Abbé Franz Stock

Il est des figures d’Église demeurées trop longtemps ignorées. Celle de Franz Stock en est une. Ce prêtre né en 1904 en Westphalie était l’aîné d’une modeste et fervente famille catholique. Très jeune, Franz aspira à devenir prêtre ; rien de bien original. Mais en 1926, il participa aux rassemblements internationaux de jeunes organisés par Marc Sangnier[1]. Le souci de Sangnier, laïc engagé, consistait à réconcilier l’Église avec le monde moderne et à œuvrer pour la paix. Ce fut une expérience qui marqua le futur séminariste de Paderborn[2]. Il participa avec 800 autres jeunes Allemands au sixième « Congrès démocratique international pour la paix » qui rassembla 6 000 jeunes de 33 pays différents. Il rencontra un Français très engagé socialement, Joseph Folliet[3], qui fonda les Compagnons de Saint-François.  

Favorable à un « pacifisme d’action », Folliet approcha en effet les délégués du Quickborn (on pourrait traduire par fontaine d’eau vive voire fontaine de jouvence) dont l’un des animateurs était Franz Stock. Ce mouvement était d’inspiration franciscaine et invitait à découvrir les bienfaits de la nature, du chant et de la marche[4]. Sa formation de prêtre le conduisit souvent en France et il fut, du reste, le premier étudiant allemand à s’inscrire à l’Institut Catholique de Paris. Fasciné par la France, il maîtrisait à la perfection le français. En 1930, avec le professeur Hans Wirtz, Franz[5] Stock fonda les Pionnieren des Heiliges Franziskus[6], branche allemande du mouvement des Compagnons de Saint-François.

En 1934, le cardinal-archevêque de Paris, monseigneur Verdier le nomma recteur de la paroisse allemande de Paris. Cet intellectuel et artiste qui peignait et lisait avec passion Pascal, Saint-François de Sales et Paul Claudel fut confronté dans son sacerdoce aux conflits qui agitaient l’Allemagne hitlérienne. Sa paroisse était fréquentée par de fervents nazis mais aussi par des réfugiés politiques ou raciaux qui venaient, toutes confessions confondues, chercher aide et secours auprès de Franz Stock.

Quand l’Allemagne occupa la France en 1940, le père Franz Stock devint aumônier des prisons allemandes à Paris. Une de ses tâches fut d’assister les otages et résistants condamnés à mort par les occupants[7]. Il accompagna de multiples condamnés à mort dont Honoré d’Estienne d’Orves, et Gabriel Péri[8], député communiste de Seine-et-Oise et membre du comité central du PCF, qui confia à Franz Stock son alliance afin qu’il la remette à son épouse. L’«aumônier de l’enfer »[9] cousit deux poches à l’intérieur de sa soutane, pour transmettre des objets, des messages et des écrits entre les détenus, leurs familles et leurs proches. Il offrit son soutien pastoral à ceux qui le souhaitaient et visita les détenus des prisons de Fresnes, de la Santé et du Cherche-Midi. À la fin de la guerre, il fut fait prisonnier par les Américains et confié aux Français. Il fut chargé d’organiser puis de diriger le « séminaire des barbelés »[10] rassemblant les séminaristes allemands prisonniers de guerre. L’ambition était de promouvoir la réconciliation et de jeter les bases d’une Europe nouvelle. Plus de 600 prêtres furent formés dans ce séminaire avant qu’il ne fût fermé en juin 1947. Franz Stock resta en France pour s’occuper des Allemands qui y séjournaient, mais les efforts qu’il avait dû déployer pendant la guerre puis à la tête du séminaire l’avaient tellement épuisé qu’il mourut à l’hôpital Cochin le 24 février 1948, âgé de 44 ans.[11] Il fut enterré le 28 février 1948 dans un complet dénuement au cimetière de Thiais. Considéré encore comme prisonnier de guerre, sa famille n’eut pas le droit de venir, et nul hommage ne fut rendu à cet homme de Paix. Apprenant à temps son décès, Mgr Roncalli[12], ignorant les précautions officielles, assista aux obsèques et, au nom de l’Église, rendit à l’abbé Stock l’hommage que la France n’osait lui rendre en affirmant :« Franz Stock, ce n’est pas un nom, c’est un programme ! ». Le 3 juillet 1949, les anciens résistants français rendirent à leur tour hommage à Franz Stock au cours d’une cérémonie commémorative publique au Dôme des Invalides. Enfin, le samedi 15 juin 1963, les restes de l’abbé Stock furent exhumés en présence de nombreux représentants de divers mouvements de la Résistance. Le monument funéraire, offert par les familles des anciens prisonniers et fusillés français, reconnaissantes, fut transféré à Chartres. Beau symbole de réconciliation : ce 15 juin 1963, Franz Stock fut enterré en l’église Saint-Jean-Baptiste de Rechèvres[13] alors qu’était ratifié le traité de Paris pour l’amitié franco-allemande. En 2009, L’archevêque de Paderborn, Mgr Hans-Joseph Becker, ouvrit une procédure de béatification en faveur de Franz Stock qui est en cours d’examen à Rome depuis 2014.

