé le « Saint de San Giovanni Rotondo ». Le Saint-Siège était très méfiant vis-à-vis des miracles qui étaient prêtés à Francesco Forgione. En 1923, le Vatican interdit même à Padre Pio de célébrer la messe en public et lui retira le droit de confesser le 9 juin 1931. Il fut par ailleurs soupçonné de fomenter un schisme. Pourtant, en avril 1948, il reçut la visite d’un jeune Polonais, Karol Wojtyla[2] qui fut un soutien indéfectible de Forgione.  

Une vénération confinant à l’idolâtrie attisait l’appétit des marchands du temple et agaçait l’Église très sceptique. Des théologiens et des médecins furent sollicités dont le père Agostino Gemelli, médecin et psychologue franciscain qui insinua qu’une pathologie mentale frappait Padre Pio et qu’il conviendrait de le placer en observation et d’éviter les contacts avec les fidèles. Ainsi, en février 1967, L’Osservatore della domenica[3] publiait un article intitulé « Vrais et faux stigmates » dans lequel était cité le cardinal Ottaviani[4]:  » L’Église ne veut certainement pas tenir cachées les choses merveilleuses accomplies par Dieu. Elle veut seulement ouvrir les yeux du fidèle sur ce qui vient de Dieu et sur ce qui ne vient pas de Dieu, et qui pourrait, au contraire, venir de son adversaire, lequel est aussi notre adversaire. L’Église est ennemie du faux miracle.« Il fallut attendre Paul VI pour que les mesures prises à son endroit fussent levées.

Pourtant, les foules se massaient dès 6 heures du matin pour assister à la messe au couvent et pour être confessées par le moine. Certains lui demandaient de veiller à leur vie intérieure, ils étaient ses fils et filles spirituels et devaient s’engager dans une conversion authentique, sincère en entreprenant un profond voyage dans la foi. Lors du second conflit mondial, Padre Pio affirma aux habitants de San Giovanni Rotondo qu’aucune bombe ne toucherait la petite ville. Il s’agissait pourtant d’une cible pour l’aviation alliée car un dépôt de munitions allemand était à proximité. Un auteur américain[5]franciscain du Tiers-Ordre écrivit« qu’aucun des avions alliés censés bombarder la région de San Giovanni Rotondo ne parvint à accomplir sa mission. Il y avait souvent de mystérieux dysfonctionnements et des problèmes mécaniques, et les bombes tombaient dans des champs déserts, ou les avions déviaient de leur cap… ». Un « moine volant » aurait même dissuadé un pilote de l’US Air Force de bombarder la ville. La santé de Padre Pio se dégrada et, en 1965, il fut autorisé à célébrer la messe assis. Ses blessures aux pieds et aux mains semblables à celles de Jésus en croix l’accompagnèrent dans son sacerdoce pendant cinquante ans, jusqu’au seuil de sa mort. Il mourut dans sa cellule le 23 septembre 1968 à l’âge de 81 ans. 

Lorsque Padre Pio fut porté en terre, la foule fut nombreuse à accompagner sa dépouille et certains imaginèrent voir son visage à une fenêtre. Sa « popularité » était telle qu’un procès en béatification eut lieu qui aboutit en 1999, puis il fut canonisé en juin 2002 par Jean-Paul II. Une église dédiée au saint fut construite et en 2010, la translation du corps de Padre Pio eut lieu de la crypte de l’église Santa Maria delle Grazie, vers la nouvelle église San Pio de Pietrelcina décorée par le père jésuite Marco Ivan Rupnik. Il repose désormais à l’abri de sa châsse[6] de verre, dans la crypte qui peut accueillir jusqu’à 800 fidèles simultanément.
Les vertus prêtées à Padre Pio, les signes surnaturels que comportait son corps et les pouvoirs qui lui étaient attribués contribuèrent à sa popularité. N’avait-on pas entendu le capucin s’exprimer parfaitement dans des langues ou des dialectes qui lui étaient inconnus ? N’avait-il pas lévité, ses pieds pouvant s’élever de 30 centimètres au-dessus du sol ? Ne lisait-il pas dans les pensées ? Ne devinait-il pas l’avenir ? 

Issu d’un milieu très modeste, il est l’incarnation d’un catholicisme populaire, le saint le plus estimé de la péninsule. On le retrouve partout dans les taxis, les boutiques, les loges de concierges, les sacs à main, les portefeuilles. Il est familier, proche, divin sans que ces sentiments soient toutefois dénués de superstition. Il est même parfois un symbole pour la frange conservatrice de l’Église italienne[7].  

Longtemps tenu en suspicion par l’Institution, il a bénéficié d’une spectaculaire rédemption. En effet, il fut l’acteur du jubilé de la miséricorde de 2016, sa dépouille et son masque furent exposés dans la basilique Saint-Pierre avec celle d’un autre capucin, le Monténégrin saint Léopold Mandic. Il fut alors l’image d’une Église qui était celle de tous les « blessés de la vie ».  Le Pape François affirma qu’à l’image de Padre Pio, le chrétien ne devait pas se lasser de « compter sur le Christ », et que les croyants devaient « diffuser la charité divine » pour changer la vie des autres. 

