En quoi vivre la pauvreté rapproche du plus démuni ?
Archives mensuelles : novembre 2021
L’écriture d’un livre
L’écriture d’un livre est toujours une aventure et une plongée dans l’inconnu. On sait comment l’on veut commencer, on ne sait pas toujours ce qui viendra sous la plume (le clavier) en fin de course.
Dans certains cas, cette aventure réserve des surprises, de très bonnes surprises. Invité par les éditions Mame à écrire un petit livre sur la « manière franciscaine » de protéger la Création de la part de laïcs, j’ai pris le parti d’éviter de trop disserter sur ce que j’en pensais et de rassembler des témoignages de membres de l’OFS engagés dans des démarches correspondant à ce que le pape François, dans Laudato si’ appelle l’écologie intégrale : expériences de conversion personnelle et familiale des modes de consommation, réorientation de choix de vie dans le sens d’une plus grande sobriété, actions de solidarité fraternelle avec les plus démunis et les plus fragiles dans les périphéries souffrantes de la société (prisons, hôpitaux, migrants…), respect du monde animal, etc.
Ce pari n’était pas gagné d’avance pour moi. Je craignais de ne récolter que trop peu de témoignages et de me heurter à une trop grande retenue dans le récit d’histoires de vie et d’engagements personnels. Or la récolte a été au-delà de mes espérances, au point qu’après avoir supplié des religieux et des laïcs franciscains de me rediriger sur des personnes ou des fraternités susceptibles de témoigner, j’ai dû dire « N’en jetez plus ! »
Car très nombreux, à la vérité, sont ceux, dans l’OFS, qui mouillent leur chemise, en fraternité ou ailleurs, pour agir en faveur de la sauvegarde de la Création. Oui, vraiment très nombreux. Et, j’ai été intimidé devant ces témoignages, incité à une grande humilité, et surtout émerveillé par le dynamisme et la créativité d’une famille franciscaine laïque dont, prenant peut-être mon cas pour une généralité, j’avais l’image totalement erronée d’une communauté vieillissante, aux effectifs fondants, fatiguée… Tout le contraire. Les cheveux blancs n’empêchent guère d’aller de l’avant —toutes les têtes, d’ailleurs, sont loin d’être blanches dans la fraternité — et la large palette d’engagement de mes frères m’est apparue comme un vrai motif de louange.
Oui, disent tous ces témoignages, il est possible de partager ses biens, de se dégager de la crainte obsessionnelle du lendemain, de faire la différence entre besoin et caprice, de réfréner nos usages d’Internet, de se désapproprier d’une carrière supposée « prometteuse », de sortir de sa zone de confort et de revisiter sa vie à partir des plus pauvres, de voir en les plantes et les animaux des cadeaux de la Création, de verdir notre Église. Sans être des héros pour autant. Tous ces témoignages le disent et le redisent. Loué sois-tu Seigneur, pour tous ces frères qui ont le souci de respecter ta Création, de la protéger, de la jardiner !…
Libres, simples et heureux. Retourner à l’essentiel avec saint François, Éditions Mame, septembre 2021.
Michel Sauquet
Édouard-Martial Lekeux, religieux-soldat franciscain. (2nde partie)
Le livre qu’il écrivit : Mes cloîtres dans la tempête, consistait en des souvenirs de guerre ; un ouvrage largement diffusé durant l’entre-deux-guerres. Le roman Passeurs d’hommes, quant à lui, s’inspirait des tentatives d’évasion au cours de la première guerre depuis la Belgique vers les neutres Pays-Bas. Les aventures du remorqueur Atlas V de Jules Hentjens évoquées par Lekeux rappellent quelque peu Invasion 14de Maxence Van der Meersch. L’ouvrage du religieux franciscain connut une certaine notoriété et fut adapté au cinéma par René Jayet5 peu de temps avant le second conflit mondial. Écrivain prolixe, il publia de multiples ouvrages de théologie mystique6 et de livres autobiographiques ou hagiographiques. Tout comme Van der Meersch, sa plume était au service de sa foi.
