Le rapport « Sauvé » fut comme un tsunami, annoncé, redouté puis révélé… Il déclencha des réactions diverses sans que nous percevions encore les évolutions possibles. Mais le « mal » demeure un mystère permanent et interroge toujours. Ce fut sans doute une question pour François d’Assise et surtout une expérience personnelle et sociale.
Rappelons-nous la première parole entendue par François, lors de sa conversion : « François, va et répare mon Eglise qui, tu le vois, tombe en ruine ». Et il passa vite de la remise en état de la chapelle saint Damien au renouvellement de la communauté chrétienne. L’Eglise de ce temps n’était pas à la hauteur et François ouvrit un nouveau chemin d’Evangile à partir des laïcs. C’est peut-être ce que nous sommes en train de vivre aujourd’hui aussi. Et peu de temps avant sa mort, dans son Testament, François recommande à ses frères de « ne pas juger ceux qui vivent selon le monde ». Cette remarque en dit long sur le mauvais état de l’Eglise en son temps.
Dans un autre écrit, François demande à ce que les frères ne se laissent pas appeler « Père » « car vous n’avez qu’un seul Père ». En faisant cette recommandation, il révèle que, dans toute relation, la qualité de « Père » concerne une situation d’origine, de dépendance et d’autorité, mais ce constat ne dit rien de la vie humaine par rapport « à Dieu de qui vient tout Bien ». Le mot « autorité » parle peu de la proximité et du service significatifs de l’Evangile. Quelle que soit l’époque, nous ne sommes jamais à l’abri de dérives. Pour mettre en garde contre l’autorité, François prend les devants en disant : « Il n’y aura pas de supérieur parmi vous, mais tous s’appelleront « frères ». Et on comprend bien que nommer ainsi une relation peut engendrer plus justement la « Fraternité ».
En poursuivant cet inventaire significatif d’un style de vie, je soulève encore quelques remarques sur la manière d’évangéliser. François est aussi sensible à l’itinérance, deux par deux, ce qui est une autre manière d’annoncer le Royaume. En présence d’un proche, le témoignage est plus crédible, plus sûr et moins personnel. C’est à deux que commence le début du témoignage, référence incarnée de la mission. C’est ainsi que ce fut une nouvelle manière d’annoncer l’Evangile. L’enseignement devient vie transformée sur leur passage.
Un autre élément est contenu dans l’appel de l’Evangile, c’est la « conversion ». Il s’agit moins d’une expérience personnelle miraculeuse que « d’une manière d’être » en évolution permanente avec la force de l’Esprit, au milieu des événements de la vie. L’expérience de la foi est un chemin parcouru avec une volonté permanente d’évoluer et de choisir l’essentiel. A tous moments, nous sommes conscients des régressions, des dérives, des limites qui peuvent naître en nous. Cette dynamique de la conversion est précieuse au quotidien. Mystérieusement mais réellement, le mal est présent dans les fragilités de nos vies, d’où cette insistance sur la veille pour garder le cap.
Rappelons-nous enfin que dès le début de la Bible, certains récits portent des traces du combat permanent entre le Bien et le mal qui traversent le monde créé. Nous avons la mémoire courte et le quotidien ne montre pas tout de suite les avancées ou les résistances de la vie, il faut le temps de la relecture pour percevoir ce qui est croissance dans l‘histoire personnelle et collective. Nous avançons souvent comme des aveugles ou des automates. Sans cesse le bonheur et les échecs sont mêlés. Le royaume présent n’est pas un lieu chimiquement pur. Dans nos temps de prière est souvent confessée la reconnaissance du mal qui malmène la vraie Vie. « Délivre-nous du mal passé, présent et futur » dit François dans sa prière. C’est toute notre histoire qui est défigurée par le mal, personnellement et collectivement, avec des chocs plus ou moins violents.
« Délivre-nous du mal », ce n’est pas un mythe, c’est la reconnaissance permanente d’une vie imparfaite, et un engagement à changer notre manière de vivre ensemble. Avec le rapport Sauvé, nous sortons d’une vie idéalisée, mais partagée, à des degrés divers, par tous. Nos yeux s’ouvrent sur cet Exode auquel nous sommes appelés. C’est comme un « Synode » pour édifier ensemble un monde nouveau. Le livre de l’Apocalypse annonce qu’à la fin « l’Amour aura le dernier mot ». C’est notre Espérance, ébranlée récemment, mais dont Jésus témoigne toujours, par miséricorde et par don sans condition…
Fr. Thierry, Lille
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Le rapport Sauvé* : une épreuve salvatrice ?
La sexualité a débordé le domaine intime pour devenir un thème public, tandis que la foi (hormis les débats politiques sur la laïcité) se voit toujours plus reléguée à la sphère privée, dans une inversion qui, bien qu’elle passe généralement inaperçue, pose de profondes et graves questions sur l’évolution — ou l’involution — de nos sociétés. Il serait bon de replacer le rapport Sauvé dans ce contexte, car l’Église, en tant qu’institution, ne vit pas hors du temps historique, pas plus que le peuple des fidèles serait distinct du reste de l’humanité, qui est tout entière peuple de Dieu. Bien sûr, il n’est pas question pour autant d’exonérer l’Église des abominations commises en son sein, et l’on ne peut que se réjouir de l’occasion offerte de les reconnaître dans toute leur ampleur terrible et d’y mettre fin par une catharsis sans concessions. En revanche, il est capital d’aller plus loin que la seule condamnation d’autrui — manière facile et peu chrétienne de se débarrasser de la faute — et d’interroger les conditions qui ont rendu de tels crimes et de tels drames possibles. Ce dépassement est la tâche rédemptrice de l’Église, et primordialement celle de ses fidèles, trop souvent aveugles, sourds, passifs devant le réputé impensable.
