Un Livre / Un musée

Édition La Découverte 14€
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Si Louis-Sébastien prétendait plaisamment avoir écrit son Tableau de Paris avec ses jambes, c’est que le livre devenu un classique qu’il publia de 1781 à 1788 rend compte de la longue observation minutieuse qu’il fit de tous les quartiers et de toutes les catégories de population de la capitale arpentée sans relâche et sans préjugés ni crainte. Rien n’échappe à la sagacité du prolifique écrivain, dramaturge, romancier, critique, journaliste qui, d’un œil précurseur de l’anthropologie et de la sociologie appliquées, scrute dans leur réalité quotidienne les mœurs, les métiers, les habitations, la voirie, les égouts, les bons et les mauvais penchants de ses concitoyens, leurs conditions de la misère noire à l’obscène opulence. Les constats qu’en dresse l’auteur lui inspirent des solutions : à l’hygiène, à l’insécurité, à l’injustice, à l’urbanisme, à la circulation, à la pauvreté endémique… toutes éclairées par les « Lumières » dont il participe philosophiquement et qu’il pratique politiquement comme député pendant la Révolution, engagé avec les Girondins puis les Jacobins avant de désavouer le coup d’État bonapartiste.

L’œuvre initiale en douze volumes comporte mille chapitres, brefs en général, toujours vifs, incisifs et très plaisants à lire. L’édition présentée ici propose en 350 pages (14 €) des morceaux choisis organisés en cinq parties : Coup d’œil sur Paris ; La Structure sociale de Paris ; Les Conditions de vie ; Croyances religieuses et pratiques populaires ; La Vie politique. De quoi restituer le portrait complet d’un peuple dont rien ne laissait présager que couvait en son sein l’imminente explosion révolutionnaire, et cela même aux yeux du fin critique de la société d’Ancien Régime que fut Louis-Sébastien Mercier, lequel ne cachait pourtant pas, à ses risques, ses propres aspirations à de profonds changements. Beaucoup ont même affirmé que le Tableau de Paris avait été un facteur décisif du déclenchement de la Révolution. Il est vrai que l’auteur n’y retient pas ses coups assénés souvent avec un humour tantôt tendre, tantôt cinglant, toujours avec une précision et une liberté de ton qui est l’expression de sa liberté de conscience, le tout écrit d’une plume agile, jamais bavarde, entièrement au service de l’humanité qu’elle observe, si bien que ces qualités garantirent un retentissant succès au livre dès sa publication.

On ne peut manquer aujourd’hui, à la lecture passionnante de ces pages au style impeccable, en considérant l’injustice criante, l’inégalité et l’arbitraire décrits, de rapprocher l’apparente apathie de nos ancêtres à la veille de 1789 du dégoût résigné pour la politique qui gagne chez nos contemporains malgré les difficultés et les inégalités vertigineuses dont souffrent notre société, rapprochement qui éveille l’inquiétude d’une éruption soudaine dont chacun de nos brillants politologues pourrait s’apercevoir après coup qu’elle était hautement prévisible. Mais lequel de nos intellectuels, artistes ou même journalistes se donne aujourd’hui le mal d’embrasser toute une réalité comme le fit Louis-Sébastien Mercier ? Certains le font, dont on n’entend très peu parler, tandis que la plupart enfermés dans leur spécialité ou dans des polémiques stériles semblent davantage préoccupés de leur carrière que de notre destin collectif. Cette démission des clercs, leur indifférence supérieure à l’égard du « petit peuple », est sans doute l’une des dérives inquiétantes de notre société contemporaine.

Jean Chavot


Le musée de Cluny est le lieu de visite des férus d’art médiéval. Les magnifiques salles épousent nombre de périodes de l’architecture parisienne. Ouvert en 1844, il fréquente des thermes antiques, un hôtel particulier de la fin du Moyen Âge, et des extensions qui se sont succédé du 19e au 21e siècles. Il conserve des trésors médiévaux et, parmi eux, des sculptures de Notre-Dame de Paris. Régulièrement le musée propose des expositions temporaires comme celle qui y a élu domicile jusqu’au 16 mars. Le musée a l’ambition de « faire parler les pierres de Notre-Dame » alors que le Président Macron et madame ont participé à la cérémonie de réouverture de la cathédrale ce samedi 7 décembre 2024. Si Cluny est le principal lieu de conservation des sculptures de la cathédrale de Paris, sa « salle Notre-Dame », inaugurée en 1981 présente les principaux fragments sculptés de l’édifice découverts en 1977 et présente donc des éléments des cinq grands portails et de la galerie des Rois[1], victimes des foudres révolutionnaires avant que n’émerge la notion de conservation des « monuments » anciens pour des raisons d’art et d’histoire, dans l’intérêt de la Nation, en particulier au moment de la vente des biens nationaux. La lutte contre le « vandalisme », mené par l’abbé Grégoire, député conventionnel, et le contrôle des travaux sur les édifices publics fut mis en œuvre par le Conseil général des bâtiments civils, en 1795. Pourtant, le mal était fait. En effet, en 1793, il s’agissait de s’en prendre aux représentations de la royauté et de l’autorité religieuse en confiant au sculpteur Bazin la mission de supprimer les « signes de la féodalité ». Puis, le sculpteur Varin fut chargé de décapiter et supprimer l’ensemble de la statuaire à l’intérieur comme à l’extérieur.

