Elpdius MarkötTer

Elpidius Markötter (1911 – 1942)

Le 30 janvier 1933, Adolf Hitler devenait chancelier allemand. Si nombre de citoyens adhéraient aux idées, voire aux mesures adoptées par les dirigeants de l’Allemagne « millénaire » ; pour certains Allemands, cet événement fut le début de la nuit[1] et d’un engagement pour la défense d’une certaine idée de l’humanité.
La résistance était très difficile à mener dans un pays totalitaire qui pratiquait une répression impitoyable. Les communistes organisèrent un réseau de renseignement appelé « L’orchestre rouge »[2]. Les protestants de Martin Niemöller ou de Dietrich Bonhoeffer et les jeunes de « La Rose Blanche » prirent l’initiative de résister. De tels actes conduisaient à la mort des traîtres, à la hache, souvent dans les locaux de la prison de Plötzensee[3].   

Les catholiques ne furent pas en reste. Si le Saint-Siège signa un concordat le 20 juillet 1933, le Pape Pie XI affirma son opposition à l’idéologie nazie. L’Encyclique Mit Brennender Sorge, volontairement rédigée en allemand en mars 1937, lue en chaire dans toutes les églises d’Allemagne à la faveur du dimanche des Rameaux, manifesta l’opposition pontificale aux doctrines nazies. Les conséquences furent immédiates : la déportation de plus de 300 prêtres à Dachau. Le 13 avril 1938, le Syllabus[4] contre le racisme fut diffusé auprès des établissements catholiques du monde entier.

Parmi tous ceux qui se levèrent pour des raisons philosophiques ou religieuses, se trouvait Josef Markötter. Il était le fils d’un commis de poste Hermann Markötter, et de son épouse Elisabeth. Il suivit un cursus primaire à l’école de Südlohn puis, en 1925, fréquenta l’école du recteur de la petite ville de Rhénanie-du-Nord-Westphalie[5], Stadtlohn. De 1926 à 1932, il entreprit des études secondaires au St. Ludwig Franciscan College de Vlodrop, aux Pays-Bas, tenu par des franciscains allemands[6]. Le 14 avril 1932, il entra au noviciat de la Province franciscaine saxonne à Warendorf et prit le nom religieux d’Elpidius. Il étudia la philosophie et la théologie à Dorsten et Paderborn. Il prononça des vœux solennels le 23 avril 1936 et fut ordonné prêtre le 27 mars 1939 à Paderborn[7], là où il avait suivi des études de philosophie et de théologie. À Pâques 1939, il prit un poste d’enseignant au collège des missions de la province de l’ordre du sud du Brésil au couvent de Garnstock près d’Eupen, en Belgique. Il y fit un discours « Sendung der Liebe »[8] qui marqua les esprits des jeunes missionnaires. Il participa à un ouvrage fort de quatre volumes, Die Ostkirche betet[9] dirigé par le père franciscain martyr Kilian Kirchhoff. Cette contribution illustra ses aptitudes intellectuelles ; il s’agissait en effet de traduire du grec en allemand des hymnes des Églises orientales transmis par un moine russe du mont Athos, Vassili Kriwoszein.

Les franciscains rejetèrent pour la plupart le nouvel Zeitgeist[10] qui animait la « révolution nationale-socialiste ». Le nouveau régime athée s’attaquait volontiers à cette « superstition nuisible » même si dans ses bouffées délirantes Hitler considérait Jésus comme le précurseur du « combattant aryen » luttant contre « le pouvoir et les prétentions des pharisiens corrompus » et le « matérialisme juif ». Le régime s’attaqua aux couvents surveillant les pèlerinages et les retraites tout comme les activités des franciscains. Ainsi, le collège de St. Ludwig (Vlodrop) perdit le droit de préparer à l’Abitur[11] en 1938 ; il fut fermé en 1940. Les élèves du secondaire durent intégrer des lycées publics, où ils furent rétrogradés d’une classe. Un collège ouvert à Warendorf en 1932 dut également fermer en 1939. Parfois, les franciscains s’abstinrent de porter l’habit à l’extérieur du couvent tant ils étaient exposés à l’hostilité dans la rue, sensible à la propagande nazie. Même si, parfois, certains parmi les franciscains, considérèrent la discipline et l’ordre exigés par l’armée comme bénéfiques pour les jeunes religieux, les autorités poursuivirent une politique menaçante vis-à-vis des frères.

