« Ressusciter au quotidien…» 

Croire que le Christ est ressuscité, c’est croire également que nous sommes appelés à ressusciter avec lui, à renaître à une vie nouvelle, dès aujourd’hui, dès ici-bas.

Aux Israélites exilés qui ont perdu toute espérance et qui sont comme « des ossements desséchés », le Seigneur déclare : « Je vais ouvrir vos tombeaux, je vous ferai remonter de vos tombeaux […] Je mettrai mon souffle en vous pour que vous viviez » (Ez 37,12-14). Renaître à une vie nouvelle, c’est laisser loin derrière nous ce qui nous retient à la tombe : nos peurs, nos doutes et tous nos enfermements, pour marcher à la suite de celui qui a triomphé de la mort et nous en a libérés.

« Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. » (Mt 28,20) Cette renaissance ne peut se vivre que dans la confiance et l’espérance. Elle ne nous confère aucun pouvoir magique sur les difficultés ou les épreuves de cette existence terrestre, car elle ne les efface pas, mais elle nous permet de les traverser autrement, fortifiés par la présence de Celui qui se tient chaque jour à nos côtés, qui nous soutient et nous relève.

Ressusciter au quotidien c’est vivre en essayant de se conformer au Christ, de s’accorder à lui. « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, j’ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. » (Ez 36, 26) Ce cœur nouveau, à l’exemple de Jésus « doux et humble de cœur », c’est une autre façon d’être présent au monde et d’aimer nos frères et sœurs. Conversion qu’il nous faut reprendre constamment et instamment… 

Ainsi, chaque jour, il nous faut tordre le cou à ce désir de possession qui nous guette tous. Plus que de n’avoir rien en propre, il s’agit plutôt de porter un regard lucide sur nos biens et sur l’usage que nous en faisons. Les richesses de ce monde ne combleront jamais cette soif insatiable du toujours plus, aiguisée par une société habile à nous créer de nouveaux besoins. Vouloir lier notre bonheur à notre avoir ne peut que nous laisser insatisfaits et déçus. François d’Assise nous invite non seulement à reconsidérer nos biens mais, bien plus, à nous en détacher pour ne pas en être esclaves. Reconnaitre en eux la beauté et la bonté du Créateur, les accueillir comme des dons du Père, des signes de son amour, des promesses des richesses qu’il nous prépare en son Royaume.   « Tous les biens, rendons-les au Seigneur Dieu très haut et souverain ; reconnaissons que tous biens lui appartiennent ; rendons-lui grâces pour tout, puisque c’est de lui que procèdent tous les biens. » (1 Reg 17, 17)

Renoncer à tout esprit de convoitise et d’appropriation et redécouvrir, comme une évidence, la joie et la gratuité du partage…Pour le passionné d’ordinateur et d’écrans en tous genres, c’est, par exemple, ne pas acheter le modèle dernier cri, mais un modèle plus simple et faire profiter sa famille ou une association de la différence de prix. Pour celui qui apprécie de se rendre seul en voiture à son travail, c’est peut-être sacrifier sa tranquillité et opter pour le covoiturage…

Mais notre désir de possession va bien au-delà du matériel. Que de fois ne sommes-nous pas tentés de nous accaparer l’autre, de le réduire à notre bon vouloir ? Alors, à nous, chaque jour, de nous mettre à l’école du Christ pour aimer plus, pour aimer mieux…En famille, au travail, dans chacune de nos rencontres, c’est apprendre à s’effacer, à écouter, à susciter la parole, à donner des responsabilités, à ne pas imposer, à ne pas s’imposer…C’est, par exemple, choisir un lieu de vacances ou des activités, qui ne sont pas habituellement « ma tasse de thé »,  simplement pour faire plaisir à mes enfants. Ou encore renoncer à ce poste à l’étranger et à tout ce qu’il représentait pour moi , après avoir réalisé que c’était mon projet, et non celui de mon conjoint, et qu’il obligeait ce dernier à trop de sacrifices … Passer par de petites morts pour faire naître des gestes d’amour et tisser des liens de fraternité qui enchantent notre univers et le font ressusciter. « Que nous aimions nos proches comme nous-mêmes : en les attirant tous à ton amour selon notre pouvoir, en partageant leur bonheur comme s’il était le nôtre, en les aidant à supporter leurs malheurs, en ne leur faisant nulle offense […] Et ce que nous ne pardonnons pas pleinement, toi, Seigneur, fais que nous le pardonnions pleinement : que nous aimions vraiment nos ennemis à cause de toi, que nous arrivions à te prier sincèrement pour eux ; qu’à personne nous ne rendions le mal pour le mal, mais que nous tâchions de faire du bien à tous, en toi ! » (Pat 5,8)