Reconnaissons que l’Église, avec beaucoup de sévérité et peu de miséricorde, a pu s’ériger en censeur absolu des bonnes mœurs, et que tous les puritanismes en même temps que toutes les hypocrisies se sont trop souvent abrités en elle. Le rapport Sauvé met cruellement au grand jour le pharisianisme de ceux qui « lient des fardeaux pesants, et les mettent sur les épaules des hommes, mais (…) ne veulent pas les remuer du doigt » (Matthieu, 23-4). Peut-être y a-t-il là matière à revoir positivement les modalités d’intervention de l’Église dans la morale collective, par exemple en réunifiant la notion de péché à celle du pardon ? Il est par ailleurs à noter qu’aujourd’hui, c’est l’État qui légifère, non sans arbitraire, sur ces aspects de la vie des individus, ce qu’il serait bien imprudent de considérer comme un progrès bien qu’il le fasse au nom d’avancées « sociétales ». N’ayons pas la naïveté d’ignorer la force d’un athéisme militant qui voudrait la sécularisation intégrale et définitive de la société. Mais n’ayons pas non plus la nostalgie d’une institution ecclésiale maîtresse des mœurs : la sécularisation est une chance pour l’Église de repenser constamment son rôle et sa place dans la société. Le rapport Sauvé est à ce titre l’occasion d’une saine dialectique, profitable à l’Église comme à la société.
La douloureuse épreuve que l’Église traverse la convoque d’urgence à une remise en question radicale : à une conversion en conscience et en acte. Ni pour elle ni pour les fidèles, la sainteté est un statut acquis a priori et pour toujours : c’est au contraire un long chemin, un combat de chaque instant contre les tentations dans lesquelles nous prions inlassablement Dieu de ne pas nous laisser entrer. Ce n’est pas refus de son autorité, mais pure miséricorde que de ne pas enfermer le prêtre dans une toute puissance solitaire entourée de secret, comme s’il était au-dessus de toute tentation. Au contraire, le peuple des fidèles est appelé à faire preuve de courage et d’initiative, comme le prêtre est appelé à l’écouter, à se laisser guider autant qu’il le guide. Devant Dieu, c’est une responsabilité collective car c’est ensemble qu’Il nous invite à suivre les voies de la sainteté, sans laisser personne derrière, sans se cacher derrière personne qu’on aurait commodément placé devant. Il ne s’agit pas de « démocratiser » l’Église, ce qui est un non-sens, mais de la remettre au centre de son peuple, à son service, à son écoute intime, et qu’il y prenne toute sa place, toutes ses responsabilités individuelles et collectives, pour la paix, pour le bien, et pour le salut du monde.
Le comité de rédaction
* Les violences sexuelles dans l’Église catholique. France 1950 2020.
MIGRANTS, EMIGRANTS, IMMIGRANTS.
Avec la campagne présidentielle, nous assistons à une suren-chère de discours sur les migrants et la sécurité. Les citoyens plongés dans la peur de l’autre sont incités à le désigner comme « bouc émissaire » responsable de tous leurs maux. Mais la peur et la haine sont bien mauvaises conseillères. Notre société se veut pourtant fondée sur la déclaration universelle des droits de l’homme qui proclame : « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. » ; « Devant la per-sécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays. » (articles 9 et 14). Bien avant déjà, l’Evangile enseignait que nous sommes tous frères : « Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli; » (Matthieu, 35). Ins-pirons-nous de ces quelques lignes pour penser ces questions tout autrement, avec notre raison et notre cœur.
L’humanité est en mouvement depuis ses origines, dans son berceau africain. Aujourd’hui, les migrations se multiplient avec la mondialisation, le développement des moyens de transport, de communications et le creusement des inégalités géo-économiques et écologiques. La prétention de bloquer ce mouvement inhérent à la condition humaine est illusoire, inhumaine et anti-historique, notamment en France et en Europe qui sont depuis toujours des zones de grand brassage, d’immigration comme d’émigration. Qui d’entre nous ne trouve pas un ancêtre « venu d’ailleurs » ou « parti à l’étranger » dans son arbre généalogique ? Tout immigrant est un émigrant qui a quitté son pays. Il ne le fait pas de gaîté de cœur, mais sous la contrainte, la menace de famine ou de mort, parfois dans l’espoir d’un Eldorado mensonger. Sa famille, ses proches, son pays ne voient jamais partir sans une tristesse in-quiète ni sans regret cette jeunesse qui s’en va avec toutes ses promesses, affronter les périls d’un voyage plus qu’hasardeux pour ne trouver à l’arrivée, si elle arrive, que rejet, mépris et mi-sère. Que fait-on pour y remédier ? L’accumulation de décisions lé-gislatives et réglementaires aboutit à une complexité telle qu’elle semble conçue uniquement pour bloquer les demandes, rallonger les délais d’instruction, tandis que les demandeurs restent prison-niers de situations humainement insupportables dont les idéo-logues, les démagogues font un enjeu électoral qui ajoute à la con-fusion et à la difficulté.
De nombreux « sans papiers » survivent à côté de nous sans droits, sans aucune protection d’aucune sorte. Ils sont la proie de tous les trafiquants et de tous les exploiteurs cyniques : mar-chands de sommeil, travail au noir sous-payé, esclavage sexuel, trafic de drogue, etc. Ils sont livrés à la rue, jetés dans des centres de rétention ou bien parqués dans des « jungles ». Est-il accep-table, alors que les pays pauvres sont ceux qui comptent le plus de réfugiés, qu’un pays riche comme le nôtre se montre si peu ac-cueillant, sous des prétextes culturels, économiques et sécuritaires fallacieux ? Car l’immense majorité des migrants ne demandent qu’à participer à la vie collective, et c’est même dans cet espoir qu’ils sont venus. Allez par exemple au marché : la plupart des commerçants, maraichers, bazardiers, fripiers ne sont-ils pas d’origine étrangère, ne sont-ils pas polyglottes, ne font-ils pas par-tie de notre quotidien sans soulever d’autre difficulté que celle de la rencontre fraternelle, bénéfique à tous ?
