CORENTIN CLOAREC, UN FRANCISCAIN EN RÉSISTANCE.

2. Une jeunesse bretonne à l’aube du siècle des totalitarismes, …CELLE D’UN RESTAURATEUR DE L’ORDRE AVANT LE SECOND CONFLIT MONDIAL, …

En 1921, à 27 ans, Jean-Marie Cloarec avait quitté sa Bretagne natale pour rejoindre Amiens. Il avait souhaité entrer chez les frères mineurs et donc rejoindre la famille franciscaine. L’expérience de la guerre et de la captivité avait peut-être incité Corentin à cultiver une vie intérieure qui le conduisit à s’engager dans une vie monastique. En effet l’image qu’offrait en ces temps l’idéal franciscain était celle d’une vocation qui indiquait un chemin de sainteté. Il prit l’habit franciscain le 8 septembre 1921 et devint le frère Corentin. En choisissant ce saint breton il témoignait de ses origines, Durant plus de deux années, son noviciat correspondit au retour des frères mineurs qui avaient quitté la France suite à l’anticléricalisme développé à la fin du XIX°siècle. En effet, le 29 mars 1880, le ministre de l’Instruction publique Jules Ferry prit deux décrets par lesquels il ordonna aux Jésuites de quitter l’enseignement dans les trois mois. Fervent républicain, athée et franc-maçon, issu d’une riche famille de libres penseurs de Saint-Dié, Jules Ferry donna aux enseignants des congrégations catholiques le même délai pour se mettre en règle avec la loi ou quitter l’enseignement. Le 21 décembre 1880, le député Camille Sée, ami de Jules Ferry[1], fit passer une loi qui ouvrit aux filles l’accès à un enseignement secondaire public où les cours de religion seraient remplacés par des cours de morale. L’année suivante, il fit voter la création de l’École Normale Supérieure de Sèvres afin de former des professeurs féminins pour ces lycées. L’Église n’avait plus désormais le monopole de la formation des filles.Jules Ferry établit par ailleurs la gratuité de l’enseignement primaire par la loi du 16 juin 1881 et le rendit laïc et obligatoire par la loi du 29 mars 1882. L’affaire Dreyfus[2] devenue une affaire nationale lancée le 6 novembre 1894 par La Libre Parole[3] d’Édouard Drumont accentua le conflit. La seconde expulsion des congrégations religieuses de France fut une conséquence de la loi du 1er juillet 1901 sur les associations. Cette loi établissait la liberté d’association mais son article 13 fit une exception pour les congrégations religieuses en soumettant leur création à une autorisation préalable. Interprétée de façon restrictive par le Conseil d’État dès l’année suivante, elle porta à son paroxysme le conflit entre l’Église et la République. Émile Combes[4], né dans une pauvre famille du Tarn, put accomplir de brillantes études grâce au soutien bienveillant de quelques ecclésiastiques. Mais le directeur du séminaire jugea qu’il n’avait pas la vocation religieuse et le dissuada de devenir prêtre. Évoluant vers un violent anticléricalisme, il fit fermer en quelques jours plus de 2 500 écoles religieuses. Le 7 juillet 1904, il fit voter une nouvelle loi qui interdisait d’enseignement les prêtres des congrégations… Le 7 avril 1903, toutes les autorisations furent refusées, tous les couvents furent dissous et confisqués. Ces tempêtes avaient eu raison de la présence des frères franciscains en France, nombre de frères quittèrent le pays, certains entrèrent dans la clandestinité. 

La Grande Guerre et la participation des religieux au conflit permirent à la vague d’anticléricalisme de se calmer. En octobre 1923, le petit séminaire de Fontenay-sous-Bois, tout juste créé accueillit le frère Corentin. Le jeune frère contribua au mouvement de restauration de l’Ordre en France. Il fit preuve de grandes qualités d’organisation et de rigueur et fit montre d’un solide charisme personnel tant à Fontenay qu’à Mons-en-Barœul. Ses compétences s’exprimèrent au couvent de Saint-Brieuc dont il fut le gardien entre 1927 et 1937 puis à Paris à partir de 1938. Il fut considéré par le Provincial comme l’un des jeunes cadres de l’Ordre auxquels étaient confiées les tâches de développement et de consolidation des implantations nouvelles. Outre cette activité organisationnelle, Corentin Cloarec poursuivit une activité de prédication, et en février 1936, il entra au conseil provincial. Dans le contexte de ces années agitées, Il s’éleva contre les « doctrines détestables » qui ne mettaient pas l’amour au centre. Son inquiétude face aux menaces nées des totalitarismes fascistes et communiste ne le conduisit pas à ignorer les réalités nationales.  En 1937, il dénonça le matérialisme bourgeois (« Détrônez le veau d’or de son piédestal et empêchez l’argent de devenir la grande puissance ici-bas »). Sensible à l’engagement social de l’Église, présent auprès des plus modestes, il souhaitait par ailleurs sensibiliser les familles bourgeoises à l’action franciscaine[5]. Homme d’engagement, ancien combattant ; comment pouvait-il affronter la défaite et l’occupation ?


[1] https://www.herodote.net/Apotre_de_la_Republique_laique_et_universelle-synthese-2193.php

[2] L’affaire Dreyfus, (1894-1906) par son retentissement énorme, est considérée comme l’événement fondateur de l’engagement des intellectuels à l’époque moderne. Elle a pour toile de fond un antiparlementarisme provoqué par des scandales politico-financiers, et un antisémitisme qui traverse la société française. Les injustes condamnation et déportation du capitaine Alfred Dreyfus pour espionnage le 22 décembre 1894 prennent une nouvelle dimension lorsque l’impossibilité de la révision du procès révolte ses partisans. Des protestations individuelles provenant de la famille et des amis, on passe alors à une lame de fond mobilisant les « intellectuels ». Par ailleurs, la presse constitue la tribune des débats.

[3] La Libre Parole est un journal antisémite qui a lancé l’affaire Dreyfus en l’évoquant publiquement alors que la procédure militaire se déroulait à huis-clos. Journal lancé à Paris le 20 avril 1892 par Édouard Drumont, journaliste et polémiste. Journal disparu en juin 1924. Journaux lancés juste avant, ou pendant l’affaire Dreyfus, tels La Libre Parole illustrée, Le Chambard socialiste, Le Rire, La Feuille, Psst!, Le Sifflet, Le Cri de ParisLe Musée des Horreurs
et L’Assiette au Beurre. 

[4] https://www.herodote.net/Artisan_de_la_laicite-synthese-2968.php

[5] Il créa en pleine occupation une fraternité féminine en avril 1942 dans la paroisse Saint-Pierre de Chaillot