Un livre

S.Hanihina, Le Tube de Coolidge, Paris, Lattès, 2024, 288 pages, 20 €.

Le Tube de Coolidge, un titre singulier. Il ne s’agit pas d’un ouvrage permettant à un ancien Président des États-Unis de sortir de l’ombre dans laquelle l’a plongé la marche du temps mais du roman d’une enfance douloureuse qu’un tube constitué d’une ampoule de verre et d’un filament de tungstène a exhumée. Des clichés radiographiques et des diagnostics médicaux vieux de plusieurs années font surgir un passé enfoui dans les nimbes de l’esprit. Le souvenir d’une histoire d’amour qui plonge dans l’horreur des violences. La rencontre en 1966 d’une jolie Européenne avec un adonis tunisien. Un mariage qui augure une vie heureuse. Mais là s’arrête le rêve, le jeune Tunisien, ambitieux, devenu médecin, souffrant du racisme d’une France des années 1960 en pleine décolonisation fuit sa famille, plonge dans les addictions de tous ordres, ne réapparaissant que pour susciter l’angoisse, pour violenter et abandonner à nouveau les siens. Entre France et Tunisie, c’est la descente aux enfers. Ce livre ne relate pas des souvenirs d’enfance mais plutôt des souffrances et de rares éclairs de joie. Triste récit intime qui pourrait contribuer, à l’aube de la maturité, à exorciser une jeunesse blessée. La résilience passe peut-être par ce roman. Au fil des pages, le malaise ne cesse de gagner ; l’air noir, celui des ténèbres, de la nuit, de l’enfer, du diable court tout au long du récit. Une mère qui espère toujours, malgré les coups, en un amour illusoire chimérique ; un frère victime qui plonge dans le mutisme. Mona seule échappe au bourreau, mais nourrit un sentiment de profonde solitude que le morne silence des grands-parents ne peut endiguer.
Lorsque l’enfance fut un long fleuve tranquille, il est difficile d’imaginer ce que certains ont vécu. Lorsqu’on les côtoie, il est souvent ardu de comprendre certaines de leurs réactions, de leurs silences, de leurs regards, de leurs attitudes… Sonia-Mona bouleverse le lecteur qui, désormais, met un visage sur l’enfer que certains, voire beaucoup, ont enduré durant nombre d’années. On ne sort pas indemne après avoir lu Le Tube de Coolidge mais on sait que l’on a grandi en humanité. On espère que, pour Mona/Sonia, ce roman contribuera à une certaine résilience, à un apaisement sur le chemin d’une vie qui est encore longue et qui lui permettra peut-être de retrouver, sinon Elyas/Mehdi, du moins son souvenir. Ce livre est une pépite ciselée par des phrases courtes mais tranchantes, dans lesquelles se glissent des expressions arabes et berbères, servie par un vocabulaire précis et des paroles jaillissant d’un cœur meurtri à jamais. La colère jaillit à chaque ligne.
Un roman bouleversant à lire !

Érik Lambert.