Dans l’Ancien Testament, Dieu est souvent présenté comme le « Rocher » d’Israël, nom qui traduit sa fidélité inébranlable à son Alliance. Cette union de Dieu avec son peuple est si solide qu’elle résiste à l’épreuve du temps et qu’elle ne se dément pas face aux infidélités répétées des hommes. Oui, notre Dieu est « le Dieu fidèle, éternellement ». Cette fidélité, Israël l’expérimente dans les épreuves ; ainsi en est-il durant l’Exil.
Dans la mentalité juive, il existe un principe selon lequel Dieu rétribue chacun selon sa conduite : récompense pour le juste et malheur au méchant. Les déportations successives à Babylone ont donc d’abord été vécues comme le châtiment des péchés d’Israël : celui des rois qui n’ont cessé de s’écarter de l’alliance divine, celui des puissants qui se sont enrichis au détriment des plus petits, oubliant leur devoir de charité, celui du peuple tout entier qui s’est laissé séduire par d’autres dieux et dont la conduite s’est pervertie. Les exilés auraient pu se sentir abandonnés de Dieu, pourtant cette épreuve va se révéler féconde. Les paroles des prophètes deviennent source de réconfort car, si elles annoncent le châtiment, elles s’accompagnent toujours d’une promesse de renaissance pour peu que l’appel à la conversion soit enfin entendu. Les exilés trouvent des raisons d’espérer au cœur même de leurs difficultés parce qu’ils prennent conscience de la présence de Dieu à leurs côtés. Ils font une relecture de leur histoire et de leur relation à Dieu. « Je te fiancerai à moi pour toujours, je te fiancerai à moi par la justice et le droit, l’amour et la tendresse. Je te fiancerai à moi par la fidélité et tu connaîtras le SEIGNEUR » (Os 2,21-22)
Sous l’influence des prophètes et des prêtres, s’invente une nouvelle façon de vivre sa foi, plus spirituelle : plus de Temple, ni de sacrifices, mais des assemblées (ou synagogues) pour prier et méditer la Parole de Dieu. Peu à peu, c’est un Israël nouveau qui se construit, alors même qu’il redécouvre sa vocation de nation sainte. C’est la communauté des « pauvres de Yahweh », ceux qui ont tout perdu mais qui, humblement, s’en remettent totalement à Dieu car ils ont foi en sa fidélité et en son amour bienveillant, car ils savent que de lui seul vient le salut.
Dans les livres d’Ezechiel et d’Isaïe, Dieu promet la fin de l’exil, il se présente comme le Pasteur d’Israël, il est le berger qui prendra soin des exilés et les ramènera sur leur terre. « Car ainsi parle le Seigneur DIEU : je viens chercher moi-même mon troupeau pour en prendre soin. De même qu’un berger prend soin de ses bêtes le jour où il se trouve au milieu d’un troupeau débandé, ainsi je prendrai soin de mon troupeau ; je l’arracherai de tous les endroits où il a été dispersé un jour de brouillard et d’obscurité. Je le ferai sortir d’entre les peuples, je le rassemblerai des différents pays et je l’amènerai sur sa terre » (Ez 34, 11-13). Il leur donnera un cœur nouveau, il conclura avec eux une alliance perpétuelle et les comblera de bienfaits. « Quand les montagnes feraient un écart et que les collines seraient branlantes, mon amitié loin de toi jamais ne s’écartera et mon alliance de paix jamais ne sera branlante, dit celui qui te manifeste sa tendresse, le SEIGNEUR. Humiliée, ballotée, privée de réconfort, voici que moi je mettrai un cerne de fard autour de tes pierres, je te fonderai sur des saphirs, je ferai tes créneaux en rubis, tes portes en pierres étincelantes et tout ton pourtour en pierres ornementales. Tous tes fils seront disciples du SEIGNEUR, et grande sera la paix de tes fils. » (Is 54, 10-13). Le retour d’un certain nombre d’exilés à Jérusalem témoignera de la fidélité de Dieu à son peuple et du caractère immuable de son Alliance. Forts de leur foi renouvelée et vivifiée par les épreuves, les exilés auront une influence déterminante dans la réorganisation de la vie matérielle et spirituelle de la communauté, malgré les difficultés et les dissensions.
Pourquoi ne pas faire un parallèle entre cet épisode de l’Exil et ce que nous vivons actuellement ?
Durant ces semaines de confinement, nous avons pu souffrir dans notre chair des effets de cette pandémie, ou plus simplement nous sentir totalement entravés par les restrictions portées à nos libertés. Mais dans ce retrait et ce silence, peut-être avons-nous eu la chance de découvrir que, débarrassés, malgré nous, de ce que nous appelions des priorités, un « trésor » nous attendait…une liberté bien plus grande et bien plus exaltante : une liberté intérieure. Celle née d’un cœur à cœur enfin rendu possible avec notre SEIGNEUR. Malgré la peur, la maladie, la mort, tout nous chantait, à nous aussi, sa présence et son amour indéfectibles : l’attention portée aux autres, les gestes de solidarité, le bonheur éprouvé dans les choses les plus simples en attestaient. La nature elle-même éclatait de vie et de couleurs pour célébrer son Créateur. Le confinement, en favorisant le dépouillement, devenait un temps propice à la prière et à la méditation, à une vie intérieure beaucoup plus riche parce que plus accordée à notre vocation d’enfants de Dieu.
Dans La France contre les robots, Bernanos dit de la civilisation moderne qu’elle est « une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure ». Alors, au sortir de cette épreuve, qu’allons-nous faire de notre « trésor » ? Allons-nous reprendre notre course effrénée vers des bonheurs illusoires et fugaces ? Ou allons-nous repenser notre vie et notre relation à Dieu, à l’image des exilés à Babylone, en nous appuyant sur la fidélité d’un Père qui ne nous veut que du bien, lui le seul Bien…
P. Clamens-Zalay