Le rapport « Sauvé » fut comme un tsunami, annoncé, redouté puis révélé… Il déclencha des réactions diverses sans que nous percevions encore les évolutions possibles. Mais le « mal » demeure un mystère permanent et interroge toujours. Ce fut sans doute une question pour François d’Assise et surtout une expérience personnelle et sociale.
Rappelons-nous la première parole entendue par François, lors de sa conversion : « François, va et répare mon Eglise qui, tu le vois, tombe en ruine ». Et il passa vite de la remise en état de la chapelle saint Damien au renouvellement de la communauté chrétienne. L’Eglise de ce temps n’était pas à la hauteur et François ouvrit un nouveau chemin d’Evangile à partir des laïcs. C’est peut-être ce que nous sommes en train de vivre aujourd’hui aussi. Et peu de temps avant sa mort, dans son Testament, François recommande à ses frères de « ne pas juger ceux qui vivent selon le monde ». Cette remarque en dit long sur le mauvais état de l’Eglise en son temps.
Dans un autre écrit, François demande à ce que les frères ne se laissent pas appeler « Père » « car vous n’avez qu’un seul Père ». En faisant cette recommandation, il révèle que, dans toute relation, la qualité de « Père » concerne une situation d’origine, de dépendance et d’autorité, mais ce constat ne dit rien de la vie humaine par rapport « à Dieu de qui vient tout Bien ». Le mot « autorité » parle peu de la proximité et du service significatifs de l’Evangile. Quelle que soit l’époque, nous ne sommes jamais à l’abri de dérives. Pour mettre en garde contre l’autorité, François prend les devants en disant : « Il n’y aura pas de supérieur parmi vous, mais tous s’appelleront « frères ». Et on comprend bien que nommer ainsi une relation peut engendrer plus justement la « Fraternité ».
En poursuivant cet inventaire significatif d’un style de vie, je soulève encore quelques remarques sur la manière d’évangéliser. François est aussi sensible à l’itinérance, deux par deux, ce qui est une autre manière d’annoncer le Royaume. En présence d’un proche, le témoignage est plus crédible, plus sûr et moins personnel. C’est à deux que commence le début du témoignage, référence incarnée de la mission. C’est ainsi que ce fut une nouvelle manière d’annoncer l’Evangile. L’enseignement devient vie transformée sur leur passage.
Un autre élément est contenu dans l’appel de l’Evangile, c’est la « conversion ». Il s’agit moins d’une expérience personnelle miraculeuse que « d’une manière d’être » en évolution permanente avec la force de l’Esprit, au milieu des événements de la vie. L’expérience de la foi est un chemin parcouru avec une volonté permanente d’évoluer et de choisir l’essentiel. A tous moments, nous sommes conscients des régressions, des dérives, des limites qui peuvent naître en nous. Cette dynamique de la conversion est précieuse au quotidien. Mystérieusement mais réellement, le mal est présent dans les fragilités de nos vies, d’où cette insistance sur la veille pour garder le cap.
Rappelons-nous enfin que dès le début de la Bible, certains récits portent des traces du combat permanent entre le Bien et le mal qui traversent le monde créé. Nous avons la mémoire courte et le quotidien ne montre pas tout de suite les avancées ou les résistances de la vie, il faut le temps de la relecture pour percevoir ce qui est croissance dans l‘histoire personnelle et collective. Nous avançons souvent comme des aveugles ou des automates. Sans cesse le bonheur et les échecs sont mêlés. Le royaume présent n’est pas un lieu chimiquement pur. Dans nos temps de prière est souvent confessée la reconnaissance du mal qui malmène la vraie Vie. « Délivre-nous du mal passé, présent et futur » dit François dans sa prière. C’est toute notre histoire qui est défigurée par le mal, personnellement et collectivement, avec des chocs plus ou moins violents.
« Délivre-nous du mal », ce n’est pas un mythe, c’est la reconnaissance permanente d’une vie imparfaite, et un engagement à changer notre manière de vivre ensemble. Avec le rapport Sauvé, nous sortons d’une vie idéalisée, mais partagée, à des degrés divers, par tous. Nos yeux s’ouvrent sur cet Exode auquel nous sommes appelés. C’est comme un « Synode » pour édifier ensemble un monde nouveau. Le livre de l’Apocalypse annonce qu’à la fin « l’Amour aura le dernier mot ». C’est notre Espérance, ébranlée récemment, mais dont Jésus témoigne toujours, par miséricorde et par don sans condition…
Fr. Thierry, Lille