
Le comité de rédaction du site « franciscains94 » m’a demandé de rencontrer le frère François Comparat, qui animera notre retraite régionale du 16 mars, pour mieux le connaître. Rencontre simple et joyeuse. Un bel éloge de la « paresse » !
Première partie de l’entretien
Pour commencer, François, pourrais-tu nous retracer ton parcours ?
Je suis le frère François, lyonnais d’origine. J’ai bientôt 80 ans et cela fait plus de cinquante ans que je suis chez les frères mineurs. Avant d’être franciscain, j’étais étudiant, skieur, alpiniste…et puis un beau jour, à Taizé, j’ai découvert la prière en français – chez nous c’était encore en latin – ça m’a beaucoup plu…c’est ainsi que cela a commencé et ça a pris des années…
Il faut dire que je suis d’une famille nombreuse, huit enfants, donc le mouvement, le groupe, le service, je connaissais. J’ai fait aussi du scoutisme, et au lycée, comme à la fac, j’étais au Bureau des élèves. Par conséquent, j’ai toujours été habitué à vivre avec d’autres, à partager avec d’autres. Et c’est une des raisons pour lesquelles j’ai choisi la vie religieuse : pour vivre à plusieurs.
J’ai d’abord terminé mes études, à caractère juridique. Et j’avais presque 25 ans quand je suis rentré dans l’Ordre. Là, je n’ai pas voulu faire de théologie car j’en avais un peu assez des études !
Alors, j’ai passé un CAP de maçon, et j’ai été ouvrier pendant près de 3 ans. Non pas par amour de la maçonnerie, mais par amour des ouvriers étrangers qui travaillaient dans le bâtiment, parce que c’était un milieu que je ne connaissais pas, moi qui étais issu de la bonne société. Je voulais être avec les étrangers de l’époque qui étaient des maghrébins – c’était après la guerre d’Algérie – mais j’étais très mauvais comme maçon !
Pourquoi as-tu choisi d’entrer chez les frères mineurs ?
J’ai choisi les frères mineurs presque par hasard, tout simplement parce que j’ai rencontré un Franciscain « sympa »… j’aurais pu être Dominicain, Assomptionniste, Salésien…mais j’ai croisé sur ma route un frère qui m’a aidé, qui m’a compris et qui m’a accompagné. Alors, je me suis dit : pourquoi pas ?
Et je n’ai jamais souhaité être prêtre. D’abord parce que Saint François ne l’était pas. Ensuite, ce qui m’intéressait c’était le mot « frère » et la fraternité, et je ne voyais pas pourquoi être autre chose. L’Église m’agaçait un peu, parfois, et je la trouvais trop formaliste. J’étais plus proche d’un Évangile au ras des pâquerettes. J’ai toujours voulu être en relation avec d’autres, être parmi les autres.
Après avoir été maçon à Grenoble, j’ai participé à la fondation d’une petite communauté dans le Lubéron : Grambois. J’y ai travaillé comme ouvrier agricole. Mais un beau jour, le boulanger du village est venu à la communauté en disant : « Ma femme est malade, est-ce qu’un frère pourrait la remplacer pendant quelques jours? » J’y suis allé… et j’y suis resté deux ans et demi ! Tout cela s’est fait par hasard.
A Grambois, puis à Lyon, j’ai fait des études de théologie. Au début, je n’y tenais pas trop, car ce qui m’intéressait, moi, c’était l’action avec les plus simples. Mais les frères ont insisté, alors, j’ai fait de la théologie. Finalement cela m’a beaucoup plu, et plus tard je suis devenu professeur de théologie. Pendant que j’étudiais, le recteur de la Catho de Lyon m’a demandé si je pouvais remplacer un aumônier durant 2 à 3 mois. J’ai accepté et cela a duré 30 ans, entre Lyon, Avignon et Strasbourg. Quelques années après, en Avignon, c’est un professeur de théologie qui était malade et qu’il a fallu remplacer. J’avais les diplômes pour, j’ai donc donné mon accord. C’était pour 3 mois, et j’y suis resté, là aussi, 30 ans ! A chaque fois les choses se sont faites par hasard, et parce qu’on m’a sollicité.
J’ai beaucoup bougé aussi, j’allais là où on me demandait d’aller. Je crois que j’ai vécu dans 13 ou 14 communautés différentes, où j’ai été pendant de nombreuses années membre de l’équipe de formation.
C’est drôle, dans ton parcours tu as fait beaucoup de choses, mais pas forcément par choix personnel au départ ?
