L’Avenir est devant

Je pensais que tout serait aisé. Certes, on m’avait dit que ce ne serait pas simple. Mais avec sans doute une dose d’arrogance, j’avais ignoré les avertissements ! Pourtant, l’accélération fut plus rude que je ne l’avais envisagée. Une nouvelle étape de la vie s’est rondement engagée, l’ultime… Quitter une maison dans laquelle nous vécûmes une trentaine d’années, s’évader furtivement d’un établissement qui assurait une reconnaissance sociale. Quelques signatures, des bribes de discours, une décoration ; un chemin de vie familier et gratifiant de plus de quarante années qui s’achevait soudainement. Une vie passée si rapidement à occuper heures et minutes dans un tourbillon incessant en aspirant à …la retraite. Elle est là, le départ dans une ambiance confinée presque en catimini… L’étrange sentiment que subitement quelque chose vient de s’éteindre. Peut-être ce manque d’humilité qui laissait penser dans un coin de l’esprit que j’étais utile ? Puis, subitement l’impression de disparaître des radars de la société. La configuration est déconcertante. Une once de découragement qui sourd, clandestinement, insidieusement. Je suis un peu comme ces deux disciples dont Luc nous conte l’aventure. Tels Cléophas et son ami qui avaient investi temps, espoir en Jésus désormais crucifié ; c’est aussi un peu la fin de mon histoire. Où est Jésus qui fit route avec les désespérés ? Suis-je aussi aveugle, incapable de l’identifier dans ma vie, dans mes soucis ? Suis-je aveugle comme le furent les pèlerins d’Emmaüs ? L’aveuglement sans cécité ? Mon esprit est-il disponible pour l’accueillir ? Les doutes nés de cette nouvelle étape m’aveuglent-ils ? Jésus suit discrètement mon chemin, apparaît mais je ne le vois pas. Il est pourtant là dans ma détresse, mes doutes, ma faiblesse mais aussi dans mes joies comme il le fut aux Noces de Cana. À moi de le trouver dans les douceurs du quotidien ; dans le prochain mariage de notre fils Arthur et de l’enfant qui naîtra peut-être demain. À moi de me laisser surprendre dans le regard de mon épouse toujours là après plus de trente ans. Les deux hommes d’Emmaüs n’avaient pas l’esprit disponible, ils n’avaient que le désespoir de la perte de Jésus en tête. Ne suis-je pas l’un d’eux, ébranlé par ma nouvelle situation ? Peut-être suis-je celui que Luc ne nomme pas ?
Saurais-je le retenir quand il me fera signe comme le firent les deux disciples ? Serais-je moi aussi disciple ? Le verrai-je comme eux le firent lorsqu’il fractionna le pain ? Ce geste de la convivialité, ce geste qui plonge aussi dans notre intimité, ce geste qui est celui de l’Eucharistie. Saurais-je y puiser l’espérance ?
Lorsque Le Caravage peint l’épisode d’Emmaüs, il dévoile un Christ ni jeune, ni vieux et si humain qui surprend. Saurais-je me laisser surprendre ?
Le chemin qu’indique Jésus aux disciples est celui de l’espérance. À moi de l’emprunter avec confiance, à moi d’oublier les désagréments d’un corps parfois frondeur, à moi de ne pas m’apitoyer sur d’insignifiants tracas, de repousser les bouffées de nostalgie. En suivant les pas du Pape François, reconnaître dans l’épisode des pèlerins d’Emmaüs la « thérapie de l’Espérance ».

Jésus m’accompagne sur cette ultime saison de mon existence, celle où je dois chercher Dieu, saisir les instants d’amitié, partager et écouter avec bienveillance. Le mystère nourrit le doute et comme pour Pierre, comme pour les deux pèlerins, la Foi parfois s’éloigne. Profiter du temps qui s’offre à moi dans cette quête. Jésus n’a pas abandonné Cléophas et son ami; tout n’était pas fini !
L’avenir est devant, Jésus fait route avec moi, il s’invite à nouveau à la table de ma vie, il continue à me suivre ; à moi de la reconnaître lorsqu’il se manifeste. Le regard de la Foi qu’évoque Jean (14-19) pourra seul me permettre de relever ce défi.


Érik LAMBERT