Notre humanité est menacée par tout autre chose : la surex-ploitation des richesses au profit croissant d’un nombre toujours plus restreint, la misère, la famine qui s’aggravent d’autant et tou-chent des populations toujours plus larges, sans parler des me-naces climatiques et écologiques. Comme l’a encore montré la co-vid, personne ne pourra lutter ni se sauver tout seul : notre avenir passe par la solidarité et le partage. Comme chrétien, comme frère humain, c’est la voie que je choisis.
Le comité de rédaction
Pace e bene
Lorsque je travaillais dans l’édition, je me souviens d’un questionnaire adressé par le Syndicat national du livre à toutes les maisons d’édition françaises. Il s’agissait de cocher toutes les cases des domaines dans lesquels pouvaient être classées nos publications. Il se trouve qu’à l’époque, en plus de livres sur l’écologie ou l’économie solidaire, nous publiions des témoignages et des essais sur la construction de la paix. J’ai cherché à quoi ils pouvaient correspondre dans la (longue) liste qui nous était envoyée. En vain. Il y avait bien des cases « armée » ou « art de la guerre », mais d’« art de la paix » ou de « résolution des conflits », point. Cet échec dans ma recherche m’a paru alors en dire long sur nos représentations collectives des situations de violence. Il est loin le temps où Tolstoï intitulait son roman-fleuve « La guerre et la paix »… On peut dire que les médias au sens large, et ce n’est pas nouveau, s’intéressent bien davantage aux ravages de la guerre (qu’il faut évidemment faire connaître) qu’aux efforts de paix qui se développent néanmoins ici et là.
La flambée de violence à laquelle nous venons d’assister au Proche-Orient, et l’impuissance des Nations-Unies à peser sur ce conflit nous rappellent l’urgence de nous unir, en tant que croyants des différentes religions en présence, pour influer sur les décisions géopolitiques de nos gouvernants. Évoquant la situation lors de l’Angélus du 16 mai dernier, le pape François s’écriait : « Ces morts sont terribles et on ne peut pas les accepter. Elles sont le signe que les gens ne cherchent pas à construire mais bien à détruire l’avenir. »
« Construire l’avenir », et y croire… L’affrontement israélo-palestinien est tellement entré dans la routine — désastreuse routine — qu’on avait presque fini par l’oublier. De nouvelles vagues de conflits, partout dans le monde, l’avaient relégué au second plan, alors qu’il continue d’envenimer les relations internationales, et qu’il se développe au cœur même de la Terre Sainte où s’ancre la foi des trois religions du Livre. En effet, comme le dit le pape, on ne peut pas l’accepter, tout comme saint François n’acceptait ni la façon dont l’Église de son époque considérait les « Sarrazins », supposés suppôt de Satan, ni les conflits internes à sa propre région d’Ombrie.
François ne nous a pas laissé de manuel de construction de la paix. Mais une injonction croissante à tenter le dialogue partout où une faille fait entrevoir qu’il est possible. Faille du loup de Gubbio lorsqu’est mise à jour l’origine de sa violence (la faim), faille des brigands surpris d’être traités en frères et nourris, faille du sultan effaré de voir François venir à lui désarmé et pacifique… Tous ces éléments des biographies du Poverello, et bien d’autres, demeurent décisifs par leur symbole et par les démarches qu’ils ont inspiré ensuite aux faiseurs de paix inspirés par la spiritualité franciscaine : par exemple les initiateurs de San’t Egidio, des cercles de silence, ou du comité interreligieux de la famille franciscaine…. Pace e bene.
Construire l’avenir c’est aussi faire connaître ces démarches. On le sait peu, un très grand nombre d’associations œuvrent actuellement, en Israël et en Palestine, dans le sens du dialogue. L’Alliance pour la paix au Moyen Orient (ALLMEP www.allmep.org) en regroupe pas moins de 150, dont toutes sont loin d’être aussi connues que le village de Neve Shalom. Est passée presque inaperçue en mai dernier la pose à Berlin, par des chrétiens, des musulmans et des juifs, de la première pierre d’un lieu de culte commun, la House of one, reliant entre elles par un grand hall commun où des événements et des fêtes pourront être célébrées une mosquée, une synagogue, et un temple protestant. Encore un symbole et une preuve que beaucoup de croyants refusent la fatalité et continuent de croire, en le construisant, à un monde plus pacifique.
M. Sauquet
Un jour à la fois
Entre le jour où je prends le clavier pour vous rejoindre et celui où vous lirez ce message, il peut s’écouler du temps ! Il y a des questions dont on parle tous les jours, quelle que soit la météo : certains se confient sur leur santé… mais d’autres évoquent aussi les élections régionales ou présidentielles, ou les vacances et la reprise déjà proche. Qu’on le trouve long, ou qu’on ne le voit pas passer, le temps est la dimension de l‘épreuve de la solitude comme de la grâce de la rencontre. Nous ne pouvons pas toujours prévoir l’avenir et les mois de confinement rendent plus fragiles nos espoirs de lendemains meilleurs. Cependant, le quotidien de notre histoire personnelle se vit jour après jour, dans la durée.
