En novembre 1225, Antoine fut invité à assister au concile provincial de Bourges. L’objet de cette réunion, présidée par un légat du Pape, était de chercher le moyen de ramener la paix en Languedoc, troublé par les Albigeois, cathares de la région d’Albi, et les querelles entre les princes. Frère Antoine dénonça les causes profondes du conflit qui ravageait le Languedoc : causes religieuses, entretenues par les agissements des Albigeois ; causes sociales, dues à la soif de richesses et d’honneurs des princes du royaume, dont la plupart des sujets vivaient dans la pauvreté ; enfin causes morales, qui selon lui, n’étaient pas les moindres. Il dénonça les mauvais exemples donnés en ce domaine par certains membres de la noblesse, mais aussi du clergé. Fustigeant le comportement de Simon de Sully, archevêque de Bourges, qui appréciait peu les fraticelli[1] ; il reprocha aux évêques, avec des arguments bibliques, leur vie mondaine et luxueuse, et invectiva ceux d’entre eux qui n’avaient pas su ou pas voulu protéger leurs brebis des dangers de l’erreur. Bouleversé par cette parole de feu, Simon de Sully avoua ses fautes en une confession sincère. Antoine prêcha en terre cathare[2], convertit les hérétiques de Rimini et un impie du nom de Bononillo.
Le 30 mai 1227, il fut nommé supérieur de la fraternité franciscaine du Nord-Italie, envoyé à Rome par le provincial de Sicile, pour assister au grand conseil général. Le pape Grégoire IX[3], émerveillé de son savoir, le surnomma alors « Arca testamenti » tant son exégèse de la Bible était inspirée, souhaitant même le conserver auprès de lui.
À partir de 1229, atteint d’hydropisie[4], il se fixa dans la région de Padoue où les foules furent si nombreuses pour goûter à ses sermons que l’église locale s’avéra trop petite, poussant Antoine à prêcher dans les prés. Il passait de longues heures au confessionnal et se réservait des moments pour se retirer dans la solitude. La période des miracles peints par Le Titien, Donatello, Van Dyck, Pérugin, Rubens, … sembla commencer à la fin des années 1220.
Travaillant beaucoup, il était très fatigué, affaibli. Sa santé s’avérait fort précaire. Le cardinal Raynaldo Conti, évêque d’Ostie, l’incita à dicter Sermones dominicales et in Solemnitatibus Sanctorum[5], traité de doctrine sacrée sous forme de recueil de sermons, avec lequel il offrit à ses confrères un instrument de formation pour la vie chrétienne et la prédication de l’Évangile. Des textes que le Pape Pie XII qualifia d’œuvre d’un « docteur et maître illustre en ascétique et mystique ».
Il prit un peu de repos dans un petit ermitage à Camposampietro, aux environs de Padoue[6] où lui fut aménagé un petit refuge sous un grand noyer pour y passer des journées de contemplation et de dialogue avec les gens simples de ce bourg de campagne. Le vendredi 13 juin 1231, Antoine fut victime d’un malaise, prononça ses derniers mots : « Video Dominum meum[7] ».
En 1263 commença la construction de la basilique qui porte son nom. Une querelle pour obtenir son corps opposa les « Pauvres Dames »[8] et les habitants de Capo di Ponte où Antoine avait passé ses derniers jours, et les Padouans qui réclamaient qu’il fût enterré dans l’Église de la Sainte Mère de Dieu. Le corps fut finalement déposé dans l’église de Padoue. Une délégation fut envoyée à la Curie pour demander un procès de canonisation qui, malgré le peu de temps écoulé depuis la mort d’Antoine, aboutit le 30 mai 1232.
Érik Lambert
[1] Désigne les dissidents les plus radicaux de la faction dite « spirituelle » qui, dans l’ordre franciscain, oppose à l’aile conventuelle ou orthodoxe la volonté de pratiquer la pauvreté volontaire selon la règle intangible de saint François. La persécution des Fraticelli est un des sujets du roman d’Umberto Eco, Le Nom de la rose.