Renaître au quotidien, c’est aussi repenser notre chère liberté, si souvent mise à mal ! Ne nous arrive-t-il pas de joindre notre voix à ceux qui s’époumonent à force de s’écrier : « Je suis libre ! J’ai le droit à, j’ai le droit de…» ? François, lui, a choisi la voie de l’obéissance, une obéissance qui peut nous sembler parfois excessive : « Le Seigneur dit dans l’Évangile :  » Celui qui n’abandonne pas tout ce qu’il possède ne peut être mon disciple ; et encore : Qui veut sauver son âme doit la perdre. » Comment faire pour abandonner tout ce que l’on possède ? Comment perdre son corps et son âme ? En se livrant tout entier à l’obéissance entre les mains de son supérieur. » (Adm 3,1-3), mais qui est toujours éclairée : « si le supérieur donnait un ordre contraire au salut de notre âme, il faudrait refuser de lui obéir, sans pour autant rompre avec lui ou le quitter. » (Adm 3,7). Le mot « obéir » est issu du latin « ob-audire » qui signifie « prêter l’oreille », « être soumis ». Obéir, ce n’est donc pas agir aveuglément, mais c’est d’abord se mettre à l’écoute. Se mettre à l’écoute et s’abandonner à une volonté plus grande que la sienne, celle du Père qui ne nous veut que du bien.

Pour François, renoncer à sa volonté propre, c’est expérimenter la vraie liberté des fils de Dieu, et c’est toujours un acte d’amour : « La volonté du Père, c’est la liberté du fils. L’obéissance vécue par François me balise la route de la Vie : devenir par libre choix d’amour ce que je suis par nécessité. » (Fr. Ignace-Etienne Motte, Les chemins de la Pâque avec saint François)

Voilà qui peut nous aider à vivre autrement les contraintes et les obligations qui pèsent sur notre quotidien. Non pas s’y résigner, mais les accepter pour ce qu’elles sont et les vivre dans la confiance, même si cela doit passer par une mort, dans l’amour et par amour de Celui dont nous voulons suivre les traces. C’est, par exemple, se résoudre à accepter que cette promotion qui m’était promise revienne à un collègue, et n’en garder aucune amertume, mais faire en sorte de pouvoir travailler avec lui…

Nous libérant chaque jour un peu plus de tout ce qui nous accable, la lumière du Ressuscité vient nous rejoindre dans nos ténèbres et les transfigurer pour y faire naître la joie pascale. Non pas un sentiment d’exaltation, mais une joie profonde et sereine que rien ne peut altérer, pas même les souffrances de ce monde…Une joie qui nous permet d’accueillir toutes ces petites morts, tous ces renoncements auxquels nous devons faire face, jour après jour… Parmi eux, il y a ceux que nous imposent l’âge et la fatigue, et qui sont parfois si cruels à vivre…J’étais un montagnard confirmé, mais je n’ai plus le souffle et les jambes pour gravir les sommets…J’étais musicienne, mais mes doigts ont perdu leur délié, je n’entends plus certaines notes ou la sonorité de tel ou tel accord…J’aimais conduire et j’aimais le sentiment de liberté que cela me procurait, me voilà devenu incapable de prendre le volant et totalement dépendant d’autrui… 

S’efforcer de conserver cette joie pascale et la refléter autour de nous…Notre Projet de Vie nous invite à être les messagers de joie et d’espérance dont le monde a besoin : « Messagers de joie parfaite, en toutes circonstances ils s’emploieront activement à porter aux autres la joie et l’espérance. » (Projet de Vie 19)

En ces temps où nous aimons rappeler et souligner tout ce que le pape François nous a apporté, voici une parole, riche d’espérance pour nos morts et nos résurrections au quotidien : « Sœur, frère, si en cette nuit tu portes dans le cœur une heure sombre, un jour qui n’a pas encore surgi, une lumière ensevelie, un rêve brisé, va, ouvre ton cœur avec étonnement à l’annonce de la Pâque : “ N’aie pas peur, il est ressuscité ! Il t’attend en Galilée”. Tes attentes ne resteront pas déçues, tes larmes seront séchées, tes peurs seront vaincues par l’espérance. Parce que le Seigneur te précède toujours, il marche toujours devant toi. Et, avec lui, toujours la vie recommence. » (Homélie du Samedi saint, 3 avril 2021)

P. Clamens-Zalay