ÉRIK LAMBERT.


[1] Né en 1873, fondateur du Sillon, revue puis mouvement, il nourrit l’ambition de concilier le spiritualisme chrétien et les revendications populaires pour la justice sociale. Aspira à créer un mouvement démocrate-chrétien.
[2] Paderborn, ville du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (Ouest de l’Allemagne) où se trouve un grand séminaire.
[3] Joseph Folliet s’est intéressé à l’apostolat social et à la politique. Ce fut aussi un grand spirituel. Lors d’un voyage à Assise, il découvrit le message franciscain et fonda en 1927 Les Compagnons de Saint François. Il participa aux premières activités de la J.O.C (Jeunesse ouvrière chrétienne), de la J.E.C (Jeunesse étudiante chrétienne) et de la J.A.C (Jeunesse agricole chrétienne). Actif dans le journalisme, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Temps Présent, il dirigea La Chronique Sociale de France. Résistant, Il participa à Témoignage Chrétien et s’engagea dans le réseau Mitterrand des prisonniers de guerre.
Après le conflit, il demeura très engagé pour le respect de la personne humaine, particulièrement lors de la guerre d’Algérie. Il devint prêtre en 1968.
[4] Apparu après la première guerre mondiale dans les cercles catholiques, ce groupement était l’un des nombreux mouvements de jeunesse qui se caractérisaient par le retour vers la nature, l’importance donnée à la communauté, un style de vie simple, la responsabilité du travail de groupe, l’indépendance et la proximité avec les renouveaux théologiques. Les randonnées et les campements en faisaient naturellement partie, l’abstinence d’alcool et de tabac jouait un grand rôle. Le sentiment d’appartenir à une communauté reçut une nouvelle importance grâce à la liturgie : la messe célébrée en communauté, les efforts pour la communion fréquente et surtout le combat pour une nouvelle compréhension des symboles liturgiques furent théologiquement réfléchis et mis en pratique. Celui qui appartenait à l’un de ces groupements de jeunesse pouvait se considérer comme faisant partie de l’avant-garde du catholicisme allemand.
[5] Prénom peut-être prémonitoire…Franz signifie François.
[6] Les pionniers de Saint-François.
[7] F. Stock, Journal de guerre : 1942-1947 : écrits inédits de l’aumônier du Mont Valérien, Cerf.
[8] Honoré d’Estienne d’Orves : https://www.herodote.net/29_aout_1941-evenement-19410829.php
[9] R.Closset, L’Aumônier de l’enfer, Salvator , 1965.
[10] Au Coudray, près de Chartres. https://www.chartres-tourisme.com/explorez/toutes-les-visites/seminaire-des-barbeles-1360810
[11] « Jamais », écrivit le résistant Edmond Michelet, « Franz Stock ne se demande : est-ce un Allemand ou un Français ? Est-il chrétien, juif ou incroyant ? Est-il innocent ou coupable ? Une seule question se posait pour lui : a-t-il besoin de moi ? Comment puis-je alléger ses souffrances ? ».
[12] Futur Jean XXIII.
[13] https://www.chartres-tourisme.com/explorez/toutes-les-visites/eglise-saint-jean-baptiste-de-rechevres-1360797