Non, mon choix, ça a été la vie religieuse, et ça c’est un choix vraiment très fort. J’ai d’ailleurs commencé par regarder du côté de La Trappe, à Tamié, parce que je cherchais une vie communautaire. Les moines m’intéressaient pour cette raison. Mais j’ai réalisé que j’adorais parler, et que j’aimais bien prier, mais pas trop… J’ai découvert alors qu’il existait une vie religieuse apostolique, et c’est vers elle que je me suis orienté, pour pouvoir continuer à parler, à bouger, à rencontrer du monde. J’en avais besoin parce que j’étais un « excité de première » ! Et je suis devenu Franciscain parce que j’ai rencontré ce frère. Je n’avais jamais lu les Écrits de saint François, et je ne les ai lus que beaucoup plus tard. C’est la vie franciscaine qui m’a formé. Moi, je n’ai eu simplement que le désir d’être à plusieurs. C’est un peu pour cela aussi que je n’ai jamais souhaité être prêtre parce que j’aimais bien être au milieu des autres, voilà, c’est tout.
Et pourquoi les frères t’ont-ils demandé de faire des études de théologie ?
C’était pour ma foi. Les frères m’ont dit qu’il fallait que j’approfondisse ma foi, et donc l’Écriture sainte, la pensée de l’Église, le Credo…et moi je me disais : « Oui, oui, je veux bien…mais pas plus…pas trop ! » Or, les études de théologie m’ont beaucoup plu ! Un peu bizarrement, elles m’ont transformé !
Donc j’ai beaucoup enseigné, j’ai été professeur de théologie en Avignon, à Lyon, à Paris, à Strasbourg, et même, mais de façon irrégulière, à Kinshasa, à Tananarive, en Thaïlande… J’ai beaucoup enseigné, mais, à chaque fois, parce qu’on me l’a demandé, et à chaque fois j’ai été content de le faire. Et pourtant, je ne demande rien, j’aime bien ne rien faire, je suis très paresseux en fait…Un ancien provincial disait : « François, c’est un paresseux qui travaille ». Alors, je travaille beaucoup, mais quand je ne fais rien, je suis encore mieux ! J’adore ne rien faire ! (éclats de rire)
Tu parlais également du souci des plus pauvres, d’être au milieu d’eux…
A la fin de mes études, je n’avais pas très envie de travailler, j’étais plutôt attiré par l’activité communautaire. Je me voyais mal cadre supérieur. Donc l’Église m’a attiré car elle me permettait d’échapper à cette emprise d’efficacité professionnelle. Je cherchais un peu plus de gratuité, un peu plus de temps libre, je cherchais le contact avec les autres, et pas simplement une réussite professionnelle.
C’est pourquoi l’aumônerie étudiante m’a bien plu, et c’est pourquoi je me suis aussi occupé d’étrangers et de migrants. L’action est une chose, mais moi j’aimais surtout être le frère, l’ami, l’écoutant. Je n’étais pas une assistante sociale, j’étais là seulement pour écouter.
Et je rends grâce à Dieu car beaucoup de gens sont venus me voir alors que je ne m’estimais pas capable de les recevoir. Ils voulaient simplement parler… Aujourd’hui, je fais beaucoup d’accompagnement humain et spirituel, je n’ose pas dire « direction spirituelle » parce que je ne dirige personne.
A côté de tout ce que tu fais actuellement, tu es aussi écrivain public ?
Oui. Ayant fait un peu de droit, j’ai travaillé dans une association qui accueillait des migrants. Mais je n’étais pas un bon juriste, c’est l’accueil gratuit qui me convenait, et c’est ce que j’ai fait. Puis j’ai été nommé à Strasbourg, et là-bas j’ai continué à voir des étrangers, mais hors cadre associatif. Je me suis contenté d’être leur ami, un écoutant, et je suis devenu écrivain public. Car ces personnes, au bout de quelques années, parlaient bien français, mais l’écrire c’était autre chose. Beaucoup de gens sont venus me voir pour que je corrige leurs lettres ; aujourd’hui encore, parce qu’ils en parlent entre eux. Je suis un « écrivain public privé », c’est à dire que ce sont les gens qui font la démarche, qui viennent me chercher.
Et pour toi c’est important de maintenir l’équilibre entre ce souci des plus pauvres et un côté plus intellectuel ?
La théologie, pour moi, c’est d’abord une proximité avec l’Écriture sainte, et j’espère avec le Christ, et tout le reste s’explique à travers cela. C’est par amour de l’Évangile que je suis capable d’écouter des gens qui ne pensent pas comme moi, qui ne croient pas comme moi, qui croient autrement…ça ne me gêne pas parce que l’Évangile est premier.
Propos recueillis par Pascale Clamens-Zalay, le 7 janvier 2025
La seconde partie de cet entretien sera mise en ligne sur notre site au mois de mars.