L’exposition présente les fragments polychromes de l’ancien jubé de Notre-Dame de Paris datant probablement des années 1230-1250, rappelant qu’au Moyen-Âge, la couleur était appréciée. Les traces de peinture du vert au vermillon, du bleu au rose violacé, et une couronne dorée rappellent ce goût médiéval que beaucoup ignorent. Aujourd’hui disparu de la plupart des églises, le jubé, consistait en un « mur » fermant le chœur entre les deux piliers orientaux à la croisée du transept. Cet aménagement né de la réforme grégorienne du XI°siècle, répondait à des considérations liturgiques, spirituelles et pratiques contribuant à hiérarchiser l’espace afin d’accueillir les fidèles tout en préservant la tranquillité de la prière des religieux. Or, à la faveur des recherches archéologiques conduites par l’Inrap en 2022 consécutives à l’incendie qui frappa la cathédrale au printemps 2019 et à la fouille archéologique préventive prescrite par la Drac Île-de-France[2] (service régional de l’archéologie) au niveau de la croisée du transept de la cathédrale, de belles œuvres furent mises à jour.

L’exposition « Faire parler les pierres. Sculptures médiévales de Notre-Dame » présente ainsi les principaux fragments sculptés et les résultats de l’important programme d’étude et de restauration, ainsi que d’autres pièces provenant du décor de l’édifice. Dans la salle des sculptures de Notre-Dame, est exposée une sélection de fragments permettant d’évoquer les corps disparus des statues colossales de la galerie des rois et la statue d’Adam, qui faisait partie du décor du revers de la façade sud du transept, chef-d’œuvre du XIII°siècle. L’exposition temporaire permet de découvrir ou redécouvrir le magnifique cadre offert par les thermes gallo-romains et par la salle Notre-Dame. Par ailleurs, à l’étage, une modeste exposition complémentaire intitulée « Feuilleter Notre-Dame : chefs-d’œuvre de la bibliothèque médiévale dans les collections de la BnF » repose sur des manuscrits médiévaux et offre une autre entrée pour découvrir la cathédrale. On plonge dès lors dans cet univers mystérieux qui attise nos rêves, secoue notre imaginaire, ce monde que nos esprits essaient d’imaginer endévorant Les piliers de la terre[3], Le passeur de lumière ou en se plongeant dans les œuvres de Victor Hugo et d’Umberto Eco.

Certes, les cartels pourraient être obscurs pour les béotiens ; acéphale et phylactères côtoyant piédroits, impostes, et ébrasements à ressauts et il serait fort avisé de venir avec son glossaire de termes architecturaux. En revanche, même si la visite peut parfois se révéler ardue, elle mérite notre vif intérêt tant cet événement culturel et cultuel, organisé dans un musée souvent méconnu du public, présente des œuvres, qui, à l’inverse de nos misérables existences humaines, rassurent en défiant le temps, illustrant ainsi la permanence des réalisations anthropiques. 

Érik Lambert.

« Faire parler les pierres. Sculptures médiévales de Notre-Dame »
Jusqu’au 16 mars, au musée de Cluny, place Paul Painlevé, 75005 Paris

JOURS ET HEURES D’OUVERTURE

Ouvert tous les jours sauf le lundi de 9h30 à 18h15. Fermeture de la billetterie à 17h30. Début de l’évacuation des salles à 17h45.

 TARIFS 
Plein tarif : 12€ / tarif réduit : 10€ (+1€ si réservation en ligne).
Gratuit pour les moins de 18 ans, les moins de 26 ans (membres de l’UE) et les membres des Amis du musée. 
Gratuit pour tous les premiers dimanches du mois.
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[1] Les neuf rois en question n’étaient pas des rois de France mais des rois de Juda. Ils surplombaient la façade ouest de la cathédrale.
[2] Ancrée sur un territoire francilien présentant de multiples facettes et des dynamiques fortes, la DRAC Île-de-France (Direction régionale des affaires culturelles)œuvre à rapprocher la culture de tous les habitants, dans les villes et dans les campagnes, en soutenant les artistes et professionnels de la culture, et en prenant soin du patrimoine dans sa diversité.
[3] K.Follett, Les Piliers de la terre ; B.Tirtiaux, Le Passeur de lumière ; V.Hugo, Notre-Dame de Paris ;  U.Eco, Le Nom de la rose.