Avant que n’éclate le second conflit mondial, Lequeux s’inquiéta de l’émergence de l’idéologie nazie. Il fut conforté par les positions d’un autre frère mineur, le pape Pie XI qui, exprima ses craintes dans l’encyclique Mit brennender Sorge7 (« Avec une vive inquiétude »), rédigée en allemand, pour attaquer le racisme, le mythe du sang et celui de la terre. Le souverain pontife déclara du reste en 1938 : « Spirituellement, nous sommes des Sémites. ». Il prit position contre le rexisme de Léon Degrelle8 lors d’une conférence : Avant le désastre.
La deuxième guerre le surprit à Alexandrie au service des plus démunis. Il rejoignit alors Londres afin d’offrir ses services au gouvernement belge en exil d’Hubert Pierlot. À l’issue du conflit, il fut professeur au couvent franciscain du Chant d’Oiseau à Woluwe-Saint-Pierre, près de Bruxelles avant de mourir à Liège en 1962. Saint-François fut son guide, les guerres constituèrent un de ses thèmes de prédilection. Il raconta ce que fut la réalité vécue par des êtres humains, les souffrances d’un siècle, celui des nationalismes, des totalitarismes, des conflits guerriers et idéologiques ; un siècle de grandes mutations. Face à ces bouleversements, la foi et la religion du Christ constituèrent la voie d’espérance. Chrétien dans le monde, franciscain dans ses choix philosophiques, Lekeux mérite que l’on évoque sa mémoire.
Érik LAMBERT
5 https://www.cinema-francais.fr/les_films/films_j/films_jayet_rene/passeurs_d_hommes.htm6 L’Art de Prier http://www.franciscains-paris.org/biblio/base/notice14494
7 L’encyclique met en garde contre le nazisme. L’encyclique rappelle l’incompatibilité entre toute politique raciste et les valeurs de l’Église catholique. Il en profite pour critiquer vivement la remise en cause du Concordat signé, en 1933, entre le Saint Siège et l’Allemagne (un accord qui avait pour but de protéger les catholiques allemands). Pie XI ironise enfin gravement sur le culte du chef et sur cette espèce de religion nationale que le IIIe Reich met en place. Il s’élève ouvertement contre l’hitlérisme.
8 Léon Degrelle, nazi notoire, collaborateur à la tête des SS wallons durant la guerre. Il avait fui en Espagne à l’issue du conflit. Hitler aurait dit que s’il avait eu un fils, il eut aimé qu’il fût comme Degrelle. Le dernier SS belge Jean Vermeire, décédé en octobre 2009 avait dispersé les cendres à Berchtesgaden, le Nid d’Aigle de Hitler.
« Étranger, mon frère »
A l’origine de tout être, de toute chose, il y a un seul et même principe, Dieu. L’amour divin qui unit le Père, le Fils et l’Esprit est à la source de la Création et il en est la finalité : « L’amour a donné l’être à la création et c’est l’amour qui l’amènera à son accomplissement, à célébrer l’amour éternel de la Trinité et à y participer. » (Ilia Delio, L’humilité de Dieu) Dieu a donc voulu l’homme avant qu’il ne soit, il l’a modelé à son image et à sa ressemblance et lui a insufflé la vie. « Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ…Il nous a choisis en lui avant la fondation du monde…Il nous a prédestinés à être des fils adoptifs par Jésus Christ. » (Ep 1, 3-5) C’est en Christ que nous est révélé cet amour du Père pour toute créature, amour bienveillant et débordant qui fait de nous des fils, et donc des frères.
« Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres », tel est le commandement que le Seigneur nous livre et qui nous engage…non pas simplement à aimer nos proches ou ceux qui nous font du bien, mais à aimer tout homme, toute femme, qu’il nous est donné de rencontrer, comme le Christ nous a aimés, jusqu’à donner sa vie pour nous. « Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Celui qui n’aime pas demeure dans la mort. Quiconque hait son frère est un homicide… A ceci nous avons connu l’Amour : celui-là a donné sa vie pour nous. Et nous devons, nous aussi, donner notre vie pour nos frères. Si quelqu’un, jouissant des biens de ce monde, voit son frère dans la nécessité et lui ferme ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui ? Petits enfants, n’aimons ni de mots ni de langue, mais en actes et en vérité. » (1Jn 3, 14-18)
L’étranger, plus que tout autre, incarne ce frère vers lequel nous ne sommes pas portés naturellement. Trop souvent, il est perçu comme une menace, comme celui qui pourrait mettre en danger des valeurs qui nous sont chères, qu’elles soient culturelles, religieuses, sociales ou politiques. La peur nous conduit à un repli communautaire et à l’exclusion, convaincus que nous sommes, d’avoir à défendre ce qui nous est propre, ce qui nous appartient. Le pape François n’a de cesse de nous mettre en garde contre cette attitude : « Respectant l’indépendance et la culture de chaque nation, il faut rappeler toujours que la planète appartient à toute l’humanité et est pour toute l’humanité, et que le seul fait d’être nés en un lieu avec moins de ressources ou moins de développement ne justifie pas que des per¬sonnes vivent dans une moindre dignité. Il faut répéter que les plus favorisés doivent renoncer à certains de leurs droits, pour mettre avec une plus grande libéralité leurs biens au service des autres ». (Pape François, Evangelii gaudium 190)
L’Ancien Testament, d’ailleurs, appelait déjà le peuple juif à ne pas rejeter l’étranger et à lui ouvrir son cœur : « Si un étranger réside avec vous dans votre pays, vous ne le molesterez pas. L’étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d’Égypte. » (Lv 19,33-34)
C’est bien l’amour qui doit nous animer, qui doit convertir notre regard pour découvrir en cet étranger un frère à aimer « en actes et en vérité ». La parabole du bon Samaritain nous invite à nous faire le prochain de tous ceux qui souffrent, quelles que soient nos différences. « Cette rencontre miséricordieuse entre un Samaritain et un Juif est une interpellation puissante qui s’oppose à toute manipulation idéologique, afin que nous puissions élargir notre cercle pour donner à notre capacité d’aimer une dimension universelle capable de surmonter tous les préjugés, toutes les barrières historiques ou culturelles, tous les intérêts mesquins. » (Pape François, Fratelli tutti 83)
« J’étais un étranger et vous m’avez accueilli » (Mt 25, 35)…accueillir ce frère que tout sépare de moi, en apparence, c’est se faire proche de lui, dans un esprit de service qui rejette toute tentation de domination ou d’exclusion, c’est lui redonner sa dignité d’enfant de Dieu, c’est reconnaître en lui le visage du Christ car, nous dit Jésus, « chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ! » (Mt 25,40)
Concluant le séminaire de Liverpool sur la migration, en 2008, les évêques africains et européens réaffirmaient la dignité du migrant et rappelaient qu’il « est une occasion de grâce qui vient de Dieu et porte avec lui une nouvelle richesse de culture, de spiritualité, d’intellect et d’intelligence, de créativité et surtout d’humanité ».
A l’exemple de François d’Assise qui « appelait frères et sœurs les créatures même les plus petites, car il savait qu’elles et lui procédaient du même et unique principe » (LM 8,6), construisons « un monde plus fraternel et plus évangélique » en accueillant « d’un cœur humble et courtois tout homme comme un don du Seigneur et une image du Christ ». (Projet De Vie 13.14)
P. Clamens-Zalay
Second discours après la Cène 15-16 (première partie)
Introduction
◽️ Dans le 1er discours d’adieu, nous avons vu qu’il s’agissait surtout de la promesse d’un « enveloppement trinitaire ».
