Le Projet de Vie de l’Ordre Franciscain séculier, ou Fraternité Franciscaine séculière, est issu d’une première Proposition de vie faite en 1221 aux frères et sœurs de la Pénitence, contemporains de François d’Assise, touchés par sa prédication et désireux de suivre son exemple, en conservant leur état laïc. Puis sont venues les Règles approuvées par les papes Nicolas IV, Léon XIII et, plus près de nous, par Paul VI en 1978. Certes, de nos jours, le terme de « Règle » peut en rebuter certains, mais ce texte se veut avant tout « chemin » pour vivre l’Évangile qui est au cœur de notre vocation franciscaine. Observer cette Règle, c’est donc, à la suite de François, centrer toute son existence sur le Christ et s’engager à vivre de sa Bonne Nouvelle.
« La Règle et la vie des franciscains séculiers est la suivante : vivre l’Évangile de Notre Seigneur Jésus Christ en suivant les exemples de saint François d’Assise, qui fit du Christ l’inspirateur et le centre de sa vie avec Dieu et avec les hommes. » (PDV 4)
De la Règle qu’il fit écrire pour ses frères du Premier Ordre, François dit ceci : « Après que le Seigneur m’eut donné des frères, personne ne me montra ce que je devais faire, mais le Très-Haut lui-même me révéla que je devais vivre selon le saint Évangile. Alors je fis rédiger un texte en peu de mots bien simples, et le seigneur pape me l’approuva. » (Test 14-15)
De même, notre Projet de Vie s’attache-t-il à nous donner de grandes orientations, fidèles à la spiritualité franciscaine, et nous invite-t-il à « passer de l’Évangile à la vie et de la vie à l’Évangile. » (PDV 4) Bien sûr, le contexte historique de François n’est pas le nôtre, mais notre société connait toujours des souffrances et des inégalités criantes qui nous appellent à témoigner de l’Évangile pour construire un monde plus fraternel, démontrant ainsi toute l’actualité de ce Projet de Vie.
Pauvreté, simplicité, désappropriation, paix, joie, fraternité…en sont quelques accents parmi d’autres.
François, le fils du riche marchand d’Assise, a vu évoluer la société médiévale au profit d’une nouvelle classe, celle de la bourgeoisie commerçante. En voulant s’affranchir du système féodal, les communes rêvaient de liberté et d’égalité, mais, bien vite, elles ont été rattrapées par le pouvoir de l’argent, créant alors de nouvelles injustices et plus de pauvreté.
En répondant à l’appel du Seigneur, François décide de conformer sa vie à celle du Christ qui s’est fait pauvre et humble au milieu des hommes. Il fait le choix d’une pauvreté radicale, volontaire, et non subie, qui consiste à n’avoir rien en propre. A l’évêque d’Assise qui s’inquiète d’un tel mode de vie, il déclare : « Monseigneur, si nous avions des propriétés, il nous faudrait aussi des armes pour les défendre, car elles sont source d’interminables querelles et procès. Et tout cela n’est qu’entrave à l’amour de Dieu et du prochain. Voilà pourquoi nous ne voulons d’aucun bien matériel en ce monde. » (AP 17d)
Et le texte d’ajouter : « sa réponse plut beaucoup à l’évêque »…
Aujourd’hui, plus que jamais, l’argent est roi dans notre société, totalement axée sur la consommation et douée d’imagination pour en multiplier le besoin à l’infini. Que ne met-elle cette créativité au profit des plus pauvres ! Le fossé se creuse inexorablement entre ceux qui s’enrichissent toujours plus et ceux qui ne connaissent que la précarité et l’exclusion. Par ailleurs, l’argent donne à celui qui le possède une capacité à peser sur toutes les grandes décisions. Il lui confère un pouvoir sur l’autre : la faculté de le dominer, de le manipuler ou de l’écraser.
Comme nous le rappelle le pape François dans « La joie de l’Évangile » : « L’argent doit servir et non pas gouverner ! ».
D’où la nécessité de transformer notre rapport à l’argent pour proposer un modèle économique plus juste et plus respectueux de la dignité humaine. Il s’agit de donner à l’argent sa juste place, sans en faire une idole, pour que chacun puisse vivre décemment. Et notre Projet de Vie nous y invite: « les laïcs franciscains useront avec détachement des richesses matérielles qu’ils pourraient posséder, bien conscients que selon l’Évangile ils ne sont qu’administrateurs des biens qu’ils ont reçus en faveur des enfants de Dieu. » (PDV 11)
A nous d’être inventifs pour construire un monde plus solidaire, pour retrouver et faire valoir le sens du partage et de la gratuité (de grâce, expliquons à nos jeunes que revendre sur Internet un cadeau, sitôt reçu, n’est pas une option, que la seule qui vaille c’est de l’offrir pour en faire profiter d’autres !), pour redécouvrir dans nos relations, comme dans nos choix de vie cette belle vertu franciscaine appelée ‘simplicité’…
François nous enseigne les voies de la désappropriation, long chemin de conversion pour apprendre à juger autrement de ce qui nous est réellement nécessaire, pour découvrir que l’on peut se détacher de tout ce que l’on possède et tout recevoir comme un don de Dieu. Pour n’avoir que Dieu, pour seul désir et pour seule richesse, lui qui est « le Bien », « tout Bien », « le souverain Bien ».
Se désapproprier de tout, renoncer même à sa volonté propre pour se conformer à celle du Père, pour se rendre libre et disponible, afin de mieux rejoindre et aimer ses frères en Christ.
Et peut surgir enfin, comme une évidence, le désir de rejeter toute forme de domination sur l’autre, que ce soit par l’argent, par le rang ou par le savoir : « dans l’esprit des Béatitudes, « pèlerins et étrangers » en route vers la maison du Père, ils veilleront à se libérer de tout désir de possession et de domination. » (PDV 11)
Un tel Projet de Vie peut nous sembler utopique ou inaccessible…N’oublions pas alors ces paroles de François à frère Léon : « Quelle que soit la manière qui te semblera la meilleure de plaire au Seigneur Dieu et de suivre ses traces et sa pauvreté, adopte-la, avec la bénédiction du Seigneur et ma permission. » (Billet de François à frère Léon)
En insistant sur ce passage constant de l’Évangile à la vie et de la vie à l’Évangile, la fraternité est ce lieu de discernement qui permet à chacun, chacune, selon ses charismes, de vivre de l’Esprit du Seigneur et de témoigner de l’Amour de Dieu et du Salut offert à tout homme.
« 800 ans après la conversion de François à l’Évangile, nous sommes appelés à redécouvrir l’Évangile comme Livre de VIE (…) Retournons donc à l’Évangile et notre vie retrouvera la poésie, la beauté et l’enchantement des origines. Retournons à l’Évangile et notre vie sera délivrée de notre esclavage, de nos peurs, de nos tristesses et nous sauverons les hommes nos frères de leurs misères et de leurs esclavages, de leurs peurs et de leurs tristesses. » (José Carballo, Libérons l’Évangile et l’Évangile nous rendra libres, Chapitre Général OFM, 2006)
P. Clamens-Zalay