Edito de janvier

Vivre simplement pour que simplement chacun puisse vivre

Les chiffres sont effrayants : 9 millions de personnes vivent aujourd’hui en France sous le seuil de pauvreté selon certaines associations, 5 millions selon d’autres, peu importe, c’est trop, beaucoup trop. Dans son rapport 2024, le Secours Catholique, pointe une pauvreté croissante, multiple et complexe, alerte sur la dégradation du niveau de vie des plus pauvres et constate la difficulté à accéder à la protection sociale face à la dématérialisation des démarches administratives. Comment fait-on lorsque l’on ne maîtrise pas Internet ou quand on n’y a même pas accès ? Cela s’appelle l’exclusion.

Récemment, un Français a acheté pour 115 000 euros une banane scotchée au mur avec un ruban adhésif gris à la Foire d’art contemporain de Miami ; une grande marque de luxe commercialise actuellement des « sneakers » (sorte de baskets) salies, usées et déchirées pour plus de 1000 euros, et un « destroyed denim jean », pantalon déchiré de part en part aux couleurs de désespoir est proposé par la même marque pour 3 568,98 euros (sic) ; quant à ces fameuses Rolex dont un publicitaire disait naguère qu’un cinquantenaire qui n’en avait pas encore acquis une avait raté sa vie, la gamme s’étend de quelques milliers à quelques centaines de milliers d’euros. N’en jetez plus !

Entre le scandale de l’exclusion sociale et celui des fortunes outrageantes, nous voici au défi de nous situer et d’agir en laïcs franciscains qui n’ignorent pas le chapitre II de la Deuxième Règle du Poverello d’Assise : « Et que tous les frères soient vêtus de vêtements vils et puissent les rapiécer de sacs et d’autres pièces, avec la bénédiction de Dieu. Et je les avertis et je les exhorte à ne mépriser ni juger les hommes qu’ils voient vêtus de vêtements raffinés et colorés, user d’aliments et de boissons délicats, mais plutôt que chacun se juge et se méprise soi-même. » 

Vertigineux ! Ne pas juger, ne pas rejeter les fautes sur les uns, ne pas tout attendre des autres, mais nous convertir, nous, tout simplement (si l’on peut dire) ! Et rentrer dans une démarche de sobriété partageuse : nous considérer comme gestionnaires et non propriétaires de nos biens ; ne pas perdre la paix de l’âme en donnant trop aux associations ; faire la différence entre besoins et caprices ; accueillir ; protéger nos frères et la Création ; et en résumé vivre simplement pour que simplement chacun puisse vivre[1].  Cette dernière formule, règle d’or du partage, nous rappelle que, comme consommateurs, nous pouvons facilement être des prédateurs. Nous pouvons en effet accroitre la pauvreté par notre oubli des conditions de travail et de rémunération de ceux qui fabriquent nos vêtements ou l’exploitation des enfants dans les mines africaines d’où sont extraits les métaux indispensables à nos (indispensables ?) smartphones. Nulle morale dans ces propos. Notre sobriété peut nous rendre libres, simples, et heureux.

Bien entendu, notre comportement individuel, s’il nous permet de soulager notre conscience (après tout ce n’est pas peccamineux), ne suffit pas. En tant que chrétiens, nous avons aussi un rôle, par nos engagements, nos démarches, nos bulletins de vote, pour tenter d’infléchir les politiques publiques dans le sens du bien commun. Sans juger (refusant ainsi la facilité du « tous pourris ») mais sans nous endormir non plus au cours de l’année qui s’ouvre.

Comité de rédaction


[1] Cette belle formule est empruntée au livre-manifeste des chrétiens du diocèse de Nantes Pour un engagement écologique : simplicité et justice, Parole et Silence, 2014.