◽️ Aux chapitres 15 et 16, Jésus va leur montrer que cet enveloppement trinitaire, ce n’est pas encore le ciel, mais qu’il concerne leur vie d’ici-bas, dans le temps qui reste à vivre avant le retour du Seigneur. Il y a un délai… C’est le temps de l’Eglise… Que faire de ce temps ?
◽️ Ce n’est pas un temps creux, inerte. Ce sera le temps actif du salut (comme lorsqu’une femme attend un enfant). Comment se présentera cette condition active dans le temps ?
L’incorporation au Christ (Allégorie de la vigne – 15, 1-17)
1. En se recevant d’un Autre
◽️ La VIGNE, c’est d’abord le symbole d’Israël dans l’AT. Le peuple choisi par Dieu est un vignoble. YHWH l’a planté lui-même, arrosé, entouré de soin… Mais sa vigne l’a déçu, elle ne lui donnait que du verjus… Alors il l’a abandonnée au feu et à la dévastation.
• Dans l’évangile de Jean, la vigne devient une seule personne : Jésus. Il incarne et récapitule tout Israël. Autrement dit, le seul et véritable Israël, c’est lui. Quand il dit « Je suis la vraie vigne » il sous-entend qu’Israël n’était qu’une préfiguration et que la réalité n’est plus décevante comme la préfiguration, mais parfaite : c’est l’Israël réussi.
• Mais l’image se resserre encore : cette seule personne, le Christ, devient un vivant collectif, une seule unité organique avec ses disciples, un seul organisme vivant (cep + sarments).
cf. Saint Paul : comparaison du corps et des membres (1Co. 12, 12 ss)
Saint Augustin parlera du « Christ total », c’est à dire Jésus et les siens.
◽️ Il y a donc une réelle incorporation qui fait que la condition des disciples dans le temps n’est pas une vie loin du Christ, séparée du Christ remonté au ciel, mais une vie dans le Christ : la formule « en moi » revient 6 fois en 5 versets (2.4.5.6.7). Les disciples ne sont plus des individualités séparées, ils sont membres du Christ.
◽️ La plus évidente conséquence, c’est que la vie des disciples dans le temps consiste à SE RECEVOIR constamment d’un Autre, et à le reconnaître. Paul dit dans 1Co. 4, 7 : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? ! »
2. En se laissant vivifier par un Autre
En étant non pas passif, mais membre actif, en jouant vraiment le jeu de la vivification. C’est le sens de la formule « porter du fruit » qui revient 5 fois (2.4.5.8.16).
Qu’est-ce que cela veut dire ?
◽️ On peut avoir été branché sur le Christ par la foi (être entré dans l’Eglise par le baptême), mais n’avoir qu’une foi sèche, sans les « œuvres »
◽️ Or, ça ne suffit pas, il faut « porter du fruit » par la charité. D’où l’insistance de Jésus (v. 9-17) sur la loi de l’amour « aimez-vous les uns les autres ».
◽️ Donc, sans cesse les disciples ont à faire que la sève se propage, et que la vigne soit en expansion… Simplement, le fruit ne vient pas d’eux, mais du cep.
3. En acceptant de vivre le mystère de souffrance de cet Autre
L’incorporation au Christ va nécessairement jusque-là. D’ailleurs « porter du fruit » ne s’explique que par la phrase de Jésus : « Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (12, 24).
Tout le passage (15, 18-16, 4) annonce la destinée souffrante de l’Eglise, en solidarité avec celle de Jésus : il lui faudra affronter le « monde », lui résister, tenir bon, supporter la persécution, l’exclusion des synagogues, la mort. Si le corps souffre, les membres souffrent.