On pourrait se contenter de relire ces pages éternelles de la Bible qui font l’inventaire de ce temps de la création qui est aussi le temps de Dieu (cf. le livre de Qohéleth). Pour faire bref, je dirais simplement que tout le Nouveau Testament est rempli de références au « temps », au « commencement », à la « fin des temps », à « l’éternité ». Le temps est constitutif de la création et notre conversion personnelle se déroule dans la durée. « Ne perdons pas notre temps » C’est toujours le temps de Dieu, c’est toujours le temps de l’Amour. Pour l’essentiel, il y a urgence. Nous entendons mieux aussi l’exhortation de François d’Assise : « Frères, commençons ». Il nous réconforte !
Mais nous ne pouvons oublier, en cette période estivale, ce droit, si difficilement acquis, des congés annuels, et intégrer à notre réflexion « le septième jour où Dieu se reposa ». Se distraire, souffler, se détendre, sont des aspects de notre existence, que nous devons aussi prendre en considération. Entre le désert de la solitude et le bain de foule, le temps nous est donné pour contempler la vie en croissance, collective ou personnelle, et cela laisse deviner le projet de Dieu dans l’Histoire des hommes au sein de laquelle, avec le temps, il œuvre et agit.
Entre élections municipales passées et présidentielles à venir, nous avons aussi la matière première du « temps » qui nous est confié. Les candidats prennent la parole pour dire leur projet de vie collective, tantôt pour acquérir du pouvoir, tantôt pour se mettre au service de tous. Difficile d’y voir clair, mais là comme ailleurs, il s’agit de transformer la société pour un mieux, sinon pour un moindre mal, de prendre soin des groupes et des faibles, de fonctionner dans le respect des personnes. Tous pourraient s’inscrire dans la Fraternité comme objectif et comme bien commun.
C’est ainsi que le court terme qui rythme la vie : « un jour à la fois » appelle, en vacances et durant l’année, le long terme qui construit peu à peu le temps long, chemin d’éternité.
« Paix et Bien » pour contempler, réconforter et agir.
Fr. Thierry
1er mai, Fête du travail ou fête des travailleurs ?
Quelles mutations du travail aujourd’hui ?
Depuis les origines de l’espèce, l’homme a survécu en mettant en œuvre diverses techniques qui lui ont permis de répondre à ses besoins élémentaires : la nourriture, la défense contre les agressions externes, animales ou intempéries climatologiques. Cette réponse à une nécessité vitale a été un travail, à la fois d’intelligence, de créativité, mais aussi de confection, manuelle à l’origine, puis de plus en plus mécanisée au fil des siècles. Les bénédictins en avaient fait dès le 5ème siècle un des piliers de leur vie contemplative et communautaire.
L’homme travaillait pour vivre. J’ai connu des membres de ma famille, qui possédaient toutes ces techniques élémentaires qui leur permettaient de répondre à quasiment tous leurs besoins à partir de l’exploitation de leur petit bout de montagne dans le nord de l’Italie. Ils étaient catholiques, mais la vertu dominante chez eux, c’était le travail et plus précisément le travail manuel. L’Eglise ne s’est pas trompée en faisant de ce premier mai, en 1955, la fête de Saint Joseph travailleur.
Lorsque la terre familiale ne permettait plus de nourrir toutes les bouches, les derniers arrivés prenaient la route pour trouver ailleurs le moyen de subsister. C’est ainsi que mon arrière-grand-père paternel a pris la route vers la France ; il est arrivé à Paris en 1856, âgé de 8 ans. L’hospitalité de ce coté-ci des Alpes, n’était pas meilleure qu’aujourd’hui pour les migrants. Il a néanmoins survécu, fondé une famille malgré les aléas sociaux et politiques qui ont nécessité parfois des allers-retours : commune de Paris, assassinat de Sadi Carnot, première guerre mondiale, entre autres.
Mais, en toutes circonstances, c’est la vertu du travail qui dominait, c’est le premier point que je voulais souligner, car c’est, pour moi, le premier versant de cette fête. Saint François d’Assise a inscrit l’obligation du travail dans les règles de 1221 et 1223, et il la rappelle avec force dans son testament : » Et je travaillais de mes mains et je veux travailler ; et je veux fermement que tous les autres frères travaillent d’un travail qui relève de l’honnêteté. Que ceux qui ne savent pas apprennent, non pour le cupide désir de recevoir le prix du travail, mais pour l’exemple et pour chasser l’oisiveté. Et quand on ne nous donnerait pas le prix du travail, recourons à la table du Seigneur en demandant l’aumône de porte en porte. »
L’autre versant de cette fête, plus collectif, est la solidarité des travailleurs, qui se manifeste assez tôt dans l’histoire ; elle est évidemment plus forte chez les travailleurs que la nature de leur travail oblige à unir leurs forces, on peut penser aux bâtisseurs de cathédrales. Le syndicalisme s’inscrit dans la lignée des groupements corporatifs (métiers, compagnonnage…) des sociétés modernes et médiévales. Ces groupements sont interdits par la loi Le Chapelier de 1791 et subissent une répression opiniâtre lors de la première révolution industrielle. La révolution française avait déjà institué une fête du travail, que Fabre d’Eglantine dés 1793, proposait dans son calendrier républicain. Cette journée des travailleurs fut instituée le 20 janvier par Saint Just, et fut célébrée pendant quelques années. Les syndicats ne sont cependant légalisés qu’en 1884 avec la loi Waldeck-Rousseau, qui comporte encore plusieurs restrictions. En particulier, le syndicalisme fut interdit dans la fonction publique. En 1867, au Familistère Gaudin, nait une fête du travail, fixée au 5 juin, qui est encore célébrée aujourd’hui. Le 1er mai est la journée internationale des travailleurs dans de nombreux pays, qui commémore les luttes pour la journée de huit heures.
