Le 25 août dernier nous avons célébré un double anniversaire : celui de la Libération de Paris, il y a 76 ans et celui de la mort de Louis IX — Saint Louis — il y a 750 ans, dont le règne commença en 1226, la même année que mourut François d’Assise. Les deux événements, la révolte victorieuse du peuple de Paris contre l’oppresseur nazi et l’entrée dans la Vie d’un saint homme à l’issue d’un règne des plus inspirés, ont en commun de ponctuer la recherche de la paix et du bien, si chers à François, à tout franciscain, à tout chrétien et à l’immense majorité de l’humanité. Mais cette paix et ce bien ne s’instaurent pas sans combats contre le mal, même pour Louis IX dont certaines des entreprises pourraient par ailleurs être discutables (l’Inquisition, Quéribus, la rouelle, les croisades) mais qui reste légitimement l’icône de la justice dans notre Histoire nationale.
Le rapprochement de ces deux événements au hasard d’une date évoque la dialectique complexe entre l’amour de la paix et son prix qui est de devoir combattre pour elle. Cette apparente contradiction est extrêmement difficile à résoudre, notamment pour un chrétien. Qu’est-ce qui peut déterminer celui-ci à s’engager ou non, et sous quelles formes, dans le combat pour la paix et le bien, sinon la vertu de justice, éclairée par la foi, l’espérance et la charité ? Car une paix instaurée par un ordre injuste ne peut trouver grâce à ses yeux, mais il ne peut souhaiter le désordre et la violence qui le renverseraient, pas plus qu’il ne peut se permettre de laisser libre cours à l’injustice : une telle passivité serait une terrible sorte de péché par omission.
En effet, notre monde d’aujourd’hui est dominé par une injustice sur laquelle fermer les yeux relève d’un aveuglement complice, si ce n’est coupable : injustice de l’homme envers lui-même, économique, sociale, géographique, « raciale », injustice de l’homme envers la création avec la surexploitation de ses ressources et l’utilisation de la technique dans une tentative inconsidérée de la dominer, et enfin injustice envers Dieu, avec l’ignorance, la contestation, le refus, et même le mépris des vertus sur lesquelles s’est fondée la civilisation au cours des âges, pourtant indispensables à l’établissement de tout contrat social pérenne. Sans ces vertus, la seule loi qui régisse la collectivité est celle du narcissisme morbide qui commande à la répartition de la misère et du consumérisme. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant de constater que la généralité des dirigeants économiques et politiques actuels, dont les ambitions et la pratique sont largement inspirées par ce narcissisme morbide, se montre extrêmement éloignée de la bienveillance éclairée d’un Louis IX. Ou, comme image même de la justice, de celle d’un roi Salomon qui ne demande qu’un cœur attentif pour qu’il sache gouverner le peuple de Dieu et discerner le bien et le mal, et à qui Dieu offre à cette fin le discernement, l’art d’être attentif et de gouverner, et ce cœur intelligent et sage dont il fait tout de suite usage dans son célèbre jugement (Livre des Rois).
Il est probable, pour ne pas dire inévitable, que le monde de demain matin soit secoué de mouvements, voire de convulsions, tant les injustices se creusent et les tensions s’avivent de jour en jour. Il deviendra essentiel pour chaque chrétien, même s’il n’est pas roi, de demander à Dieu les mêmes grâces que Salomon, afin de rechercher son juste engagement pour la paix et le bien. Et plus particulièrement pour un franciscain, de s’interroger en âme et conscience : peut-on aimer la pauvreté sans aimer les pauvres ?
Jean Chavot