« D’ici et d’ailleurs »,

Isabelle Roustang est responsable de la pastorale des migrants sur le diocèse de Créteil. Elle est à l’origine du projet « D’ici et d’ailleurs ».

Isabelle Roustang : Au cours de ma carrière de médecin dans des permanences hospitalières d’accès aux soins de santé (PASS), dans des PMI, dans des prisons, dans une unité médico-judiciaire, je me suis rendu compte que ce dont manquaient les personnes migrantes, c’est de liens fraternels.
Lorsque j’ai pris ma retraite, j’ai gardé des contacts avec beaucoup de femmes migrantes que j’avais suivies, et j’ai pu prendre la mesure de leur terrible solitude. L’une raconte que, pour lutter contre cela, elle passait une partie de son temps dans des bus, de terminus à terminus, pour entendre bavarder les gens, les voir sur leur téléphone en contact avec d’autres, pouvoir leur dire simplement « bonjour ».
Et quand l’évêque m’a missionnée pour la pastorale diocésaine des migrants et des réfugiés — il savait que je travaillais avec eux depuis longtemps — J’ai pensé qu’il était important de faire partager à toute personne « d’ici » en ayant le désir, la joie de la rencontre avec des personnes « d’ailleurs », et de marquer le fait que nous sommes tous frères et sœurs. D’où l’idée « d’ici et d’ailleurs », consistant à constituer des tandems entre personnes « d’ici », (bien insérées dans notre société quelles que soit leurs origines, sans que cela ne nécessite de compétences particulières si ce n’est le désir de rencontres), et « d’ailleurs » (personnes migrantes récemment arrivées en France) isolées, quelle que soit leur religion ou leur situation administrative au regard de la loi française. La seule contrainte est que ces personnes soient hébergées de façon à peu près stable lors de leur insertion dans le projet.

Isabelle Roustang : Bien sûr que non ! J’ai partagé l’idée de cette aventure avec d’autres responsables des pastorales des migrants en Île de France, avec le Service jésuite des réfugiés (JRS), avec des personnes de France Terre d’Asile, des personnes « d’ici » intéressées et une « d’ailleurs », les curés et EAP du secteur, etc. Nous avons fait des annonces au cours des messes, rencontré les personnes intéressées à s’engager dans le projet. Les premiers tandems ont été constitués en mai 2023 à Créteil.

Isabelle Roustang : Le projet met en relation des « tandems » : une femme d’ici avec une femme d’ailleurs, un homme d’ici avec un homme d’ailleurs, un couple avec un couple… Je rencontre individuellement (en tant que référente du groupe de Créteil) une à une les personnes qui souhaitent participer au projet, pour insister sur le caractère non pas « technique » mais humain, fraternel, de la rencontre. Si on peut aller au-delà du purement humain (aide matérielle en cas de grand dénuement, par exemple), tant mieux, mais ce n’est pas le but premier du projet. Le besoin auquel nous tentons de répondre est surtout un besoin de liens, d’oxygène, de chaleur humaine, de culture. Les personnes « d’ailleurs » sont heureuses qu’on leur propose des échanges, une promenade en forêt, la visite d’un musée, un cinéma, ou simplement goûter ou cuisiner ensemble.

Isabelle Roustang : Non bien sûr, nous sommes là pour les accompagner, les conseiller. Dans chaque groupe local « d’ici et d’ailleurs », il y a un référent auquel on peut s’adresser en cas de problème. Et, en plus des rencontres (souvent mensuelles) de chaque tandem, à leur convenance, nous proposons des temps collectifs (6 par an environ) pour tous. Ces temps collectifs sont essentiels, permettent des liens entre tous et réservent parfois de très belles surprises : telle exilée, que sa mère (au pays) croyait morte (car sans nouvelle depuis plus d’un an), a pu la recontacter grâce au frère (du même pays) d’une autre exilée du groupe qui a pu la retrouver localement et les remettre en contact ! Vous imaginez l’émotion !
Et pour les personnes « d’ici », nous proposons des relectures d’expérience, des réunions de réflexion sur certains aspects de la rencontre, (l’interculturel, les problèmes de toute sorte à résoudre…).

Isabelle Roustang : 18 à 20 aujourd’hui, et nous ne souhaitons pas aller au-delà dans ce groupe (et c’est même trop pour avoir le temps d’accompagner chacun). Mais nous encourageons la constitution d’autres groupes, nous recherchons des personnes qui pourraient devenir référents de groupes dans le diocèse. Actuellement, un se constitue à l’Haÿ-les-Roses. Partout, on constate les mêmes demandes de temps de « respiration » de la part des personnes « d’ailleurs » : Se rencontrer, visiter quelque endroit nouveau, parler, se promener dans un endroit calme… selon les désirs de chaque tandem.

Isabelle Roustang : Bien sûr ! Elle suppose à sa base, et ce n’est pas faux, qu’il faut d’abord satisfaire des besoins essentiels comme le toit ou la nourriture. Mais elle relègue en son étroit sommet, en tout petit, le besoin de sociabilité, d’oxygène mental, de culture, comme si c’était secondaire. Or c’est bien à ces besoins fondamentaux que le projet « d’ici et d’ailleurs » essaie de répondre.

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