Les enjeux olympiques
Paris s’est fait une beauté pour accueillir les épreuves des jeux olympiques dans des instal-lations qui tarderaient encore à voir le jour s’il n’avait pas fallu recevoir les seize millions de visi-teurs et les dix mille cinq cents sportifs attendus. Ils pourront circuler dans des transports publics renchéris mais améliorés pour l’occasion, après quoi athlètes et journalistes réintégreront leurs logements miraculeusement sortis de terre dans une Île de France aux un million trois cent mille mal-logés — ou dans les chambres d’étudiants dont ceux-ci auront été chassés pour la bonne cause — sans que leurs promenades touristiques soient troublées par le spectacle des campe-ments, squats, familles à la rue, migrants, SDF, mendiants… préalablement évacués au cours d’une véritable opération d’épuration sociale. Allons, pas d’états d’âme : il y allait de « l’image de la France ! » que la misère ne gâche pas la fête. Mais que fêtons-nous, au juste : la paix et l’amitié universelles, vraiment ? Ou bien, comme l’affiche la mairie de Paris : ne fêtons-nous pas simple-ment « les jeux » dans une tautologie révélatrice d’un aveuglement sur l’état du monde ?
Les olympiades antiques célébraient, en l’honneur de Zeus, la trêve entre les cités grecques ; les nôtres sont fermées à des pays et accueillantes pour d’autres aux gouvernements pas moins critiquables, selon des critères contestés par beaucoup de nations. L’attribution de leur organisation à telle ou telle, régulièrement entachée de corruption, revient peu ou prou toujours aux mêmes qui en accaparent en outre les médailles, beaucoup d’autres s’en trouvant écartées par l’exigence d’un luxe toujours plus pharaonique et d’un professionnalisme hyper-technologisé et sur-médicalisé des athlètes. Leurs populations faire-valoir en sont réduites à rembourrer l’épais matelas de droits de diffusion, de publicité et de produits dérivés. Voilà de quoi douter de l’affichage d’universalisme et de désintéressement politique et financier de l’olympisme, et de quoi nourrir au contraire le soupçon qu’il affirme la domination des pays riches et de leur « culture », autrement dit celle d’un capitalisme occidental célébrant son triomphe planétaire. Le sport, raison d’être des jeux, finirait par ne sembler que prétexte à cette démonstration de puissance. Mais de quel sport parlons-nous ? Celui que l’on pratique partout de toute antiquité, exercices et jeux grandement bé-néfiques à l’éducation et à l’équilibre du corps et de l’esprit ; ou celui que l’on regarde, grandement rentable pour les gros clubs, les diffuseurs et la gloriole des chefs d’État en place, dont la finalité est l’or, la performance et la victoire à tout prix. Né en même temps que le capitalisme industriel anglo-saxon, il porte la marque de l’élitisme, du colonialisme, de l’âpreté au gain de ceux qui le codifièrent à leur mesure. Cette hérédité se manifeste aujourd’hui au grand jour dans le sport-spectacle devenu industrie, en particulier par le phénomène d’idolâtrie qu’il induit dans les popula-tions subjuguées par des « stars », lesquelles ne se préoccupent pourtant que de leurs tendons, de leurs muscles, de leurs carrières objectivement et parfaitement inutiles au prochain à qui elles prétendent servir de modèles, cependant que les involutions de nos sociétés organisées corps et âme autour du profit — éloignement des bienfaits naturels, sédentarité due au travail et à l’intoxication numérique, délitement du lien social — rendent plus nécessaire que jamais une saine pratique sportive telle que la décrivait Pie XII le 29 juillet 1945 : « Le sport bien compris est une oc-cupation de l’homme tout entier : tandis qu’il perfectionne le corps en tant qu’instrument de l’esprit, il transforme également l’esprit en un instrument plus affiné pour la recherche et pour la transmission de la vérité. Il aide l’homme à réaliser le but auquel doivent être subordonnés tous les autres et qui est le service et les louanges de son Créateur. »
Loin de cet idéal comme de l’amour du prochain, le sport-spectacle excite et incite des populations en mal de repères à se prosterner devant un veau d’or maquillé en pousse-ballon. « Plus vite, plus haut, plus fort » ; à quoi bon si l’on ne sait pas vers quoi et que l’on ne s’en soucie guère ?
Le comité de rédaction