Edito Décembre

La prière franciscaine

François d’Assise apparut à ses contemporains comme un homme de prière : « La prière-faite-homme », dira l’un de ses biographes. Sa prière est louange gratuite et action de grâce, tout du moins sa prière exprimée, car la prière d’adoration, gratuite par essence, est silencieuse, et quand elle atteint vraiment son objet : proprement ineffable. Si la prière est notre relation consciente à Dieu, alors la prière « gratuite » est notre seule vraie prière, ou plus exactement la perfection de notre prière.

Tant que nous sommes empêtrés de nous-mêmes, de nos besoins, de nos désirs, de nos soucis… nous sommes à notre place de créatures totalement dépendantes. En affirmant cette dépendance par la manifestation de nos désirs, nous voudrions que les actions divines s’y conforment. Notre prière est alors intéressée. Mais quand nous contemplons Dieu en lui-même, découvrant son amour « qui ne veut et ne fait que le Bien » dans l’acte par lequel, éternellement, il aime et engendre son Fils, nous percevons que le Père nous aime éternellement dans son Fils en qui il a aimé et voulu tous les êtres, et dans son Esprit, le Don suprême. Alors nous découvrons admiratifs que toute l’histoire du Salut est exprimée dans l’Incarnation de son Fils et nous ne pouvons que soupirer avec François : « Qui es-tu Seigneur, et qui suis-je ?…» Cette expérience spirituelle nous renvoie vers le monde que nous contemplons avec un regard purifié, elle sollicite de nous une compréhension et une action nouvelles envers les créatures éternellement aimées de Dieu qu’il nous propose comme des dons. À commencer par nous-mêmes, notre propre existence, notre propre histoire à l’intérieur de l’histoire des hommes. L’esprit évangélique, l’esprit d’enfance qu’il faut pour entrer dans le Royaume, c’est aussi s’aimer soi-même par amour pour Dieu et s’émerveiller de ce premier don. La prière nous pousse à une bienveillance et une admiration fondamentales pour tout ce qui nous est donné par Dieu, qu’il nous faut respecter, partager gratuitement et dans l’action de grâce. La prière de gratuité s’adresse à Dieu, elle attend de lui seul ce qu’il lui plaira de donner. En ce sens, la prière de demande peut être une prière de gratuité, pourvu que l’on soit toujours disposé à recevoir son Esprit-Saint qui seul, comme le dit Paul, « sait prier comme il faut », c’est-à-dire selon le vouloir de Dieu. Parfaite illustration de cet enseignement, François d’Assise nous a légué la très belle Oraison qui clôt sa lettre à tout l’Ordre : « Dieu tout-puissant, éternel, juste et bon, par nous-mêmes nous ne sommes que pauvreté ; mais toi, à cause de toi même, donne-nous toujours de faire ce que nous savons que tu veux, et de vouloir toujours ce qui te plaît ; ainsi nous deviendrons capables, intérieurement purifiés, illuminés et embrasés par le feu du Saint- Esprit, de suivre les traces de ton Fils notre Seigneur Jésus-Christ, et, par ta seule grâce, de parvenir jusqu’à toi, Très-Haut, qui en Trinité parfaite et très simple unité, vis et règnes et reçois toute gloire, Dieu tout puissant dans tous les siècles des siècles. Amen ».

La prière gratuite est christique, filiale, spontanée, constante, libre, sans complication ni méthode, car elle se laisse guider par l’Esprit Saint. Humble, elle se sait émaner d’un pécheur qui ayant tout reçu ne saurait rien revendiquer. Admirative, confiante, elle est prête à tous les recommencements. C’est le sens de l’invocation à la prière du Christ et de l’Esprit, dans la grande action de grâce de la première Règle : « Indigents et pécheurs que nous sommes tous, nous ne sommes pas dignes de te nommer ; accepte donc, nous t’en prions, que Notre Seigneur Jésus-Christ, ton Fils bien-aimé en qui tu te complais, avec le Saint-Esprit Paraclet, te rende grâce lui-même pour tout, comme il te plaît et comme il lui plaît, lui qui toujours te suffit en tout, lui par qui tu as tant fait pour nous. Alleluia ! » (1R 23, 5)

Fr. Luc Mathieu, ofm