Ainsi, durant la guerre, les locaux de plusieurs couvents furent confisqués par la Wehrmacht ou la Gestapo et utilisés pour des activités médicales ou militaires. L’admission des novices fut interdite à partir de 1940, nombre d’écoles furent fermées, les pèlerinages interdits dès 1941.

Dans ce contexte, Elpidius Markötter, rétif au national-socialisme, fut conforté dans son rejet de l’idéologie nazie lorsque la Pologne fut envahie en septembre 1939. Le Garnstocker Kolleg souffrit de l’absence d’étudiants en nombre suffisant et Elpidius fut envoyé à Warendorf[12], d’abord comme sous-maître des novices, puis comme prêtre en paroisse. Lors de cette période, il assista aux exactions dont furent victimes les juifs et à la violence de l’occupation.

Le 26 mai 1940, Markötter prononça un sermon dans lequel il affirmait la primauté de la fraternité quelle que fut l’origine des hommes. Le texte circula et le 4 juin 1940, il fut arrêté par la Gestapo pour avoir contrevenu à la loi. Il fut transféré dans une prison de Münster. Lors de son procès qui se tint à Dortmund, le 1er novembre 1940 Markötter argua de sa foi chrétienne pour justifier les propos tenus à la faveur de son sermon. Pour le droit de l’occupant, il avait violé la loi en évoquant la question juive. En janvier 1941, après avoir subi des sévices, il fut déporté vers le camp de concentration de Sachsenhausen[1]. Sans parvenir à célébrer, il rédigea en latin, avec d’autres prêtres détenus, les textes de messe afin que tous puissent prier. Le 26 septembre 1941, Markötter fut transféré comme d’autres prêtres à Dachau au bloc 26 réservé aux religieux catholiques[2]. Affaibli par les conditions épouvantables de survie, il tomba malade au printemps 1942 et mourut dans les bras d’un franciscain hollandais.

Nombreux furent les martyrs franciscains, résolus à combattre au nom de la foi l’idéologie païenne mortifère des bourreaux nazis. Elpidius Markötter fut l’un d’eux, L’urne contenant ses cendres fut déposée à Warendorf.

Érik LAMBERT


[1] Cf.E. Wiesel, La Nuit, Éditions de minuit.

[2] Die Rote Kapelle, organisé par Leopold Trepper popularisé -à tort ? – par Gilles Perrault, dans son livre, L’Orchestre rouge et par le film de Jacques Rouffio. Le sacrifice de Libertas Schulze-Boysen et de son mari le 19 décembre 1942 mérite toute notre attention.

[3] Justizvollzugsanstalt à Berlin, „tribunal du peuple“ ou sévit le sinistre Roland Freisler. https://www.gdw-berlin.de/fileadmin/bilder/publikationen/gedenkstaette_ploetzensee/franzoesisch-screen.pdf

[4] Du grec, comprendre, résumer, avec, et prendre. En latin : sommaire, liste. Recueil des questions tranchées par le pouvoir ecclésiastique.

[5] Ouest de l’Allemagne. La capitale de ce Land est Düsseldorf et la ville la plus peuplée est Cologne.

[6] Province du Limboug, Sud-Est des Pays-Bas où se trouve Maastricht. Vlodrop est un petit village où se trouvait un monastère franciscain.

[7] Demeure une communauté franciscaine. La ville est située dans le même Land que Südlohn.

[8] On pourrait traduire par « mission d’Amour » ou « mission de charité »

[9] L’Église d’Orient prie.

[10] Der Zeitgeist, « l’air du temps »

[11] Das Abitur, équivalent allemand du BAC.

[12] https://www.klosterlandschaft-westfalen.de/de/kloster/ehemaliges-franziskanerkloster-warendorf_warendorf/ Le couvent franciscain de Wiedenbrück (Franziskanerkloster Wiedenbrück) est un couvent franciscain situé en Wesphalie orientale. Un site se trouve aussi à proximité, à Wrendorf.

[13] Cinq camps furent construits dans les années 1930. Le premier de ces Konzentrazionslager ou KZ fut Dachau, près de Munich. Ouvert après l’l’incendie du Reichstag, il était destiné aux opposants politiques. Vinrent ensuite Orianienburg-Sachsenhausen (Près de Berlin), Buchenwald, Flossenbürg, Ravensbrück (réservé aux femmes) et Mauthausen, en Autriche. En 1939, l’ensemble de ces camps comptait 25 000 détenus, essentiellement des opposants politiques.

[14] J.Bernard, Bloc des prêtres 25487 – Dachau 1941-1942 ou G.Zeller, La Barraque des prêtres, 1938-1941.