Notre vie peut être relue comme une longue succession de rencontres. Certaines n’en sont restées qu’au stade du balbutiement, d’autres nous ont laissé un goût d’inachevé ; quelques-unes, même, ont pu nous décevoir ou se sont soldées par un échec. Et puis…et puis, il y a toutes celles, programmées ou fortuites, attendues ou inespérées, qui ont été source de joie et d’émerveillement et qui nous ont marqués à jamais.
Nous vivons dans un monde où nous sommes continuellement en contact les uns avec les autres, pour autant, il n’est pas si simple qu’une relation devienne réellement « rencontre ».
Aller au-devant de l’autre, c’est aller au-devant de soi-même. C’est accepter de se laisser surprendre, ou bousculer, c’est s’ouvrir à d’autres horizons, d’autres terres à explorer. C’est, également, être prêt à dépasser tout ce qui peut, en nous, s’opposer à la rencontre : nos certitudes, nos préjugés, mais encore nos peurs, nos limites de toutes sortes, notre péché… « Au temps où j’étais encore dans les péchés, la vue des lépreux m’était insupportable. Mais le Seigneur lui-même me conduisit parmi eux ; je les soignai de tout mon cœur ; et au retour, ce qui m’avait semblé si amer s’était changé pour moi en douceur pour l’esprit et pour le corps. Ensuite j’attendis peu, et je dis adieu au monde. » (Test 1-3)
La rencontre de François et du lépreux est un chemin de conversion auquel nous sommes appelés, nous aussi. Ce changement intérieur radical est nécessaire pour ne pas rejeter l’autre d’emblée, parce que trop éloigné de notre univers, mais, tout au contraire, pour l’accueillir, dans le respect de sa différence, en se gardant bien de vouloir le juger, le dominer ou le posséder. La rencontre suppose donc une forme de désappropriation qui ne nous est pas naturelle et à laquelle nous ne sommes pas toujours disposés. C’est pourquoi cette conversion est sans cesse à reprendre.
La rencontre, c’est aussi l’apprentissage d’un dialogue sincère et confiant, dans lequel il devient possible d’affirmer ses convictions, avec douceur et sérénité, sans vouloir les imposer à tout prix, et qui se traduit par le regard bienveillant qu’on porte sur l’autre, par la qualité de l’écoute qu’on lui prête, par la patience qu’on lui témoigne. Soyons lucides, choisir cette voie, c’est consentir aux inévitables chutes et rechutes : il faut du temps pour tisser des liens, pour s’apprivoiser, à l’image du renard et du petit prince…
Lorsque le jeune homme riche vient à la rencontre de Jésus, le texte nous dit : « Jésus fixa sur lui son regard et l’aima. » (Mc 10,21) Le Christ a ce regard qui « scrute les cœurs et les reins », qui ne juge pas, ne condamne pas, mais qui sait discerner ce qu’il y a de plus profond chez son interlocuteur. Il le fixe avec intensité, avec un intérêt empreint de délicatesse et d’amour.
Or, nous sommes invités à adopter un tel regard : « Que chacun, chacune, surtout le plus démuni, puisse découvrir dans notre regard qu’il est unique et digne d’être aimé. » (Message final du rassemblement de la famille franciscaine « Fraternité 2000 « ), ce qui nous réclame de conformer notre façon d’agir et de penser à celle du Christ. (Projet de Vie 7)
Nous sommes des êtres nés pour la rencontre, même si celle-ci nous fait peur. Nous avons été créés par amour, pour donner et recevoir cet amour d’un même Père qui fait de nous des frères, c’est notre vocation.
Dès lors, rencontrer l’autre en vérité et en profondeur, c’est reconnaitre en lui un frère qui nous est donné à aimer et qui nous révèle la tendresse du Père. Un frère qui nous éveille à la rencontre de l’Autre, de Celui qui est présent et se laisse découvrir en toute créature, par dévoilements successifs ; chacun étant un reflet du visage de Dieu. « Chaque fois que nos yeux s’ouvrent pour reconnaître le prochain, notre foi s’illumine davantage pour reconnaître Dieu. » (Pape François, La joie de l’Évangile, 272) ;
« En tout homme le Père des cieux voit les traits de son Fils, premier-né d’une multitude de frères ; de même les laïcs franciscains accueilleront d’un cœur humble et courtois tout homme comme un don du Seigneur et une image du Christ. » (Projet de Vie 13)
Rencontre qui nous transforme et nous renouvelle pour nous faire advenir à nous-mêmes et renaître à la vie en Dieu. Eau vive qui seule peut étancher notre soif et qui féconde toutes nos rencontres humaines.
A tout homme, le Seigneur se manifeste et communique son amour pour qu’il devienne signe vivant de sa présence et témoigne à chacun que le Très-Haut est le « tout-proche ».
Il en est ainsi de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine, rencontre improbable et qui pourtant rejoint cette femme dans ce qu’elle a de plus intime, de plus secret. Rencontre qui la libère et l’ouvre à la vie offerte en abondance comme « une source d’eau jaillissant en vie éternelle ». Joie de la rencontre qu’elle ne peut retenir pour elle seule et qu’il lui faut partager aussitôt, suscitant ainsi d’autres rencontres. (Jn 4,1-42)
Dans l’attente de l’ultime et de la plus belle des rencontres, ne restons pas au bord du puits. Comme la Samaritaine, allons sans crainte au-devant de nos sœurs et de nos frères pour être parmi eux, et avec eux, des témoins lumineux de la présence et de l’amour de Dieu ; et ce qu’il y a de plus amer en chacun de nous pourra se changer « en douceur pour l’esprit et pour le corps ».
P. Clamens-Zalay