L’intelligence des plantes
Biologiste de formation et botaniste de vocation plus tardive, Stefano Mancuso est le fondateur de la « neurobiologie végétale » et sa figure de proue depuis la publication en 2013 de « L’Intelligence des plantes » écrit avec l’aide de la vulgarisatrice Alessandra Viola. Son best-seller traduit en vingt-et-une langues reçut de nombreux prix, comme son auteur pour ses travaux audacieux qui en font le héraut de la révolte des plantes, réputées dépourvues de conscience et de sensibilité, contre la cruelle vanité esclavagiste de l’homme. Son combat est donc jumeau du combat animaliste en ce qu’il prône une idéologie où tous les ordres du vivant sont équivalents. Il est utile de lire ce livre pour mieux comprendre ce phénomène de vogue typique de notre époque où la mort de Dieu étant acquise, chacun s’évertue à l’enterrer plus profondément en l’effaçant de sa Création, ce qui suppose de rabaisser celui qui, étant fait à son image, en porte obstinément le témoignage : l’homme. Le plus tristement amusant dans cette tentative, c’est que la négation de Dieu paraisse un critère scientifique suffisant pour dispenser un Mancuso, par exemple, de s’assurer de sa méthodologie, et plus grave encore de la maîtrise des concepts philosophiques de base, si ce n’est de la pure logique trop souvent prise en défaut dans son livre. Par exemple : les plantes font des choix, c’est donc qu’elles sont intelligentes ; la preuve, elles font des choix ! Comme Mancuso prête de l’intelligence même aux amibes, on en vient parfois à souhaiter qu’elles le remboursent.
Le monde végétal, bien qu’il représente 99,7 % de la biomasse, est bien peu considéré par l’homme qui n’entre pourtant que pour une toute petite partie des maigres 0,3 % restant au monde animal. L’ingrat ne connaît que 5 à 10 % des végétaux dont il retire pourtant son pain, son vin, ses parfums, ses médicaments, ses matériaux de construction… et même ses énergies dites « fossiles » (de végétaux, rappelons-le). Stefano Mancuso y voit une injustice dont il se fait le pourfendeur, armé d’observations scientifiques qu’on espère mieux fondées que sa philosophie. Pour résumer grossièrement l’argument de départ, cette écrasante supériorité quantitative et la plus grande ancienneté du moindre brin d’herbe justifierait plus d’humilité (s’il est permis) de la part d’un homo sapiens ultra-minoritaire né de la dernière averse. Les critères du nombre et l’ancienneté appartiennent à un registre suffisamment puéril pour qu’on ne prenne pas la peine d’en relever l’insuffisance démonstrative ni l’idéologie douteuse. Quant à la dénonciation de l’exploitation dont les plantes sont victimes, c’est simplement oublier que le blé n’est pas boulanger, la vigne vigneronne, l’arbre charpentier, etc. et que Mancuso peut écrire un livre sur la pomme de terre mais jamais, et bien que ce soit infiniment regrettable, pomme de terre n’en écrira un sur Mancuso. À part ce qui semble être sa grande découverte — l’apex, ou extrémité sensible et « intelligente » de la racine — on n’apprend malheureusement pas grand-chose de plus que ce que l’on aura découvert en cours de sciences naturelles. Quoi ? Que le règne végétal est immobile, modulaire, c’est-à-dire qu’il est tout entier dans chacune de ses parties, tandis que la stratégie du règne animal est la mobilité afin de préserver une intégrité des organes qui est condition de survie. Et Mancuso de démontrer que le végétal accomplit exactement les mêmes fonctions que l’animal, dont l’homme, mais en mieux que lui (sauf que ce dernier ne s’en aperçoit guère parce que la temporalité végétale est beaucoup plus lente et décomposée). La plante est en outre dotée par le savant des mêmes sens, vue, ouïe, toucher, odorat, goût, malgré l’absence d’organe correspondant et de système nerveux central, plus une quinzaine d’autres d’une finesse interdite à nos grossières natures. Tout cela concourt à une puissante faculté de relation et de communication entre plantes et avec les animaux qu’elles savent utiliser pour leurs besoins, et prouve donc l’existence d’une intelligence végétale que Mancuso n’hésite pas à associer à l’intelligence artificielle, à un immense réseau Internet, à un futur dialogue avec les extraterrestres…
On espère que la science progresse dans la connaissance du monde végétal mis en danger par l’homme et pourtant vital à plus d’un titre pour lui comme c’est le mérite de ce livre de rappeler une telle évidence. Qu’il faille prendre plus de soin de la nature et s’en inspirer davantage en est une autre qu’il n’est nul besoin de fonder sur l’équivalence de l’homme avec ce qui permet sa subsistance. Une telle idéologie, sous couvert de réduire les particularités humaines à des caractéristiques partagées par tout le vivant, pratique en réalité un anthropocentrisme outrancier qui, s’ignorant lui-même, nuit considérablement à la recherche scientifique et n’encourage que le charlatanisme dont ce livre n’est pas loin de faire la publicité.
Jean Chavot