Fr Joseph
Un livre, Une Expo
Un livre
Libres, simples et heureux, trois adjectifs qui semblent relever du registre onirique. C’est pourtant ce que propose d’appréhender Michel Sauquet dans un court ouvrage constitué de témoignages. La pensée de « François » constitue le fil conducteur de la réflexion sur les comportements adoptés face à une nature qui souffre de notre avide consommation et de notre cruelle insouciance. Le Pape François, souvent sollicité dans ce petit ouvrage rappelle dans Laudato si’ que nous ne sommes pas Dieu[1]. Les expériences relatées sont celles de personnes qui opèrent des choix de vie cohérents avec le message de Saint-François. Ces témoignages me renvoient au magnifique conte initiatique du Petit Prince : identifier l’accessoire et l’essentiel[2], invisible pour les yeux. Tous les personnages recherchent le contentement et rares sont ceux qui peuvent être sauvés sauf l’allumeur de réverbères qui a le sens de la mission. Finalement, le voyage constitue une métaphore de notre humanité. Les hommes se condamnent à la frustration en cherchant la maîtrise ce qui conduit au manque et à l’ennui. Pour Saint-Exupéry, on ne voit bien qu’avec le cœur ; il cultive une morale de responsabilité.
En lisant le « recueil de témoignages » de Michel Sauquet, je perçois un chemin de vie d’une extrême ambition, tel celui que l’on trouve dans les contes initiatiques de l’aviateur-écrivain et de Pamela Lyndon Travers[3]. Les expériences contées incitent au retour à l’essentiel, un peu comme dans Le Petit Prince qui vient sur terre puis repart[4]. Même si l’auteur rassure dès l’introduction en affirmant « qu’il ne s’agit pas d’être dans le sacrifice…mais de rompre nos chaînes d’addiction, …[5] », on referme le livre avec un étrange sentiment de culpabilité ; le sacrement de réconciliation apparaît dès lors indispensable. Adopter des comportements responsables lorsque nous épargnons[6], lutter contre notre peur de manquer[7], accepter le partage de son lieu de vie[8], se détacher de son ego[9], rechercher un sens à la vie[10], accorder son activité aux valeurs de sa foi[11], sortir de sa zone de confort[12], adopter une discipline végétalienne[13] ; autant de défis à relever. Las ! J’avoue que je ne dispose pas de l’énergie, de la volonté de mener tous ces combats. Nul doute pourtant que nos modes de vie et de consommation conduisent à de nouvelles formes d’esclavage[14].
Pourtant, les témoins incitent à un bouleversement de nos modes de vie qui engagerait des conséquences économiques et sociales brutales[15]
Dans cette ode à suivre un chemin exigeant, on peut discuter avec humilité l’interprétation des écrits de Descartes. En effet, sous les plumes de Michel Sauquet[16] et de Jean Bastaire[17] , René Descartes est soupçonné de penser que l’être humain possède la terre avec charge à lui de l’exploiter sans limites. Or, dans son Discours de la méthode le philosophe tourangeau écrivit « Se rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature[18] » et non « l’homme est maître et possesseur de la nature, … ». Cela change tout, car pour Descartes, le terme de maître n’est pas Dominus ; ce n’est pas « celui qui domine » mais plutôt Magister ; « celui qui maîtrise[19] ». Il s’agit plutôt de mieux maîtriser la nature, l’environnement dans lequel évolue l’homme. Ainsi, l’homme ne serait plus à la merci d’une nature perçue comme son adversaire. L’ouvrage philosophique fut rédigé au XVII° siècle, sa démarche consistait plutôt à libérer l’être humain des caprices de la nature qu’il affrontait. À l’aide des sciences, l’homme pouvait désormais rendre cette nature utile en cultivant ses connaissances.
