Une telle phrase, sortie de son contexte, peut nous surprendre et nous paraître, aujourd’hui, bien présomptueuse… Que voulait donc exprimer sainte Claire en la prononçant au moment de mourir ? S’adressant à elle-même, elle dit à son âme : « Pars en toute sécurité, car tu as un bon guide pour la route ; pars, car celui qui t’a créée t’a aussi sanctifiée ; il t’a toujours gardée et aimée d’un tendre amour, comme une mère aime son fils. Sois béni, Seigneur, toi qui m’as créée ! » (Vie 46)
Dans ces derniers mots, Claire rend grâce au Seigneur de lui avoir fait présent de la vie, mais, plus encore, elle loue son Créateur, Celui qui l’a façonnée avec amour et lui a donné place au sein de la Création.
A aucun moment, elle ne cherche à tirer orgueil de ce qu’elle est par elle-même. C’est bien plutôt un gage d’humilité : Claire se reconnaît comme créature, voulue et modelée à l’image et à la ressemblance de Dieu ; c’est ainsi qu’elle peut s’accepter et aimer en elle ce que le Père a déposé.
C’est le sens même du psaume 138 : « C’est toi qui m’as formé les reins, qui m’as tissé au ventre de ma mère ; je te rends grâce pour tant de prodiges : merveille que je suis, merveille que tes œuvres. » (Ps 138, 13-14)
Claire ne diffère pas de François, lui qui « se réjouissait pour tous les ouvrages sortis de la main de Dieu », « remontait jusqu’à celui qui est la cause, le principe et la vie de l’univers », et « poursuivait à la trace son Bien-Aimé en tout lieu de sa création » (2 Cel 165). Elle, aussi, a cette capacité à percevoir en toute créature la tendresse et la bonté du Créateur pour chacune de ses œuvres. Ainsi peut-on lire dans le procès de sa canonisation : « Lorsque la très sainte Mère envoyait au dehors les sœurs quêteuses, elle les exhortait à louer Dieu chaque fois qu’elles verraient de beaux arbres fleuris et feuillus ; et elle voulait qu’elles fissent de même à la vue des hommes et des autres créatures, afin que Dieu soit loué pour tout et en tout. » (Pr 14,9)
Cette intimité avec le Père, elle l’expérimente également dans sa contemplation du Christ. Comme elle l’écrit dans ses Lettres à Agnès de Prague, le Christ est le miroir qui rend visible le Seigneur Dieu, il est « la splendeur de la gloire éternelle, l’éclat de la lumière éternelle et le miroir sans tache. » (4 LAg 14) Dans sa 2ème lettre, elle exhorte Agnès à regarder le Christ, à le méditer, à le contempler et à n’avoir d’autre désir que de l’imiter. Le contempler, c’est se laisser transformer par lui, en lui. C’est devenir à son tour miroir pour les autres, reflet de la divinité dans ce monde et pour ce monde. « Pose ton esprit devant le miroir de l’éternité, pose ton âme devant la splendeur de la gloire ; pose ton cœur devant l’effigie de la substance divine et transforme-toi tout entière par la contemplation en l’image de la divinité elle-même ». (3 LAg 13-14)
Sœur Aimée dira de Claire: « …lorsqu’elle revenait de l’oraison, son visage paraissait plus clair et plus beau que le soleil ». (Pr 4, 4)
Comme dans toute existence humaine, Claire a connu des difficultés et des souffrances, mais l’espérance et la joie l’ont toujours animée. Joie et allégresse de se faire la servante du Seigneur, joie de suivre les traces du Christ jusque dans sa pauvreté et son humilité. « O bienheureuse pauvreté, qui prodigue des richesses éternelles à ceux qui l’aiment et la pratiquent ! O sainte pauvreté, en échange de laquelle Dieu offre et promet formellement le Royaume des cieux, la gloire éternelle et la vie bienheureuse ! O chère pauvreté, que le Seigneur Jésus Christ a daigné préférer à toute autre chose, lui qui, de toute éternité, régnait sur le ciel et la terre, lui qui a parlé et tout a été fait ! » (1 LAg 15-17) N’avoir rien en propre, se libérer de toute attache, de toute entrave, pour marcher sûre, joyeuse et alerte, d’un pas léger, d’une course rapide sur le chemin de la Béatitude (2 LAg 12-13). Ainsi peut-elle aimer totalement celui qui s’est livré tout entier par amour, celui qui est le seul Bien, le Bien total.
En femme de conviction, elle a dû batailler ferme pour obtenir du pape le privilège de la pauvreté, privilège qu’elle a le bonheur de recevoir peu avant de s’éteindre.
Au moment de quitter ce monde, sa joie devient un chant de louange pour celui qui l’a créée, qui l’a toujours accompagnée et qui l’aime comme une mère aime son enfant. C’est donc dans la joie et la confiance qu’elle s’apprête à rejoindre le Père. Ses dernières paroles sont une action de grâce pour son Créateur, dont l’amour transfigure toute chose et tout être et qu’elle va pouvoir contempler, éternellement, non plus dans le miroir mais dans le face à face.
Qu’à l’exemple de Claire et de François, nous puissions nous aussi, chaque jour, louer le Seigneur dans toute sa Création et le bénir pour tous les bienfaits dont il nous a comblés, faisant de chacun, chacune, un être unique, une merveille, un reflet de l’amour miséricordieux du Père, Lui, « le dispensateur de la grâce ».
P. Clamens-Zalay