Corentin Cloarec, Un franciscain en résistance.

1. Une jeunesse bretonne à l’aube du siècle des totalitarismes. 

En ces temps de campagnes électorales, l’Histoire est invitée par ceux qui exploitent les peurs, les rancœurs et l’ignorance pour servir leur logorrhée ; celle d’une France malade d’un passé qu’elle ne parvient pas à assumer. Or, les témoins disparaissent comme le déplorait récemment du haut de ses 99 ans Pierre Rolinet[1], ancien déporté au Struthof. Cette conjoncture encourage les « assassins de la mémoire », comme les qualifiait l’historien Pierre Vidal-Naquet[2], à revisiter l’Histoire à l’aune de falsifications et de mensonges. Invitant le roman national, conviant la nostalgie d’un passé imaginé bien meilleur qu’un présent honni, sollicitant avec une faconde confondante le général de Gaulle[3], ils manipulent sans vergogne l’Histoire, faisant de la France de Vichy un parangon de vertu, un rempart protecteur des israélites durant les années sombres.  

Ils furent pourtant un certain nombre en ces temps obscurs, à se lever pour dire « non » à la collaboration engagée par le Maréchal Pétain, collaboration assumée et scellée dès le 24 octobre 1940 lors de l’entrevue de Montoire[4].

Parmi ces femmes et ces hommes de l’ombre dont certaines rues portent, dans l’indifférence voire l’oubli, les noms : Corentin Cloarec[5].Nul doute que son patronyme, comme son prénom de religieux, fleurent la Bretagne. Jean-Marie est né le 31 mars 1894 au sein d’une famille de cultivateurs dans un petit village du pays de Léon ; un coin de France où le breton constituait la langue des échanges mais aussi celle d’une certaine résistance à la culture française. À partir de 1870, la République d’alors dut lutter pour s’imposer en un pays majoritairement monarchiste[6]. Le Léon dans lequel naquit le futur religieux, était sans conteste une terre propice aux vocations sacerdotales. Les « Léonards[7] » fournirent nombre de prêtres et de missionnaires à l’Église ! C’est au collège de Saint-Pol-de-Léon[8] qu’il fit ses études secondaires puis il entra au grand séminaire de Quimper en octobre 1913. Son parcours le mit au contact des grandes crises de l’époque liées aux incertitudes institutionnelles, à la loi de séparation comme à la naissance du catholicisme social. Après une année au séminaire, il vécut l’expérience traumatisante de la guerre en 1914. Pour nombre de religieux, ce fut, comme l’écrivit Teilhard de Chardin, un « baptême dans le réel »[9]. Les Bretons payèrent un lourd tribut à la Grande Guerre d’autant que le conflit accéléra la fin des terroirs[10] d’une France très en retard dans ses évolutions sociétales par rapport à ses voisins d’Europe occidentale. En effet, entre 120 et 150 000 Bretons perdirent la vie accélérant l’intégration de la Bretagne à la communauté nationale. Les séminaristes ne bénéficiaient pas d’un régime de faveur depuis la loi dite « des curés sac au dos » du 15 juillet 1889[11]. Aussi, nombre d’entre eux furent tués sur le front alors que d’autres ne poursuivirent pas leur parcours sacerdotal ou, traumatisés, rejoignirent le clergé régulier. Caporal mitrailleur, Corentin[12] fut blessé en septembre 1915 sur le front de Champagne. Revenu au combat, il fut fait prisonnier à Verdun au printemps 1916 et interné plus de deux années dans l’Oflag de Rennbahn en Rhénanie du Nord. En juin 1916, les Allemands ouvrirent un « camp-séminaire » auquel fut affecté le Breton. Il côtoya plusieurs frères franciscains qui exercèrent une influence majeure sur ses futurs engagements. Par ailleurs, si ses années de captivité ne le conduisirent pas à abandonner le chemin vers la prêtrise, elles influèrent sur la suite de son parcours sacerdotal. Son souci des prisonniers, son attachement à Sainte Thérèse de Lisieux, marquèrent ses années en religion. Entré au séminaire de Quimper à l’issue des hostilités, il rejoignit le noviciat franciscain d’Amiens le 8 septembre 1921 ; il avait 27 ans. Une nouvelle étape de sa vie commençait.


