Edito Septembre

Un peu de décence, bon Dieu !

Les mœurs sexuelles semblent avoir beaucoup évolué depuis la Seconde Guerre mon-diale, avec une nette accélération au décours des Trente glorieuses (1968), suivie d’un plateau de confusion inquiète lié à l’épidémie de sida et d’une nouvelle et forte accélération dans ces deux dernières décennies, de l’instauration du PACS (1999) à celle du mariage homosexuel (2013) avec l’intensification des pratiques de procréation assistée qui s’ensuivit, tandis que l’on ob-serve conjointement la tendance d’une partie tapageuse du féminisme français à s’inspirer de l’agressivité obtuse de son homologue anglo-saxon, traditionnellement puritain, marqué par le wokisme « déconstructeur », la judiciarisation et la médiatisation à outrance (Me too, 2017).

Mais les mœurs ont-elles tant évolué que cela, ou s’agit-il d’autre chose ? La question est légitime, car notre époque n’a pas inventé l’amour — qu’on se le dise — ni aucune de ses formes. Pour peu que l’on cesse de s’imaginer à la pointe ultime d’une évolution à laquelle au-raient enfin abouti des millénaires de bestialité patriarcale, on voit qu’aucune des structures, des pratiques, des orientations, des paraphilies, des perversions sexuelles ne nous attendit pour exister. Nous avons pourtant l’absurde prétention anthropologique de croire que la sexualité, dans un sursaut évolutif de nos seules générations, se serait enfin affranchie du carcan des lois naturelles, de la religion, de l’ignorance de l’anatomie féminine, et pour finir de la distinction des genres. Il faut certes affirmer que la criminalisation de l’homosexualité était inadmissible, que les nouvelles possibilités de contraception étaient bienvenues, que le viol devait être sévèrement réprimé… Mais ces avancées sont très relatives car elles étaient déjà souhaitées ou effectives depuis des millénaires, et ne résultent dans leur effectivité nouvelle, bien sûr non-négligeable, que du secours de la science et du droit. On ne peut donc à leur sujet parler de « libération sexuelle » comme on l’entend couramment : ni prescriptions ni proscriptions n’ont jamais eu d’effet réel et durable sur ce qui se déroulait dans la chambre, l’alcôve ou le foin. Il suffit de feuilleter l’imposant « Manuel de folklore français contemporain » d’Arnold Van Gennep pour se convaincre que nos aïeux n’auraient rien appris de nous. Ce que nous appelons libération n’est tout au plus que l’annulation des traces de l’hypocrite puritanisme bourgeois du XIXè siècle, déjà d’inspiration anglo-saxonne et protestante, avec malheureusement le concours de l’Église. La prétendue révolution sexuelle, théorisée par Wilhelm Reich entre deux guerres dans le cadre d’un « freudo-marxisme » doublement contestable et contesté, n’a donc de réalité que dans le discours. Mais ça n’a rien de rassurant : à notre époque où les classes dominantes ont la mainmise sur les instances politico-médiatiques, le discours a la fâcheuse tendance à se substituer à la réalité. Or, quelle « révolution » voyons-nous se produire : la sortie de la sexualité du périmètre de l’intime où la cantonnait et la protégeait la simple décence ; la dangereuse intrusion de l’État outrepassant son rôle pour statuer sur les mœurs ; l’explosion de la pornographie en tant que telle et inondant par ailleurs la publicité, le cinéma, les clips, etc. de ses représentations hautement nuisibles à l’imaginaire, notamment des enfants ; la proclamation de sa différence sexuelle (tout en revendiquant que cela ne fasse aucune différence) comme premier critère de son affirmation personnelle assorti de l’injonction, au nom de la liberté, qu’il soit entériné par tous sans discussion ; le dévoiement d’un féminisme oublieux qui n’est plus rien dès lors qu’il cesse d’être un humanisme ; l’addition périodique d’une nouvelle entrée au sigle LGBTQIA+, si bien que la sexualité, pourtant seul de nos instincts à nous porter vers l’autre, tendrait à replier l’individu sur sa particularité, de sorte qu’il faudrait bientôt inventer dix milliards de lettres : une par personne.

Les catholiques ont une parole heureuse et salvatrice à prononcer sans crainte sur les sujets de la sexualité. Il est temps de relever la tête, le rapport de la Ciase ne doit pas nous la courber indéfiniment, pas plus que l’intransigeance révolue d’un clergé plus dispensateur de leçons que de pardon. Mais ne succombons pas pour autant aux séductions d’un prétendu progressisme qui se définit lui-même par la négation des vertus éternelles auxquelles nous croyons, au premier rang desquelles la décence est inséparable de la charité. En quoi la décence consiste-t-elle, sinon à s’abstenir d’exposer et d’imposer au public ses inclinations et ses fonctions privées ? Sortir la sexualité du périmètre de l’intime sans aucune symbolisation ni compréhension de sa valeur spirituelle, qui est de manifester l’amour, c’est ruiner les fondements mêmes de la civilisation, c’est fractaliser l’humanité en une poussière d’individus sans avenir. Nous nous y refusons : l’humanité est une ou elle n’est nulle part.

Le comité de rédaction