François Leclerc du Tremblay

Francois Leclerc du Tremblay (1577-1638)

Deux hommes incarnèrent la politique française au début du « Grand Siècle »[1] : l’un, Richelieu, en fut l’artisan ; l’autre, le père Joseph, en fut la cheville ouvrière. Supérieur du couvent des Capucins à Tours, François Leclerc du Tremblay rencontra en 1609 Eléonore de Bourbon, tante d’Henri IV et abbesse de Fontevraud, qui le chargea de réformer l’abbaye. Lorsque le cardinal de Richelieu entra au Conseil du roi[2] Louis XIII, en 1624, il fit immédiatement appel au père Joseph. Ce fut alors que débuta la collaboration entre lui et Richelieu, collaboration renforcée par une amitié qui dura 30 ans. Les objectifs politiques des deux hommes consistaient à mettre au pas la noblesse, prompte aux duels et aux révoltes, et à asseoir l’autorité du roi, « l’absolutisme ». Il s’agissait de combattre les protestants de l’intérieur et leurs alliés anglais, de garantir la tranquillité de la France sur ses frontières en s’alliant aux protestants allemands pour diviser l’Allemagne et abaisser la maison des Habsbourg qui, d’un côté, gouvernait l’Espagne et, de l’autre, les États autrichiens. Le Père Joseph fut aux côtés du Cardinal pour vaincre les menaces intérieures et mettre en place un État moderne. 
Difficile d’appréhender la personnalité du principal collaborateur de Richelieu, personnalité affectée de la légende noire multiséculaire conférée à ce moine capucin[3], « éminence grise »[4] de Richelieu, tout à la fois Talleyrand et Machiavel, présenté par ses contemporains comme une « âme méchante », une « araignée[5] » et un « bourreau », le père Joseph fut décrié pendant des siècles. Il organisa un véritable service de renseignements parallèle, recourant à de nombreux capucins. Le père d’Alais est ainsi chargé des relations avec la Bavière pendant que celles avec l’Empire germanique sont dévolues au père de Casal. Le Père Joseph participa au « mouvement d’exaltation royale » qui fit de Louis XIII le nouveau Saint Louis, capable de restaurer l’harmonie de la chrétienté, face aux prétentions hégémoniques des Habsbourg. Ainsi, l’Europe centrale fut engagée dans l’inextricable guerre de Trente ans[6] et la toile d’araignée des « honorables correspondants » du père Joseph permit à Richelieu de tisser ses alliances au gré des circonstances.
Progressivement, le capucin s’imposa comme ministre des Affaires étrangères officieux, faisant parfois peu de cas du personnel diplomatique en place. De l’affaire de la Valteline[7], en 1625, au siège de La Rochelle[8], en 1627-1628, le père Joseph fut de toutes les « campagnes » de Richelieu. Après la reddition de La Rochelle, le cardinal, qui n’était pas un ingrat, proposa à son ami et conseiller le titre d’évêque de la ville. Mais le père Joseph refusa cet honneur. Richelieu se plut à surnommer le père Joseph tour à tour Ezéchieli ou Tenebroso-Cavernoso, selon qu’il fit référence à ses talents de prédicateur ou de négociateur et de manipulateur hors pair. Richelieu et son conseiller travaillaient souvent la nuit, entre deux et six heures du matin. Puis, le cardinal se couchait deux petites heures. C’est le moment que choisissait le père Joseph (qui logeait dans une petite pièce attenante à la chambre du ministre de Louis XIII) pour recevoir ses agents, souvent des capucins, venus lui présenter leur rapport.

Il fut un fervent apologiste de l’absolutisme catholique, « système mystico-politique » au service du souverain. Du reste, il composa de La Turciade, une épopée en quatre mille six cent trente-sept vers latins, qui fut imprimée en deux exemplaires dont un pour le pape florentin urbain VIII (pape de 1623 à 1644) destinataire de l’un d’eux. Le souverain pontife l’appela « L’Énéide chrétienne ». Il avait influencé le pape Grégoire XV pour l’érection, en 1622, de la Congrégation pour la propagation de la foi et fut nommé, en 1625, commissaire apostolique pour toutes les missions étrangères. Il dirigea, de 1624 à 1638, le seul journal autorisé à l’époque, Le Mercure françois[9] fondé en 1605, y théorisant notamment l’absolutisme catholique.