[1]« Nos témoignages s’estompent alors que nos sociétés démocratiques sont chahutées. Les partis de l’ombre progressent, il faut réfléchir quand on vote et ne jamais écouter les discours de haine. » 
https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/11/24/le-struthof-camp-de-concentration-passe-sous-les-radars-de-l-histoire_6103351_3224.html

[2] Pierre Vidal-Naquet, Les assassins de la mémoire, « Un Eichmann de papier » et autres essais sur le révisionnisme, éditions de la découverte. 

[3] Pourtant le général de Gaulle encourageait à regarder vers le temps présent voire l’avenir. Intervention télévisée du 14 juin 1960. https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i00012400/charles-de-gaulle-la-douceur-des-lampes-a-huile

[4] https://www.herodote.net/24_octobre_1940-evenement-19401024.php https://www.youtube.com/watch?v=3owdpnCeFmc

[5] Une rue porte son nom à Paris dans le XIV° arrondissement. (Rue du Père-Corentin)

[6] Le 30 janvier 1875, au Palais-Bourbon, un amendement institue la République à une voix de majorité. Après la défaite de 1870 et la chute de l’empereur Napoléon III, les élections ont porté à l’assemblée une majorité monarchiste. Toutefois, le fils du duc de Berry, le comte de Chambord refusait le drapeau tricolore. L’assemblée constituante attribua à l’Orléaniste Louis-Adolphe Thiers le titre de président de la République. Puis, lui succéda le légitimiste maréchal de Mac-Mahon, Les tentatives de restauration échouèrent suite à l’intransigeance du comte de Chambord. Le 30 janvier, Henri-Alexandre Wallon, un député de centre gauche déposa un amendement : « Le président de la République est élu à la majorité des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est rééligible ». Le texte fut voté par 353 voix pour et 352 voix contre. La République, la fonction présidentielle et le septennat entrèrent dans les lois constitutionnelles françaises. La monarchie laissa ainsi passer son ultime chance.

[7] Nom donné aux habitants du pays de Léon. (Finistère Nord)

[8] Le collège existe toujours collège du Kreisker, à côté https://www.lekreisker.fr/ à côté d’une chapelle : https://www.roscoff-tourisme.com/fr/fiche/patrimoine-culturel/chapelle-notre-dame-du-kreisker-saint-pol-de-leon_TFOPCUBRE029FS0003E/

[9] « Ce qui m’a déconcerté, à Verdun, c’est la vision concrète et prochaine de la destruction possible. J’ai senti, palpé, ce que c’est que se perdre, et d’avoir à renoncer à tous les espoirs nourris, à tous les cadres aimés. », in Journal, 30 juin 1916. 

[10] On se reportera par exemple à E.Weber, La Fin des terroirs, La modernisation de la France rurale (1870-1914) paru chez fayard en 1983.

[11] La loi du 15 juillet 1889 ramène le temps sous les drapeaux à trois ans, en supprimant les exemptions pour les ecclésiastiques et les enseignants qui sont désormais tenus à un an de service (loi des « curés sac au dos »). La loi de 1895 va imposer un service d’un an aux dispensés pour raisons familiales. Enfin la loi du 21 mars 1905 établit le service universel et égalitaire pour tous d’une durée de deux ans. Le tirage au sort est enfin supprimé. La loi du 19 juillet 1913 rétablit le service de trois ans pour des questions de rééquilibrage avec l’armée allemande, qui vient d’augmenter sensiblement ses effectifs.

[12] Son nom de religieux.