Il n’y avait donc pas chez Descartes une vision de légitimité prédatrice empruntée à une hubris, triste enfant de la nuit[20] ; mais bien de permettre à l’homme de sortir de sa servitude face aux risques naturels[21]. Il suggérait donc que l’homme pouvait aspirer à dominer la nature, même si sa connaissance demeurerait toujours imparfaite. Le XIX° siècle alla plus loin avec l’interprétation de la philosophie positiviste : « À quoi sert Dieu si les sciences permettent de comprendre ? »
Il y a dans ce petit ouvrage des questions fondamentales soulevées à de multiples reprises depuis le siècle de Saint-François[22]. La doxa ultra-libérale qui préside à la marche de notre monde appauvrit sans cesse les plus pauvres et enrichit les plus riches. Supprimer la pause du dimanche au nom du réalisme économique, penser que plus ; c’est mieux[23], accréditer la « théorie du ruissellement » pour défendre certaines décisions fiscales, se vouer au culte du productivisme[24] sont autant de manifestations du règne de l’économique et du financier aux dépens du politique. Tout cela constitue des obstacles titanesques à l’érection d’une société de fraternité universelle. La course effrénée après le temps, la soif de consommation sont autant d’écueils pour retrouver l’essentiel.
Les témoins sollicités par Michel Sauquet, lancés sur les traces de Saint-François, prônent l’humilité, la solidarité universelle cosmique, l’écologie intérieure et extérieure[25] ; fondations indispensables à un retour à l’essentiel. L’optimisme et l’émerveillement[26] doivent guider sur le chemin de l’engagement citoyen même si certains ont dû capituler face au veau d’or[27].
Les enjeux planétaires semblent gigantesques, mais, pour autant, ne doit-on pas apporter notre humble participation à l’œuvre commune[28] ?
Les contributeurs de ce livre sont-ils de doux illuminés à l’humilité radieuse[29] ou les éclaireurs du monde de demain[30] ?
[1] N°67,
[2] On retrouve par ailleurs cette idée dans le livre de M.Sauquet, page 24.
[3] Du reste, était-ce un hasard si les aventures de la « sautillante » Mary Poppins furent initialement éditées en France par l’éditeur chrétien Desclée de Brouwer ?
[4] Et si le Christ était dans son esprit ?
[5] Page 16.
[6] Page 21.
[7] Page 22.
[8] Page 30.
[9] Page 41.
[10] Page 43.
[11] Page 51.
[12] Page 64.
[13] Page 96.
[14] Page 23, Nous avons apprécié la phrase « …ce n’est pas parce que je peux faire quelque chose que je dois le faire ; ce n’est pas parce que je peux m’offrir tel bien que je dois le faire…Et ce n’est pas non plus parce que je ne peux pas le faire que le monde va s’écrouler. »
[15] Page 28 : « on peut vivre avec moins sans pour autant dépérir : certes moins de dépenses culturelles, mais aussi moins de vêtements, moins de carburant, moins d’appareils ménagers, moins de dépenses de restaurant… ». Une solide anticipation est souhaitable car l’impact économique et social risque d’être spectaculaire.
[16] Page 10.
[17] Page 88.
[18] « …On peut en trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui feraient qu’on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie”. Page 168 de la version de la Pléiade.
[19] Au sens d’expert.
[20] Érèbe, divinité née du chaos représentant les ténèbres.
[21] Dans le texte de Descartes « Nature » comporte une majuscule, ce qui manifeste la dimension supérieure du concept appréhendé.
[22] The Limits to Growth, (publié en français sous le titre Halte à la croissance ?) connu sous le nom de « Rapport Meadows » publié par le Club de Rome le 1eroctobre 1972.
[23] Et qu’enlever quelque chose est associé à une perte page 39.
[24] Laurent Grzybowki pages 34-35. On achète environ deux fois plus de vêtements qu’il y vingt ans, que l’on porte …deux fois moins ! page 56.
[25] Page 105.
[26] Laudato si’ n°11
[27] Le 14 mars dernier, Emmanuel Faber était démis de ses fonctions de président de Danone « avec effet immédiat » suite à la fronde des actionnaires. Évoqué pages 110-111.
[28] Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! « Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. » Légende amérindienne citée par Pierre Rabhi.
[29] Page 43.
[30] Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. Mark Twain ou Winston Churchill.
Une Expo
Botticelli, artiste et designer.