Mais servir le roi consistait aussi pour lui à servir la gloire de Dieu en espérant reconquérir les Lieux Saints, …

Érik Lambert


[1] Le XVIIe siècle français est souvent appelé « le siècle de Louis XIV », ou le « Grand siècle » dont on considère qu’il atteignit son apogée à la mort de Louis XIV en 1715. Pourtant, il fut aussi le fruit du règne des rois précédents Henri IV et Louis XIII, ainsi que de la régence d’Anne d’Autriche, sans lesquels le futur Roi-Soleil n’aurait pas trouvé un pays solidement gouverné à l’intérieur comme à l’extérieur ; un pays capable de s’affirmer comme la première puissance politique et économique européenne et de rayonner jusqu’en Amérique du Nord sur le plan culturel et intellectuel. Henri IV, Louis XIII et Richelieu, Anne d’Autriche et Mazarin, permirent le redressement spectaculaire de la France, qui mit plus d’un demi-siècle à remonter du fond de l’abîme où l’avaient plongée ces longues et ruineuses guerres civiles (8 guerres de religion !). C’est la période de la monarchie absolue de droit divin, mais aussi celle du développement des arts comme la littérature, le théâtre, la musique, la peinture et l’architecture.
[2] Le 29 avril 1624, le jeune roi Louis XIII appela à ses côtés le cardinal duc de Richelieu, Armand Jean du Plessis. Malgré ou à la faveur de leurs différences de tempérament, les deux hommes firent ensemble de la France encore féodale et brouillonne un État centralisé et fort. Marie de Médicis s’étant brouillée avec son propre fils, le roi Louis XIII, celui-ci lui avait interdit d’assister aux séances du Conseil d’en haut, aussi appelé « Conseil ordinaire » ou « Conseil des affaires », il se réunissait en présence du roi en personne et traitait des sujets majeurs. À force de persuasion, la reine-mère obtint toutefois de son fils qu’il y fît entrer le cardinal dont elle espérait qu’il servirait ses intérêts. Le jeune roi accéda à sa requête car, confronté à une situation internationale embrouillée, il devait bien constater l’impéritie de son chef de gouvernement, le surintendant des Finances Charles de la Vieuville. Il nota a contrario la pertinence des avis du cardinal, transmis par sa mère. Très vite, le cardinal se fit remarquer du roi par son talent et son dévouement. Il prit l’habitude de s’entretenir en tête-à-tête avec le roi avant chaque Conseil de façon à faciliter ses interventions. Quatre mois plus tard, le 13 août 1624, La Vieuville fut arrêté sous l’accusation de malversations et Louis XIII offrit à Richelieu la direction du Conseil d’en haut. À ce poste de « principal ministre » ou Premier ministre, le cardinal révéla dès lors jusqu’à sa mort son génie politique. Il en fut récompensé dès 1629 par les titres de duc et pair. Le Roi était « assisté » par des conseils. Le Conseil du roi était l’organe au sein duquel le roi déclarait sa volonté et définissait son action. Le Conseil d’en haut avait pour objet toutes les questions importantes de politique intérieure ou extérieure et a lieu au moins trois fois par semaine, réunissant le roi et les ministres d’État. Le Conseil des dépêches où étaient examinées les affaires rapportées dans des dépêches rédigées par des gouverneurs et intendants des provinces. Institué vers 1650, il fut d’abord présidé par le chancelier, mais le roi se mit à le présider lui-même à partir de 1661. C’était donc un conseil de haute administration, dont les réunions avaient lieu tous les quinze jours. Le chancelier, les ministres d’État, les secrétaires d’État, le chef du conseil royal des finances participaient à ce conseil qui était ouvert à des membres de la famille royale. Monsieur, frère du roi, y était admis. C’était aussi le lieu de formation politique du Dauphin et de ses fils. Le Conseil royal des finances qui se tenait deux fois par semaine et consacra le rôle de plus en plus important du contrôleur général des finances surtout lorsque ce fut Colbert. Le Conseil de conscience qui comprenait principalement le roi et son confesseur, avait pour charge la distribution des bénéfices ecclésiastiques. Ces réunions, non soumises au regard de la Cour, comportaient le roi entouré de quelques personnes de confiance placées à des postes-clés. On vit se constituer de véritables dynasties au service de l’État : les Colbert, les Le Tellier, les Phélyppeaux…