[2] Originaires de l’Italie du nord, les « Cathares » professaient une doctrine simple et exigeante, fondée sur le retour à l’Évangile. Ils considéraient que l’Église officielle avait trahi sa mission dès le pontificat de Sylvestre Ier, sous le règne de l’empereur Constantin le Grand (Empereur romain 306 ou 310-337 qui fut le premier empereur romain à avoir reconnu l’importance du christianisme. Un édit de tolérance publié à Milan en 313 mit fin aux persécutions. Lui-même se fit baptiser sur son lit de mort. Après lui, tous les empereurs romains, à une exception près, Julien l’Apostat, furent chrétiens). Les Cathares ne reconnaissaient pas le dogme et les enseignements de l’Église catholique mais se revendiquaient eux-mêmes chrétiens et se désignaient sous cette appellation ou encore sous celle d’amis de Dieu. Ils ne reconnaissaient qu’un seul sacrement, le « consolamentum », qui effaçait toutes les fautes passées et garantissait la vie éternelle. Celui-ci n’étant donné qu’une fois, seuls les Bonshommes et les Bonnes Femmes (appellation usuelle des prédicateurs cathares) se sentaient assez fermes dans leur foi pour le demander en pleine force de leur âge. Ils étaient les seuls à pouvoir donner le « consolamentum ». Les fidèles d’un naturel peu religieux, quant à eux, faisaient en sorte de l’obtenir seulement dès qu’ils sentaient venir la mort, afin de ne pas mourir en état de péché. Les prédicateurs cathares du Midi furent servis par l’image déplorable que donna du catholicisme le clergé local. Prélats et curés se vautraient volontiers dans la luxure mais ne s’en montraient pas moins exigeants à l’égard de leurs ouailles en termes de morale. Au contraire, les parfaits (nom usuel que les inquisiteurs donnaient aux Bonshommes et Bonnes Femmes) affichaient une austérité irréprochable, empreinte de douceur et de sérénité mais témoignaient d’une grande compréhension envers les écarts de conduite de leurs fidèles. Ils vivaient chastement et s’interdisent toute nourriture carnée, prenant au pied de la lettre le commandement biblique : « Tu ne tueras point ». L’hérésie bénéficia de la protection bienveillante des seigneurs, arrive même à se structurer en Église véritable, avec quatre évêchés : Albi, Agen, Toulouse et Carcassonne. Le terme cathare fut une expression injurieuse inventée vers 1165 par le clerc rhénan Eckbert Schinau. Il faisait référence au grec katharos, qui signifie pur et soupçonnait les adeptes de cette secte de manichéisme (le monde est mauvais et il importe de s’en détacher par la quête de la pureté absolue). Les hérétiques furent aussi appelés Albigeois, par référence à Albi. Cette appellation trouva son origine dans le concile qu’a tenu la secte en 1165 dans le château de Lombers, sur les terres du vicomte de Trencavel, pas très loin d’Albi. C’est la première de ses assemblées qui ait laissé une trace écrite. Une croisade fut menée contre eux C’était la première fois qu’une croisade était dirigée contre des gens qui se réclamaient du Christ. L’expédition réunit un certain nombre de seigneurs ainsi que le comte de Toulouse. Elle fut placée sous le haut commandement de l’abbé Arnaud-Amalric, qui n’était autre que le chef du puissant ordre monastique de Cîteaux. Les opérations militaires débutèrent par le sac de Béziers et le massacre de sa population, le 22 juillet 1209. Les Albigeois sont vaincus avec la chute du château de Montségur le 16 mars 1244.
[3] Grégoire IX, Pape de 1227 à 1241, Ordre des frères mineurs. Il canonisa Antoine le 30 mai 1227.
[4] Accumulation anormale de liquide dans les tissus de l’organisme ou dans une cavité du corps.
[5] Sermons pour les dimanches et sermons en l’honneur des Saints.
[6] https://www.santantonio.org/fr/content/camposampiero-santuario-del-noce
[7] Je vois mon Seigneur.
[8] L’ordre de Sainte-Claire ou l’ordre des Clarisses