Dans l’histoire récente le massacre de Haymarket Square, à Chicago, constitue le point culminant de cette journée de lutte, et un élément majeur de l’histoire de la fête des travailleurs du 1er mai.
• 1886 : à l’appel de l’American Fédération of Labor, 350 000 travailleurs débrayent aux États-Unis pour réclamer la journée de travail de huit heures. Le massacre de Chicago constitue le point culminant de cette journée de lutte et un élément majeur de l’histoire de la fête des travailleurs du 1er mai.
• 1889 : première journée internationale de revendication des travailleurs, instituée par la deuxième Internationale ouvrière, qui a donc adopté le 1er mai comme jour de revendication.
• 1891 : en France, fusillade de Fourmies. À Fourmies (Nord), lors de la première célébration française et internationale de la journée d’action du 1er mai, la troupe tire sur les grévistes faisant dix morts (hommes et femmes âgés de 11 à 30 ans) et trente-cinq blessés.
La révolution industrielle du 19ème siècle a accéléré le mouvement de résistance des travailleurs aux exigences du capitalisme naissant, et a favorisé, dans le même mouvement, la naissance de syndicats qui se démarquent du corporatisme médiéval pour créer les confédérations que nous connaissons aujourd’hui, lesquelles regroupent des travailleurs de tous métiers, nationalités, âges, cultures, religions et opinions, même si demeurent chez certains des relents de corporatisme (on l’a vu à la SNCF par exemple au moment du débat sur la réforme des retraites). Bien qu’elles n’échappent pas au clivages politiques et, souvent hélas, aux envies de domination, ces confédérations défendent utilement les droits des travailleurs.
Ce que je trouve intéressant dans ce versant collectif de la fête, c’est la solidarité qu’elle manifeste, non seulement entre les métiers au plan national, mais aussi entre syndicats au niveau international. On peut souhaiter que les manifestations du 1er mai en ce temps de pandémie soient unitaires et répondent au grand défit du moment : comment redonner du travail, au sens d’une occupation qui soit utile au corps social et qui permette à chacun de vivre dignement, à tous ceux qui l’ont perdu ou qui n’en ont jamais eu ?
Car c’est « Du jamais vu dans l’histoire. » Recensant l’impact sur l’emploi de la crise sanitaire, l’Organisation internationale du travail (OIT) tirait en janvier 2021 la sonnette d’alarme. La baisse du nombre d’heures de travail l’année dernière s’est traduite au niveau mondial par la destruction de 114 millions d’emplois, dont les femmes et les jeunes travailleurs ont été les premières victimes. Le nombre de chômeurs a fait un bond considérable – 33 millions de personnes ont glissé vers le chômage – mais, plus préoccupant encore, 81 millions d’individus sont passés de l’emploi à l’inactivité. De quoi augmenter le taux de pauvreté, dans un contexte où les revenus liés au travail ont baissé globalement de 3 700 milliards de dollars. Bien sûr, tous les pays et tous les secteurs ne sont pas dans cette situation. Mais, partout sur la planète, Covid-19 est synonyme de tremblement de terre…
Certains attendent le retour de la croissance du PIB comme la solution à tous nos problèmes ; d’autres, comme Gaël Giraud, espèrent, je devrais dire prient, pour sa suppression et le remplacement du système économique néolibéral hors-sol actuel, qui est une course sans fin au toujours plus pour le profit de quelques uns, par un système qui permette une croissance douce et équitablement profitable à tous, salariés ou investisseurs, et donc avec de nouveaux indicateurs.
Mais cela ne saurait suffire ; il faudrait dans le même temps mettre en œuvre un programme d’instruction publique vraiment universel qui donne aux enfants du monde les savoirs élémentaires en fin de primaire. Et, toujours dans le même temps, combattre vigoureusement le dérèglement climatique et arrêter la fonte des glaciers.
Cela ne semble possible, que si des régimes réellement démocratiques sont instaurés partout, et que les habitants de la planète acceptent la frugalité comme règle de vie, comme le Pape François les y invite.
Même si l’humanité, par miracle, se mettait d’accord dés demain sur ce programme, y aurait-il pour autant du travail pour tous ? Il faudrait encore que tous ceux qui sont en capacité de travailler acceptent de s’adapter à de nouveaux métiers, dont certains n’existent pas encore, et de les pratiquer dans un esprit de service rendu à la collectivité.
Tout cela semble impossible ; le prix à payer de cette crise sera, quoi qu’on fasse, très lourd et les conséquences désastreuses pour beaucoup de pays. Et dans chaque pays, il y a des peuples qui souffrent.
Certes, mais l’Espérance du temps pascal nous porte à l’optimisme ; de toute crise peut naître du neuf. On donne souvent comme exemple de réalisation qui semblait impossible, la mise en route de la communauté européenne au lendemain de la seconde guerre mondiale ; or des nations qui se sont combattues à trois reprises en moins d’un siècle sont entrées dans un cercle vertueux de paix et d’alliance.
Justement, ici ou là, des gestes de solidarité apparaissent au niveau international. Prions pour qu’ils soient exempts de toute arrière-pensée d’hégémonie financière ou politique et, répondant à l’invitation du Pape François dans sa lettre encyclique Fratelli Tutti, soyons les bons samaritains qui prennent soin de ce monde en souffrance.