[3] Clin d’œil : Le cappuccino, boisson iconique italienne, tire son nom de “capucin”, qui ne fut au départ qu’un surnom donné par la population locale au moines qui portaient un long capuce – capuchon en pointe. L’origine du nom cappuccino serait à attribuer à Marco d’Aviano, un frère capucin choisi comme confident par l’empereur autrichien Léopold Ier dans les années 1680. Ce fut à cette période qu’apparurent les premiers cafés à Vienne, qui servir des « Kapuziner », café bouilli et mélangé avec de la crème, du sucre et des épices. Le nom de la boisson chaude viendrait de sa couleur qui rappelle celle de l’habit porté par lesdits religieux.
[4] « Éminence », parce qu’il a été élevé au rang de cardinal par Richelieu un peu avant sa mort. « Grise » parce qu’en tant que membre des capucins, il portait une robe de bure grise. A sa mort, le cardinal de Richelieu écrivit : « Je perds ma consolation et mon unique secours, mon confident et mon appui. »
[5] Peut-être en référence à « l’universelle araignée », image attachée à la politique tortueuse de Louis XI. Peu d’hommes ont autant espéré que Louis XI, la mort de leur père, Charles VII, le Bien Servi qui n’eut pas de pire ennemi que son propre fils, né de Marie d’Anjou.  Mais une fois parvenu à ses fins et installé sur le trône, à l’âge déjà avancé de 38 ans, Louis XI témoigna rapidement d’un sens politique hors du commun, avec l’objectif de consolider l’État, sans souci de son apparence et de son amour-propre. « Je suis France », aurait-il dit. Surnommé Louis le Prudent, il privilégia la ruse et la négociation sur la guerre, n’hésitant jamais à acheter la paix au prix fort pourvu que ce soit dans l’intérêt du royaume. Louis XI fut un fin stratège qui tissa sa toile à la manière d’une araignée, ce qui lui valut le surnom de « l’universelle araignée ». 
[6] Guerre qui impliqua la plupart des États européens de 1618 à 1648. L’Allemagne en sortit ravagée et divisée. Le conflit débuta avec la défenestration de Prague (1618), une péripétie qui mit aux prises l’empereur d’Allemagne, de confession catholique, et ses sujets tchèques, de confession protestante. À la Montagne Blanche (1620), Ferdinand II de Habsbourg écrasa les Pragois. Craignant la suprématie des Habsbourg, le roi de Danemark Christian IV, intervint dans le conflit, aidé en secret par la France de Richelieu. Mais la paix de Lübeck (1629) l’obligea à ne plus s’occuper des affaires allemandes. En 1631, le roi de Suède Gustave Adolphe intervint à son tour. Mais il trouva la mort à Lützen, près de Leipzig (1632). La France, enfin, déclara officiellement la guerre aux Habsbourg d’Espagne (1635). Le jeune duc d’Enghien mit fin à Rocroi à plus d’un siècle de suprématie militaire de l’Espagne (1643). La guerre de Trente Ans se conclut par les traités de Westphalie (1648). Le conflit franco-espagnol perdura quant à lui jusqu’au traité des Pyrénées (1659).
[7] La guerre de la Valteline (région italienne) s’inscrivit dans le contexte de la guerre de Trente Ans (1618-1648) dont elle fut un des épisodes. 
[8] La Rochelle était la dernière des places fortes concédées aux protestants par l’Édit de Nantes 30 ans plus tôt. À la faveur des troubles consécutifs à la minorité de Louis XIII, les habitants de la ville commirent l’imprudence de se soulever contre le roi. À l’instigation du duc de Buckingham (favori de Jacques 1er puis de Charles 1er d’Angleterre), les Anglais en profitèrent pour débarquer sur l’île de Ré, en face de la cité rebelle. Richelieu ordonna le siège de la ville le 10 septembre 1627 et prit en personne le commandement des opérations. L’âme de la résistance en fut le maire Jean Guitton (1585-1654), un armateur énergique qui sut maintenir très haut le moral des assiégés. Il fit le serment de tuer le premier qui parlerait de se rendre : « Pourvu qu’il reste un homme pour fermer les portes, c’est assez ! » Mais Richelieu, décidé à en finir, fit construire une digue pour fermer le port aux Anglais. Et, du côté de la terre, il interdit l’accès des secours par une ligne de retranchements longue de douze kilomètres. Pendant que les Rochelais endurèrent une terrible famine, le duc de Buckingham prépara à Portsmouth, une nouvelle expédition pour venir à leur secours. Mais il fut assassiné le 23 août 1628 par un officier protestant, John Felton. Dès lors, réduits à leurs seules forces, les Rochelais durent reconnaître leur défaite et Guitton préféra capituler plutôt que de les voir mourir de faim. Honorant le courage du maire, Richelieu renonça à le faire emprisonner. Fort de sa victoire, le roi Louis XIII accorda aux rebelles la paix d’Alès. Il confirma le régime de tolérance religieuse tout en réduisant les privilèges militaires accordés aux protestants. 
[9] Titre exact : Le Mercure françois ou la Suitte de l’histoire de la paix commençant l’an 1605 pour suite du Septénaire du D. Cayer, et finissant au sacre du très grand Roy de France et de Navarre Louis XIII.