En savoir + : Musée Jacquemart-André
Le Florentin Alessandro Filipepi, alias Sandro Botticelli (1445-1510), est l’une des figures majeures de la Renaissance (le Quattrocento) qui traversa la péninsule de la Sicile à la Lombardie au XVème siècle, avant de vivifier le reste de l’Europe. La République de Florence était alors dominée par la famille Médicis qui donna deux reines à la France au siècle suivant. Son mécénat favorisa l’envolée artistique dans la Cité-État, en particulier celle de Botticelli (de botticello, ou « petit tonneau »). Fils d’un artisan tanneur, il apprit le dessin comme apprenti chez l’un de ses frères orfèvre. Très doué, il ne tarda pas à s’initier à la peinture chez un grand maître : Filippo Lippi. Il acquit rapidement une très belle et longue renommée qui ne déclina qu’avec l’émergence de deux autres éminents Florentins : Léonard de Vinci, puis Michel-Ange.
Chacun a dans les yeux quelques-uns des tableaux de Botticelli, comme Le Printemps ou La Naissance de Vénus, qui sont aussi emblématiques de cette période faste que La Joconde, peinte un peu plus tard. Cette exposition d’une quarantaine d’œuvres prêtées par d’importants musées européens est l’occasion de découvrir ou de redécouvrir d’autres œuvres, et par là une richesse créative exceptionnelle qui dépasse l’artiste lui-même, car on peut aussi y admirer le travail de contemporains qu’il a influencés, voire employés. En effet, la pratique artistique de cette époque était très différente que celle que nous connaissons. Botticelli créait de toutes pièces, certes, mais il déclinait ensuite ses motifs en série, à l’aide de « cartons » qui permettaient de les reproduire, ce dont s’occupait ses disciples dans le cadre du travail d’atelier en vigueur alors, pratique collective très éloignée — malheureusement peut-être — de nos conceptions actuelles. Cet aspect historique est très bien expliqué sur des panneaux dans les diverses salles de l’exposition, ainsi que l’évolution du peintre, de sa technique comme de ses inspirations et influences, replacée dans le contexte d’une époque mouvementée sur tous les plans : artistique, intellectuel, politique, religieux…
L’exposition qui se clôturera le 24 janvier 2022 n’a que deux défauts : celui d’être relativement chère (de 10 à 17 €), et celui de nous laisser un peu sur notre faim, notamment parce qu’elle ne présente pas d’œuvres très connues, hormis la merveilleuse Madone au livre et l’éblouissante La Belle Simonetta qui fait l’affiche pour l’occasion. Mais après tout, est-ce un défaut ? Car la présence de chefs-d’œuvres universellement connus aurait peut-être occulté la beauté d’images qui ne sont pas moins belles. Un dernier reproche, toutefois, aux commissaires pour ce curieux sous-titre donné à l’exposition. S’il est incontestable que Botticelli fut, pour notre bonheur, un très grand artiste, on ne voit pas bien à quoi correspond l’appellation anachronique de « designer «. Peut-être à une incapacité d’accepter que nous ayons aujourd’hui beaucoup de leçons à prendre d’une époque si bouillonnante de créativité ?…
Jean Chavot
Prière de novembre
Dieu, – ce mot qui te désigne
est en train de mourir et se vide de sens,
insignifiant et périssable
comme toute parole humaine.
Nous t’en prions :
qu’il soit à nouveau doué de puissance
comme un nom
nous apportant ta promesse, comme une parole de vie
nous annonçant
que tu seras pour nous
comme tu es :
fidèle et caché, proximité qui nous effleure,
notre Dieu maintenant et à jamais.
Seigneur Dieu,
tu nous as envoyé to fils,
Jésus de Nazareth,
merveille d’humanité et d’amour,
parole qui libère
et crée un espace nouveau ;
là où il vient
la vie n’est plus obscur ni angoissante.
Nous t’en prions :
qu’en chacun de nous
sa vie grandisse,
que nous ne soyons plus enlisés dans le désarroi
ni possédés par le doute et la discorde
mais remplis de foi et de courage,
de simplicité et de paix.
