Les catholiques se trouvent sommés de condamner personnellement et collectivement les crimes révélés par le rapport Sauvé, comme si ce n’était pas l’évidence, comme si la souffrance des victimes ne les atteignait pas au cœur de leur charité, et comme s’ils en étaient suspects et complices. Il y a là une grande injustice, mais aussi, reconnaissons-le, une certaine part de vérité qui blesse douloureusement. Pour l’éclairer, il est indispensable d’aller plus loin que la « condamnation », cette manie de notre époque qui, fort commodément, dénonce et déteste plus le pécheur que le péché.
Ces crimes ont été commis dans l’ombre de l’Église, de ce corps, pour emprunter l’image de saint Paul, dont la tête, la lumière, est Jésus-Christ et les membres sont le peuple de Dieu, un peuple qui aspire à cette lumière, se sait indigne de la recevoir et supplie Dieu de lui dire la parole qui guérit. L’ombre de l’Église est celle de son humanité pécheresse en quête de lumière ; ce contraste marque sa longue histoire. Et même bien avant, sans remonter à la chute, on trouve dans la généalogie de Jésus des prostituées, un roi David assassin par délégation de l’époux d’une femme qu’il convoite, adultère infâme dont est issu le roi Salomon à la sagesse lumineuse finalement obscurcie par l’infidélité à lui-même et à Dieu. Ainsi l’Église est-elle marquée par ce contraste entre, d’une part l’ombre de la compromission avec les appétits des puissants dans laquelle se dissimulent, se légitiment ou se commettent les pires crimes, et d’autre part la lumière du salut qui illumine les œuvres les plus splendides dont l’humain se montre capable. N’est-ce pas à la victoire de la lumière qu’aspire notre foi ? N’est-ce pas de cette victoire que rendent compte la vie et le message de François d’Assise, appelé par Jésus à réparer sa maison qui tombe en ruine ?
Réduire l’Église à sa part d’ombre est aussi ridiculement erroné que réduire la science à son exploitation technologique à des fins de domination guerrière ou mercantile. Oui, des hommes, des prêtres, ont commis l’irréparable dans cette ombre, tirant leur pouvoir de la lumière même qu’ils étaient censés porter, drapés dans une autorité que le peuple de Dieu leur avait confiée, ou abandonnée, trop exclusivement et libéralement. Si l’appartenance à ce peuple rend tous ses membres solidaires, c’est la soumission passive à cette autorité, traduite en mutisme et en aveuglement coupables, qui rend chacun responsable de ce qui est commis par un seul. Mais par sa tête qui est Jésus-Christ, par ses saints reconnus et méconnus, par la parole et l’action du pape François qui, après la canonisation hâtive de Jean-Paul II, apparaissent aujourd’hui comme une chance miraculeuse, c’est tout le peuple de Dieu qui est appelé d’urgence à un processus synodal, afin de refonder l’Église sur les trois piliers de la communion, de la participation et de la mission, et de témoigner ainsi de l’amour de Dieu pour l’humanité.
La vocation de l’Église est d’être le signe du Salut pour le monde. L’injonction moralisante n’est plus de mise, elle doit regarder le péché en face, le reconnaître dans la réalité et dans sa propre réalité pour le combattre par la lumière, par l’écoute réciproque de tous ceux qui forment le peuple de Dieu, car s’ils ne s’écoutent pas les uns les autres, lequel entendra la voix de l’Esprit Saint ? Le monde, notre monde, en a besoin, plus que jamais peut-être, tant dans sa fuite en avant vers sa propre perte il ne sait plus, comme on dit, à quel saint se vouer. Ainsi, par l’exemplarité de la communion, de la participation et de la mission, l’Église, une Église qui va de l’avant, peut-elle aujourd’hui ouvrir la voie d’un monde nouveau d’où l’amour et le service du prochain excluent toute violence et toute domination : un monde de lumière.
Le comité de rédaction