Un film

Conclave d’Edward Berger avec Ralph Fiennes, Stanley Tucci, John Lithgow, Sergio Castellitto, Lucian Msamati.
Durée : 2 heures.

Curieux destin d’un film intitulé Conclave, ce qui ne paraît guère habile pour attirer les foules. Pourtant, 600 000 spectateurs sont allés assister à la projection de cette production, qui, comme l’étymologie latine cum clavis -fermé à clef- suppose l’isolement complet des cardinaux électeurs pendant toute la durée de l’élection du pape, et ce, depuis le XIIIe siècle. Le Pape est mort, vive le Pape ! 

Or, les hostilités ne font, en réalité, que commencer. Adaptation du roman éponyme[1] du britannique Robert Harris, auteur à succès, puisant l’inspiration dans les arcanes de l’Histoire[2]. Le personnage principal de ce thriller qui foisonne de robes cardinalices rouges ponceau, rappelant le sang versé par le Christ et les martyrs, de camails et rochets, de calottes et barrettes, est le Doyen du Sacré-Collège réuni pour élire le successeur de Saint-Pierre. Ce rôle est tenu par un remarquable Ralph Fiennes qui doit porter sa croix, affronter tous les camarillas, débusquer tous les silences, turpitudes, simonies et autres secrets qui pourraient perturber l’élection du Souverain Pontife. Lui-même rongé par le doute sur sa foi et sur sa légitimité dans la fonction qui est la sienne, le discret et efficace cardinal Lawrence, est en charge de l’organisation de l’élection du successeur du Pape défunt. Lourde charge logistique, étouffante gestion des ambitions, des compromissions, des palinodies des uns et des autres et tout cela au nom de Dieu. Tous semblent dévorés par le démon du pouvoir. Les journées qui précèdent le conclave voient arriver des quatre coins du monde les cardinaux qui apprennent à se connaître, échangent afin d’identifier le profil qui conviendrait à l’Église. Puis, le conclave s’installe dans la chapelle Sixtine au chant du Veni creator Spiritus. Les portes se ferment et le secret est désormais absolu. Le Doyen découvre petit-à-petit que le Souverain Pontife défunt lui avait caché beaucoup et ce, jusqu’à l’ultime et surprenant dénouement. Au crédit de ce film, on peut apprécier une intrigue à suspense savoureuse et ensorcelante, servie par la bande originale à la sonorité angélique et cristalline du Cristal Baschet, composée par Volker Bertelmann. La photographie est somptueuse, les décors magnifiques même si la résidence qui accueille les prélats respire la lugubre froideur stalinienne des marbres de la « Casa Santa Marta’. La découverte des mystérieux secrets du Vatican, du cérémonial successoral détaillé repose sur un éblouissant jeu d’acteurs mené de main de maître par Ralph Fiennes désormais « oscarisable ». 

Conclave semble s’être donné pour projet de dévoiler les arcanes et les luttes de pouvoir au sein du Saint-Siège. Dénonçant les certitudes « grand ennemi de l’unité, ennemi mortel de la tolérance », certitudes qui écartent le doute, donc le mystère, donc la foi ; Edward Berger dévoile sa pensée. 

Sans doute trop soucieux de dénoncer les contradictions, les faiblesses de l’Église ; les péripéties se succèdent et frisent parfois le grotesque voire l’invraisemblance. Ainsi, l’affrontement entre les conservateurs et les progressistes en appelle au discours extravagant d’un cardinal italien, alors qu’un attentat islamiste est convoqué, suppléant l’Esprit Saint pour éviter que le vote n’accouche d’un compromis funeste. La place même des femmes-religieuses, présentes pour servir en silence cette assemblée totalement masculine manifeste également la dimension « militante » de ce « thriller d’Église » bien mené et captivant. La gravité, la morne humeur des protagonistes, la triste humanité des cardinaux, la sombre lutte de pouvoir dans l’Église, le rituel suranné, le déploiement de privilèges éculés et la richesse qui semble transpirer, risquent fort de combler les contempteurs de l’Église et de surprendre les indifférents qui trouveront étrange cet univers si loin d’eux. Et si finalement la sphère religieuse recluse derrière les murs de la cité vaticane était secouée par les mêmes passions que celles du monde profane ?

Érik Lambert


[1] Conclave, Plon, 2016.
[2] Rome antique avec une trilogie Imperium sur Cicéron, la seconde Guerre mondiale Enigma et Fatherland, l’URSS-Russie avec L’Archange, …