H. Oosterhuis
MIGRANTS, EMIGRANTS, IMMIGRANTS.
Avec la campagne présidentielle, nous assistons à une suren-chère de discours sur les migrants et la sécurité. Les citoyens plongés dans la peur de l’autre sont incités à le désigner comme « bouc émissaire » responsable de tous leurs maux. Mais la peur et la haine sont bien mauvaises conseillères. Notre société se veut pourtant fondée sur la déclaration universelle des droits de l’homme qui proclame : « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. » ; « Devant la per-sécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays. » (articles 9 et 14). Bien avant déjà, l’Evangile enseignait que nous sommes tous frères : « Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli; » (Matthieu, 35). Ins-pirons-nous de ces quelques lignes pour penser ces questions tout autrement, avec notre raison et notre cœur.
L’humanité est en mouvement depuis ses origines, dans son berceau africain. Aujourd’hui, les migrations se multiplient avec la mondialisation, le développement des moyens de transport, de communications et le creusement des inégalités géo-économiques et écologiques. La prétention de bloquer ce mouvement inhérent à la condition humaine est illusoire, inhumaine et anti-historique, notamment en France et en Europe qui sont depuis toujours des zones de grand brassage, d’immigration comme d’émigration. Qui d’entre nous ne trouve pas un ancêtre « venu d’ailleurs » ou « parti à l’étranger » dans son arbre généalogique ? Tout immigrant est un émigrant qui a quitté son pays. Il ne le fait pas de gaîté de cœur, mais sous la contrainte, la menace de famine ou de mort, parfois dans l’espoir d’un Eldorado mensonger. Sa famille, ses proches, son pays ne voient jamais partir sans une tristesse in-quiète ni sans regret cette jeunesse qui s’en va avec toutes ses promesses, affronter les périls d’un voyage plus qu’hasardeux pour ne trouver à l’arrivée, si elle arrive, que rejet, mépris et mi-sère. Que fait-on pour y remédier ? L’accumulation de décisions lé-gislatives et réglementaires aboutit à une complexité telle qu’elle semble conçue uniquement pour bloquer les demandes, rallonger les délais d’instruction, tandis que les demandeurs restent prison-niers de situations humainement insupportables dont les idéo-logues, les démagogues font un enjeu électoral qui ajoute à la con-fusion et à la difficulté.
De nombreux « sans papiers » survivent à côté de nous sans droits, sans aucune protection d’aucune sorte. Ils sont la proie de tous les trafiquants et de tous les exploiteurs cyniques : mar-chands de sommeil, travail au noir sous-payé, esclavage sexuel, trafic de drogue, etc. Ils sont livrés à la rue, jetés dans des centres de rétention ou bien parqués dans des « jungles ». Est-il accep-table, alors que les pays pauvres sont ceux qui comptent le plus de réfugiés, qu’un pays riche comme le nôtre se montre si peu ac-cueillant, sous des prétextes culturels, économiques et sécuritaires fallacieux ? Car l’immense majorité des migrants ne demandent qu’à participer à la vie collective, et c’est même dans cet espoir qu’ils sont venus. Allez par exemple au marché : la plupart des commerçants, maraichers, bazardiers, fripiers ne sont-ils pas d’origine étrangère, ne sont-ils pas polyglottes, ne font-ils pas par-tie de notre quotidien sans soulever d’autre difficulté que celle de la rencontre fraternelle, bénéfique à tous ?
Notre humanité est menacée par tout autre chose : la surex-ploitation des richesses au profit croissant d’un nombre toujours plus restreint, la misère, la famine qui s’aggravent d’autant et tou-chent des populations toujours plus larges, sans parler des me-naces climatiques et écologiques. Comme l’a encore montré la co-vid, personne ne pourra lutter ni se sauver tout seul : notre avenir passe par la solidarité et le partage. Comme chrétien, comme frère humain, c’est la voie que je choisis.
Le comité de rédaction