N’ayons pas peur
La mondialisation qui suivit l’écroulement du bloc soviétique nous fut présentée comme l’aube d’une ère de paix garantie par les grandes démocraties occidentales — les USA triomphants et leur alliée déférente, l’Europe unie alors en pleine extension — assortissant leur promesse pacifique de celle d’une abondance pour tous les peuples à laquelle pourvoirait le libre marché mondial. Force est de constater après trente-cinq ans de globalisation menée tambour battant qu’il n’en fut rien, qu’au contraire, localement comme internationalement, injustices et inégalités se sont notoirement accentuées, les conflits se sont intensifiés et multipliés, et les grandes puissances toutes désormais acquises aux dogmes du profit capitaliste s’affrontent de plus belle pour la suprématie impérialiste. Elles ne peuvent le faire directement sans risquer un embrasement qui signerait la fin du monde — et pire encore : la fin des affaires. Elles s’y livrent donc en jouant avec le feu sur le terrain de conflits régionaux, certes dévastateurs, mais circonscrits, où de plus faibles s’entretuent par millions en pensant défendre des causes qu’ils jugent nobles quand, tout bien pesé, le ressort déterminant d’une telle multiplication de violence et d’horreurs est la prédation ultra-libérale des plus forts en concurrence pour la domination du monde : USA décadents qui s’obstinent à croire encore à leur hégémonie, Europe suiveuse qui s’essouffle dans sa course à l’échalote, Chine et Russie en tête de gondole de ce qu’on appelle « le Sud global », qu’il serait plus franc de nommer « pays de Cocagne du bon temps des colonies ». Si l’on veut bien y songer un moment loin de la propagande servie par les médias qui pousse à choisir un camp avec sa logique absurde, partiale et mensongère de bons et de méchants, rien n’empêcherait ces mêmes grands pays d’employer leur puissance opulente à éteindre les conflits plutôt qu’à les alimenter en armes, en tactiques et au besoin en prétextes, voire à les provoquer avec des alibis humanitaires et démocratiques indécents. On découvrirait alors deux choses : une, que les bombes ne tombent jamais là où il n’y a pas de pouvoir à prendre et de pactole à ramasser ; deux, puisque les massacres lointains nous émeuvent si moindrement : que nous aussi, spectateurs qui applaudissons ou déplorons derrière nos téléviseurs, nous ne sommes pas à l’abri d’être appelés à tuer et à nous faire tuer, pour peu que ceux qui de haut nous gouvernent jugeraient opportun que la guerre les confirme dans leur domination vorace.
Ce tableau peut paraître simpliste ; en effet, beaucoup de paramètres interviennent dans l’actuelle situation globalement explosive : réchauffement climatique, surpopulation, héritage colonial, corruption locale, épuisement des ressources… et chaque situation particulière a ses spécificités et sa complexité. Pourtant, afin d’agir en bienheureux artisans de paix, il nous faut identifier les causes profondes de la guerre dans leur grande et tragique simplicité uniforme : la convoitise et la domination insatiables qui engendrent injustice et violence. Il nous faut les identifier en nous, fils de Caïn, tant ces penchants que Satan flatta en vain pour tenter Jésus au désert sont terriblement humains, et rendre la charité plus forte en nous afin de nous en guérir par l’amour du prochain, ami comme ennemi, car il n’y a aucun mérite à aimer ceux qui nous aiment (Marc 5:46). Il nous faut également et indispensablement les identifier dans la société afin de l’en guérir par le partage équitable et la juste exploitation raisonnée des richesses naturelles que la création met à notre disposition commune, et par le respect indissociable, égal et absolu de toute vie de la naissance à la mort. Rappelons-nous le Psaume 84 : « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent. » Le combat pour la paix, d’une âpreté et d’une difficulté infinies, est celui du bien contre le mal, dans lequel le bien s’interdit par nature et par choix d’utiliser les mêmes armes de violence, de mensonge, de domination et d’injustice. Il commence par la recherche obstinée de la vérité en son âme et conscience et se poursuit par l’écoute, le dialogue, la compréhension de la souffrance de l’autre, tel François avec le loup de Gubbio ou avec le Sultan à Damiette alors que deux armées se font face. Il demande un courage extraordinaire pour ne pas fuir comme pour ne pas laisser la peur nous convaincre que la violence est le seul recours, pour rendre à César ce qui est à César — une ridicule effigie sur un rond de métal — et contribuer au seul trésor qui est dans les cieux. « Si quelqu’un te frappe sur une joue, tends-lui aussi l’autre joue » (Luc 6:29) ; au contraire d’une injonction à la soumission, ce conseil est une exhortation à ce que le mal déteste à en mourir : qu’on lui tourne le dos pour avancer résolument vers la vérité qui est Paix et Bien.
Le comité de rédaction