Jean-Pierre Rossi
Parole et silence
Lorsque vous demandez à un avocat de vous défendre, c’est pour fonder une réputation ou les choix personnels ou publics mis en cause. Et nous voyons combien le rôle de l’avocat est important dans de nombreuses situations actuelles. L’enjeu, c’est de faire apparaitre la vérité dans une relation exprimée. Il faut associer à la parole le silence imposé ou subi, le pouvoir d’agir ou la faiblesse de celui qui accepte la parole ou l’action engagées. Toute notre vie est qualifiée par la relation vraie ou inexacte. Si la parole vraie n’est pas à la base de tout, nous vivons dans le flou, sinon dans le mensonge, et elle ne favorise pas la paix mais le conflit permanent. Certaines personnes assument un service précis dans la société pour faciliter cette communication. Dans divers domaines, ce service de la parole est précieux et indispensable pour aboutir à une vie vraie.
Nous pourrions faire l’inventaire de ces lieux producteurs de projets et de progrès. Des jeunes, des séniors, des architectes, des politiques, des éducateurs, des orthophonistes, des enseignants ont à cœur de faire émerger une pensée, pour eux-mêmes d’abord, puis pour la vie collective. Révéler, faire naître, disent les effets premiers de cette parole exprimée, puis engagée, par des êtres qui grandissent grâce à la force de la Parole. Ce souffle peut sembler du vent, mais c’est une force créative. La Bible, dès les origines, montre l’efficacité de la Parole : « Dieu dit, il créa le ciel et la terre, et ce qu’il dit exista »…
Au fur et à mesure, l’humanité, dans sa double expression féminine-masculine découvre que son Esprit est de même nature que Dieu, et elle en saisit, peu à peu la portée et le sens. Dans un lent développement, à travers l’histoire, les humains ressentent le goût de l’amour, et dans ce filet porteur qui se tisse et englobe tout, ils apprennent à dire : Merci et Pardon, je t’aime ou aide-moi à vivre de ton Esprit. Peu à peu l’humanité découvre de quelle nature elle est, et le pouvoir qui est le sien. Auteur de Bien, par sa source et son aboutissement, l’humanité est aussi auteur de mal, et fauteur de trouble. Sa vie est double et sa parole le devient aussi. C’est ainsi qu’en notre temps, dans le monde où nous vivons, la Parole peut féconder et annoncer un monde meilleur ou installer un chaos malheureux.
Dans les drames dont nous sommes témoins — et les exemples sont nombreux dans tous les domaines — il est possible de convertir ou de pervertir la vie pour le meilleur et pour le pire. Selon la situation, la Parole, traitée en vérité, devient lumière. C’est possible à partir du courage et de l’audace mis en œuvre et en mots pour lutter contre le mal. Mais elle peut être aussi source de peurs qui paralysent la vie. Les enjeux sont immenses. « Celui qui fait la Vérité vient à la lumière » et il met un peu plus de lumière autour de lui. Dieu est au bout du chemin. Ce n’est évident pour personne. C’est difficile à saisir mais des hommes et des femmes y ont pourtant laissé leur vie. Oui, on peut mourir pour avoir proclamé la Vérité. C’est d’ailleurs ce que nous avons évoqué récemment, lors de l’expérience pascale de Jésus. Pour nous, jour après jour, nous menons un combat spirituel, facilité par la communauté et soutenu par ceux qui ont conscience du risque et de la valeur spirituelle de la parole. Elle est propre à Dieu et aboutit en la Personne de Jésus qui mène à la lumière.
Fr Thierry
Joseph, vous avez dit Joseph ?
En cette année déclarée par notre pape « année saint Joseph » et en ce mois de mars qui, le 19, célèbre sa fête, que dire de cet honnête père de famille, artisan de son état, et surtout, comme le précise l’évangile de Matthieu, « homme juste » ? Qu’est-ce qu’un homme juste, et qu’est-ce, pour nous tous qu’être « justes » dans ce monde plutôt injuste ?
Quand on se souvient de l’attitude de Joseph lorsqu’il apprit que Marie, son épouse, était enceinte à son insu, on comprend qu’il a fait alors tout à la fois preuve de justesse et de justice. Justesse par la délicatesse de sa première réaction, consistant à ne la répudier qu’en secret, sans le faire publiquement et de manière tapageuse comme l’esprit de son époque aurait pu le pousser spontanément. Et justice, en refusant la dénonciation et en protégeant Marie, comme le firent, près de vingt siècles plus tard, tant de « Justes » qui évitèrent à des milliers de juifs l’extermination nazie. Justesse et justice chez cet homme qui, ensuite, après la révélation de l’Ange du Seigneur, « prit chez lui son épouse » sans se soucier des préjugés, des on-dit et des ragots qui n’ont sans doute pas manqué de circuler dans le Clochemerle de Nazareth : « Tu te rends-compte, enceinte avant même qu’ils aient habité ensemble ! ». Acceptant de sauter dans l’inconnu, pressentant une vérité qui le dépassait, il accueillit Marie avec amour, la choya, l’accompagna dans sa grossesse et dans l’aventure de la crèche de Bethléem, et s’enfuit en Égypte avec elle et l’enfant pour les protéger de la fureur d’Hérode.
Quel défi pour nous tous, si souvent terrifiés par le regard des autres, lâches parfois, esquivant les difficultés, dégageant en touche en présence de situations peu claires… Et par-dessus-tout, manquant de cette justesse, de cette foi et de cette espérance que manifesta cet homme qui n’hésita pas à croire ce qu’en songe l’Ange lui avait révélé, pas plus que Marie n’avait hésité à croire l’Ange de l’Annonciation.
