Dans la vie spirituelle, la sobriété n’apparait pas toujours comme telle, mais elle est sœur des vertus que se plaît à saluer St François : pauvreté, simplicité, humilité.
Les premiers chrétiens « n’avaient qu’un cœur et qu’une âme », ils mettaient en commun ce qu’ils possédaient et le partageaient avec les plus démunis : « Parmi eux, nul n’était dans le besoin ; car tous ceux qui possédaient des terres ou des maisons les vendaient, apportaient le prix de la vente et le déposaient aux pieds des apôtres. On distribuait alors à chacun suivant ses besoins. » (Ac 4,32 ; 34-35) Les nouveaux convertis se référaient à cette parole du Christ : « si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens suis-moi ! » (Mt 19, 21-22).
A la fin du IIIème siècle, Antoine le Grand fut le précurseur d’un mouvement spirituel qui vit le jour en Égypte. Des hommes quittèrent tout pour rejoindre le désert et y mener une vie ascétique, totalement consacrée à la prière pour les uns, associant prière et travail pour les autres. Les Pères du désert firent le choix du retrait et de la simplification pour se libérer de tout ce qui pouvait entraver leur relation à Dieu. Unis à leur Seigneur, ils étaient en profonde communion avec ce monde dont ils s’étaient éloignés. Leur influence sera grande sur le monachisme occidental car leur ascèse, qui peut parfois nous surprendre aujourd’hui, ne faisait pas d’eux des surhommes, mais des êtres unifiés et pacifiés.
C’est précisément ce que rechercha saint Benoît dans sa Règle qui organise la vie des moines à travers trois grandes activités : la prière commune, la lectio divina et le travail manuel. Cette Règle est un modèle d’équilibre inégalé : basée sur la simplicité et la modération, elle prône la sobriété et la rigueur mais limite les excès dans l’ascèse, car cette dernière n’est qu’un moyen au service de la recherche de Dieu et de l’épanouissement de la vie intérieure.
Cependant, nous savons bien que l’Église n’a pas toujours été un modèle de sobriété : pendant des siècles elle s’est voulue puissante et triomphante, multipliant à l’excès les richesses et les dorures, oubliant sa vocation à être une Église pauvre pour les pauvres…Fort heureusement, depuis Vatican II, les papes qui se sont succédé ont renoncé au faste et aux apparats et la liturgie a retrouvé « la noble simplicité » du rite et des ornements.
Pour autant la sobriété n’est pas l’ennemie de la beauté. Toutes deux peuvent même coexister en parfaite harmonie dans une célébration ou dans un office, dès lors que le beauté ne se veut pas pur esthétisme, mais ouvre à une beauté qui lui est supérieure, La Beauté.
Il en est de même dans notre vie d’oraison personnelle. Rien ne doit faire obstacle à la rencontre, à ce cœur à cœur avec Celui qui nous est plus intime que nous-même. Notre Père se dévoile dans le silence. Pour que sa Parole puisse être écoutée, méditée, priée, pour qu’elle prenne corps en nous, il faut pouvoir s’abstraire de ce monde et de toute forme de distraction. Il faut pouvoir également se décentrer de soi, pour être en union avec Celui que nous adorons. « Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là, dans le secret ».
Contempler le Très-Haut c’est aussi contempler le Très Humble. Dieu s’abaisse jusqu’à nous pour nous rejoindre dans la fragilité de notre condition humaine. Il n’a pas choisi de se révéler dans la gloire, la puissance et la richesse. Le Christ est « un Roi d’humilité, Roi sans palais, Roi sans armée », comme nous le chantons à l’Épiphanie. De la nativité à la mort sur la croix, c’est toujours sous les dehors les plus humbles que se manifeste l’amour divin. Ce mystère de l’humilité de Dieu, St François le contemple dans l’Eucharistie : « Voyez : chaque jour il s’abaisse, exactement comme à l’heure où, quittant son palais royal, il s’est incarné dans le sein de la Vierge ; chaque jour c’est lui-même qui vient à nous, et sous les dehors les plus humbles ; chaque jour il descend du sein du Père sur l’autel entre les mains du prêtre. » (Adm 1,16-18).
Si la sobriété se dit dans la simplicité, la pauvreté et l’humilité, il est clair que ces valeurs ne sont pas celles de notre monde. Alors désirer être toujours plus uni au Christ suppose une vie intérieure extrêmement féconde pour se conformer à Celui que nous contemplons et que nous recevons. C’est ainsi que nous pourrons, à l’exemple de François, découvrir l’humilité de Dieu : « Ô admirable grandeur et stupéfiante bonté ! Ô humilité sublime, ô humble sublimité ! Le maître de l’univers, Dieu et Fils de Dieu, s’humilie pour notre salut, au point de se cacher sous une petite hostie de pain ! Voyez, frères, l’humilité de Dieu et faites-lui l’hommage de vos cœurs. Humiliez-vous, vous aussi, pour pouvoir être exaltés par lui. Ne gardez pour vous rien de vous, afin que vous reçoive tout entiers Celui qui se livre à vous tout entier. » (L.Ord 27-29)
P. Clamens-Zalay