Si Padre Pio a lu des ouvrages de théologie, des vies de saints et des écrits mystiques, il n’était pas pour autant un intellectuel. En fait, ce qui attirait chez lui était son aptitude à lire dans les âmes. Pourtant Padre Pio n’était pas un confesseur d’une grande douceur. Il lui arrivait de se fâcher lorsqu’un fidèle oubliait de mentionner un péché important puisque Padre Pio aurait reçu le don de lire dans les consciences. Il fonda des groupes de prière dans le monde entier. Par ailleurs, il créa en 1956 un hôpital très moderne, la Casa Sollievo della sofferenza[8], dans une Italie du Sud peu dotée d’infrastructures sanitaires performantes.

Toutefois, le plus prodigieux miracle de Padre Pio est d’avoir permis à un bourg miséreux, perdu au milieu de la rocaille, de devenir un lieu de pèlerinage mondial, une ville forte d’un peu moins de 30 000 habitants. Ainsi, San Giovanni Rotondo est désormais un îlot de quasi plein emploi dans une région où le taux de chômage culmine à deux chiffres. Face au sanctuaire, l’hôpital fondé par Padre Pio, aujourd’hui géré par le Vatican, est le premier employeur de la ville, avec 2 500 salariés. 140 hôtels, de multiples boutiques de « souvenirs » sont au service de la dévotion et de la piété des pèlerins.  De multiples biographies telle celle de Yves Chiron[9] sont parues, des documentaires réalisés et un film d’Abel Ferrara [10] est sorti dans les salles. 

À l’évidence, Padre Pio demeure important pour nombre de personnes qui ont besoin d’alimenter leur foi par des interventions surnaturelles du divin, qui supposent que Dieu peut intervenir dans nos vies, par des manifestations exceptionnelles. 

Libre à chacun de crier au mysticisme, à la superstition, ou à vénérer le Saint des Pouilles. Croire relève du défi car il s’agit de croire sans voir ni savoir. Dieu n’est pas démontrable, il est affaire d’adhésion libre et ne peut être convoqué au tribunal de la raison et de l’intelligence. 

Érik Lambert.


[1] La transverbération comme l’indique la racine latine, désigne « l’action de transpercer, le fait d’être transpercé« . il s’agit d’une blessure physique provoquée par une cause immatérielle. La personne qui en est l’objet voit un personnage armé d’une lance flamboyante lui percer le flanc, comme le cœur de Jésus fut percé alors qu’il était mort sur la croix. Le cœur est touché et saigne de manière ininterrompue, plus particulièrement à certaines dates. Thérèse d’Avila évoqua un « dard enflammé » qui la laisse « enflammée de l’amour de Dieu ».  Une sculpture :  La Transverbération de Sainte Thérèse ou L’Extase de Sainte Thérèse de Gian Lorenzo Bernini, se trouve en l’église Santa Maria Della Vittoria de Rome. 
[2] Karol Wojtyla fraîchement ordonné, décida de rencontrer Padre Pio. « Je suis allé à San Giovanni Rotondo pour voir Padre Pio, assister à sa messe et, si possible, me confesser avec lui ». Cette première rencontre fut très importante pour le futur pape. Devenu évêque, monseigneur Wojtyla sollicita Padre Pio afin de prier pour une Polonaise, ancienne déportée mère de quatre filles, frappée par un cancer. Peu de temps après, l’examen préopératoire indiqua que la tumeur cancéreuse avait complètement disparu. Les liens entre le futur Pape et le capucin de San Giovanni Rotondo furent très ténus.
[3] Créé par Pie XI le 6 mai 1934 sous le titre L’Osservatore Romano della Domenica, qui devint L’Osservatore della Domenica en janvier 1951. La publication aspire à offrir une revue hebdomadaire de la vie religieuse et sociale, et de contribuer ainsi à rendre la diffusion de la presse catholique plus facile et plus rentable.
[4] Alfredo Ottaviani, né le 29 octobre 1890 à Rome et mort le 3 août 1979. Il fut secrétaire du Saint-Office, puis propréfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi entre 1959 et 1968.
[5] Frank.M.Rega, Padre Pio and America, qui publia aussi Amazing miracles of Padre Pio et The Truth about Padre Pio’s stigmata
[6] Il s’agit d’un coffre renfermant les reliques d’un saint. Du latin capsa signifiant caisse, boîte, cercueil.
[7] Il fut ordonné prêtre sous le nom de Padre Pio ou Père Pie, en référence à Pie V, le pape de la contre-réforme catholique.
[8]   https://operapadrepio.it/it/ La Maison du Soulagement de la Souffrance en français.
[9] Yves Chiron, Padre Pio, Vérités, mystères, controversesParis, Tallandier, 2019, 284 pages, 20,90 euros. Très sollicité par les radios et télévisions, Yves Chiron est proche des milieux traditionnalistes, a collaboré à Écrits de Paris, revue de collaborationnistes qui a sombré dans le négationnisme, à Rivarol et à Présent
[10] https://www.eklecty-city.fr/cinema/padre-pio-bande-annonce-shia-labeouf/