Nous débattant, surtout en ces temps de pandémie, dans un monde incertain, nous avons plus que jamais besoin de cette foi, de cette espérance, et de cette simplicité de Joseph. Simplicité… Peut-être naïvement, je l’imagine au travail dans son atelier et dans ses chantiers, apprenant à son divin fils tel ou tel secret pour bien raboter une planche, scier droit, positionner un tenon, concevoir une huisserie qui tienne, traiter le bois contre l’humidité, les vrillettes et les termites, je l’imagine serein, pleinement dans l’instant présent, heureux d’un travail bien fait, « sans ombre ni trouble au visage », comme dit le psaume…
Pourtant, Joseph ne vivait pas dans une bulle et même s’il ne recevait pas les chaînes TV d’information en continu, il ne pouvait ignorer la violence, les inégalités, les injustices de son époque. De sa sérénité supposée dans un monde en ébullition, de sa patience, de son refus de l’enfermement, de son acceptation de l’inattendu, de l’incertain, nous pouvons aujourd’hui nous inspirer pleinement. Au lieu de monter au créneau face au retard des vaccins, d’exiger de la science qu’elle soit exacte et infaillible, des dirigeants politiques qu’ils ne se trompent jamais, au lieu de nous recroqueviller sur notre angoisse, ne pouvons-nous nous inspirer de la foi de Joseph dans l’avenir et, avant de juger les autres, voire de les agonir de reproches, ne pouvons-nous commencer par nous convertir nous-mêmes, comme saint François ne cessait de nous supplier de le faire ?
Vivre l’inattendu, l’incertain non dans la peur mais dans le souci de contribuer, par des actes concrets (de solidarité, de partage, de lutte contre les inégalités) à un monde plus durable et plus vivable, voilà bien le défi qui se présente à nous aujourd’hui. La pandémie nous oblige à nous secouer, à sortir de nous-même, à « aller vers les périphéries » comme nous y incite le pape, et à ne jamais, jamais rester indifférent au monde qui nous entoure.
Michel Sauquet
Et pendant ce temps là…
En ce début d’année, la pandémie, qui sévit depuis une année, continue de nous assaillir et perturbe la vie quotidienne de toute l’humanité. Nous en souffrons tous et supportons plus ou moins facilement, chacun selon son tempérament, cette situation qui implique fortement l’ensemble des personnels de santé et mobilise l’attention des dirigeants. Notre santé avant tout ! Les conséquences immédiates sont bien visibles et, malgré les dispositifs déployés par les gouvernants, les gens continuent de mourir dans la solitude des EHPAD et des hôpitaux, la situation économique se détériore dans tous les secteurs d’activité. La jeunesse, particulièrement affectée économiquement et culturellement, se désespère. Nous en souffrons tous, d’une manière ou d’une autre.
Les médias nous assaillent, eux aussi, au moins autant que la pandémie elle-même, sur l’évolution de la maladie, ses conséquences, les vaccins, les traitements, et multiplient les débats et informations souvent contradictoires sur le sujet, à tel point que nous pouvons conclure que personne ne sait de quoi il retourne. On ne parle plus que de ça et cela conditionne toute notre existence …
Et pendant ce temps là … le pape François invite à la fraternité universelle
Après Laudato Si, le pape poursuit sa recherche franciscaine avec l’encyclique Fratelli Tutti, Tous frères, une fraternité universelle, comme Saint François l’a rêvée. Cela interpelle la famille franciscaine et j’en citerai quelques passages pour illustrer notre actualité.
Fratelli Tutti: « Le XXIe siècle « est le théâtre d’un affaiblissement du pouvoir des États nationaux, surtout parce que la dimension économique et financière, de caractère transnational, tend à prédominer sur la politique. » (172)
« aujourd’hui, aucun état isolé n’est en mesure d’assurer le bien commun de sa population « (153)
Et pendant ce temps là … notre maison brûle
La gouvernance globalisée continue d’imposer son dictat sur la planète, au détriment des peuples et au profit des forts ; états ou conglomérats, c’est toujours la force qui domine. Cette gouvernance poursuit son exploitation forcenée des hommes et de la planète. Jacques Chirac a dit un jour « notre maison brûle et nous regardons ailleurs » ; malgré leur adhésion à la convention de Paris en 2015, nombre de pays, sous la pression des lobbies, peinent à mettre œuvre les politiques qui permettraient d’atteindre les objectifs fixés ; nous en avons un bel exemple chez nous avec le glyphosate. La planète Terre n’en peut plus d’être maltraitée, par les souffrances que nous lui infligeons, qui se traduisent par une lente et continue dégradation de la vie. Les convulsions de la terre, tempêtes, pluies diluviennes ou tremblements de terre qui en résultent, sont autant de signaux d’alerte qui ne sont pas pris en compte.
La montée du populisme qui se nourrit du nationalisme, partout dans le monde, et l’arrivée au pouvoir de dirigeants niant la crise environnementale et favorisant une économie orientée par la recherche du profit maximum, a encore accéléré cette dégradation.
Fratelli Tutti: « Incontestablement, « jamais l’humanité n’a eu autant de pouvoir sur elle-même et rien ne garantit qu’elle s’en servira toujours bien ». Nous ne pouvons donc plus penser à la guerre comme une solution, du fait que les risques seront probablement toujours plus grands que l’utilité hypothétique qu’on lui attribue. Face à cette réalité, il est très difficile aujourd’hui de défendre les critères rationnels, mûris en d’autres temps, pour parler d’une possible “guerre juste”. Jamais plus la guerre ! »(258)
Et pendant ce temps-là … les conflits persistent
Dans les relations internationales, les Etats-Unis, avec la complicité des monarchies du golfe Persique et d’Israël, et en imposant un embargo sur l’Iran a donné un très mauvais signal, pour la recherche d’une solution pacifique des tensions au Moyen Orient ; en abandonnant l’Afghanistan, la Syrie et l’Irak, à leur sort, ils les condamnent à subir la loi de l’obscurantisme. La Chine de son coté poursuit sa répression à Hong Kong et sur les minorités Ouigours et Népalaises et poursuit ses pressions sur Taiwan.
