L’encre en mouvement
Une histoire de la peinture chinoise du XXème siècle
La Chine nous est peu et mal connue malgré sa place majeure dans l’espace géographique et dans le temps historique puisqu’elle abrite le peuple le plus nombreux et une civilisation qui, pour différente qu’elle soit de la nôtre, n’a rien à lui envier en profondeur ni en richesse. L’exposition présentée au musée Cernuschi ainsi que sa magnifique collection permanente offrent un aperçu de notre ignorance du « Pays du milieu » comme des préjugés de tous ordres qui prétendent la combler avec leur exotisme inquiet et néanmoins suffisant.
La peinture chinoise est étonnante par de multiples aspects. Sa matière est traditionnellement constituée d’encre et de papier qui la rendent fragile à la lumière ; c’est dire combien cette exposition est un événement rare (rappelons que nous devons à la Chine le papier sans lequel l’Europe du parchemin n’aurait sans doute pas connu l’essor intellectuel de la Renaissance). Il y a également entre la peinture et l’écriture un lien indissociable du fait du caractère idéographique de celle-ci, propice à la créativité et à la diversité calligraphiques. Ainsi les tableaux entremêlent-ils d’un même geste inscriptions, poèmes et représentations picturales. Le mouvement s’inscrit sur le papier, celui de la composition bien sûr, mais aussi celui de la main de l’artiste prolongée par un pinceau protéiforme qui dépose sur des surfaces précieuses une encre à la plasticité spectaculaire, cela sans reprises ni retouches. L’exposition présente d’ailleurs quelques films où l’on peut admirer la sûreté de la main, et donc les grandes connaissance et maîtrise qui la guide, traçant sur la feuille la mémoire du geste. La peinture chinoise est surprenante aussi (cette surprise ne tient qu’à notre ignorance) par sa variété et son évolution tout au long du XXème siècle, c’est-à-dire notamment depuis la fin de l’Empire (1912) à travers les bouleversements que cet immense pays a connus. Elle a enregistré ces mutations tout en témoignant d’une curiosité pour l’étranger que nous ne n’avons guère rendue à la Chine. Ses artistes ont voyagé en Asie (particulièrement au Japon) mais aussi en Europe, en Amérique, rapportant de nouvelles expériences et de nouveaux moyens, lesquels s’ajoutaient aux apports de la diversité rencontrée à l’intérieur de l’immense territoire national. Ainsi la peinture à l’huile est-elle venue se marier à l’encre qui régnait en maître, la photographie a-t-elle participé à varier les motifs, la « performance » de l’art contemporain occidental s’est-elle tout naturellement adaptée à la culture chinoise du geste graphique et pictural enrichi de sa diversité autochtone. L’intention de l’exposition est de retracer ces évolutions, ce qu’elle fait très bien par l’organisation chronologique des salles et leurs panneaux didactiques. On y admire la faculté des artistes chinois à conjuguer la curiosité d’autres cultures et techniques avec la connaissance amoureuse de leurs propres traditions.
Peut-être aurait-il fallu commencer par là : les œuvres sont d’une beauté et d’une élégance vibrantes et confondantes, si bien que l’on ressort de cette émouvante exposition avec un seul regret : celui de l’analphabète devant une écriture dont le sens lui demeure indéchiffrable. Il n’en va pas de même de nos yeux ravis et comblés. Reste à apprendre le Chinois se dit-on ou, du moins, à témoigner davantage de curiosité et de respect à ce grand pays.
Jean Chavot