Des conflits que l’on pensait éteints reprennent de la vigueur, conflits interethniques entre nomades et sédentaires, conflits pour le contrôle des territoires et l’exploitation des ressources de la terre, frontières contestées, conflits religieux … Des guerres se poursuivent sur tous les continents, et nos armées y participent parfois, sans contrôle de nos représentants élus, c’est-à-dire sans notre accord. Sans parler des livraisons d’armes de notre industrie aux belligérants …
Les condamnations des nations de l’Union Européenne, plombées par les désaccords entre états qui rendent sa diplomatie muette ont aussi peu de poids que celles de l’ONU. Que font les peuples européens pour peser sur leurs dirigeants ? Que faisons-nous ?
Fratelli Tutti: « Les migrants, si on les aide à s’intégrer, sont une bénédiction, une richesse et un don qui invitent une société à grandir » (135)
« Cela nécessite une législation globale, internationale pour les migrations » (132),
Le déploiement d’une collaboration internationale visant au développement intégral de tous les pays » (138)
Et pendant ce temps là … les migrations se poursuivent
Les migrants qui fuient la misère, la répression, la guerre, continuent de déferler sur l’Europe, qui les accueille dans des conditions indignes. Mais, si nous paraissons impuissants à les aider, eux sont déterminés, parce qu’ils savent ce qu’ils ont quitté.
Fratelli Tutti: « La fraternité a quelque chose de positif à offrir à la liberté et à l’égalité. »(103)
« Le droit à la propriété privée ne peut être considéré que comme un droit naturel secondaire et dérivé du principe de la destination universelle des biens créés … « Dieu a donné la terre à tout le genre humain pour qu’elle fasse vivre tous ses membres, sans exclure ni privilégier personne » »(120)
« Chacun n’est pleinement une personne qu’en appartenant à un peuple, et en même temps, il n’y a pas de vrai peuple sans le respect du visage de chaque personne. »(182)
Et pendant ce temps là … les affaires continuent
Les riches continuent de s’enrichir et les pauvres de s’appauvrir, partout dans le monde, mais aussi près de chez nous, nous en sommes témoins chaque jour. Le chômage augmente et atteint des niveaux jamais connus depuis que les statistiques existent. Des millions de personnes continuent de souffrir de la faim, alors que beaucoup, chez nous, vivent confortablement confinés et repus.
Nous savons ce qu’il nous reste à faire: à nous de jouer !
Après cet inventaire peu réjouissant et un peu austère, je ne peux terminer qu’en vous souhaitant une année de bonheur, vécue dans l’espérance d’un avenir radieux, d’une fraternité que François nous invite à bâtir ensemble.
Jean-Pierre Rossi
Et l’essentiel dans tout cela ?
Il y eut une annonce de tempête puis une annonce d’accalmie et au moment où vous me lirez, vous seul pourrez dire le temps qu’il fait ! Nous nous souviendrons longtemps de cette période de notre existence… mais je ne suis pas un prophète, et je ne peux donc réfléchir qu’à partir de notre passé récent.
Tous nous n’avons pas la même vision de la vie et de l’avenir, il se trouve parmi nous des êtres qui sont marqués par une foi chrétienne et d’autres qui ne se réfèrent pas à la vision que cette foi inspire, mais, qui que nous soyons, personne n’est sourd à cette aspiration au « Bien et à la Paix ». Même s’il y a des hauts et des bas dans notre vie, ces deux aspects constituent des références vitales. C’est pourquoi je me pose cette question : la crise sanitaire que nous traversons pourrait-elle devenir une crise salutaire ? Et ce n’est pas seulement mon imagination qui apporte une réponse, mais l’expérience récente. Dans le ciel « sinistrosé », n’y-a-t-il pas des espaces de lumière à l’horizon ! Un mot me frappe, c’est le mot « essentiel ». Chacun sent bien qu’’il existe, à notre portée, des choix plus ou moins prioritaires. Dans l’urgence des restrictions ou du confinement, nous pouvons opérer un discernement pour mieux orienter nos décisions. En ce temps de crise, la formule « Que choisir » prend tout son sens dans une humanité fragile qui peut dériver ou régresser. Sur l’échelle des valeurs, où mettons- nous le curseur ? Je pense que le principal est de fraterniser dans un environnement parfois sauvage. C’est tout un programme, bien reformulé par la dernière encyclique « Tous Frères » du Pape François. Avec lui, nous constatons les bouleversements qui secouent notre monde. C’est comme un tremblement de terre à partir de quoi il nous faut reconstruire. Sinon l’habitude ou la peur peuvent nous transformer en inadaptés.
La situation que nous venons de traverser montre la capacité de s’adapter en inventant des manières de vivre ou de commencer. Chacun comprend bien qu’il faut s’adapter ou mourir. Les restrictions de tous ordres ont donné une saveur nouvelle à cette période de fêtes. La solution n’est pas dans la fuite sous d’autres cieux (cette formule n’est d’ailleurs pas donnée à tous) mais dans l’intériorité. C’est la charge spirituelle de ces mots nouveaux pour les fêtes : sobriété, fragilité, ouverture.
« C’est Noël tous les jours » Ce chant fredonné autrefois marque aussi cette vie nouvelle qui peut durer. C’est un vaste chantier qui commence et nous rapproche des corps fragilisés ou des êtres blessés. Alors surgit une Joie, comme une étoile, qui attire notre cœur. A l’avenir, le passage lumineux se fera par l’intériorité et par la faiblesse des petits.
Et je vous redis « Paix et Bien » les uns avec les autres.
Fr. Thierry