Le Roman vrai de la Vénus de Milo
Candice Nedelec
Une femme à moitié nue qui avance vers le spectateur, émergeant des fumées révolutionnaires, brandissant le drapeau tricolore, au milieu d’hommes tous plus inquiétants les uns que les autres pour le monde établi d’alors. Ce personnage c’est la liberté, l’allégorie de cet idéal en marche, peinte par Delacroix suite aux trois Glorieuses de 1830, qui portèrent Louis-Philippe sur un trône que la famille d’Orléans avait approché durant sept années à la mort de Louis XIV. Comme nombre d’artistes de son temps, Delacroix trouva son inspiration en admirant les œuvres antiques qui inondaient alors le vieux continent.
C’est l’histoire tumultueuse de la belle dame des Cyclades que raconte Candice Nedelec dans son livre Le Roman vrai de la Vénus de Milo.
La découverte de la statue, révélée par l’officier de marine Olivier Voutier, constitua le début d’une aventure romanesque. Qui était cette belle femme ? C’est la question que se pose Candice Nedelec. Découverte en 1820 sur la volcanique île de Mélos , au Sud-Ouest de l’archipel peuplé par Minos, la Vénus de Milo fut l’objet de tractations que narre la journaliste de Gala. Tractations politiques, fruits des ambitions des uns et des autres pour honorer leur pays et gagner la faveur du souverain. Symbole du romantisme philhellène qui s’enflamma pour la cause grecque depuis que l’archevêque de Patras eut incité les Grecs à se soulever contre l’oppression ottomane. L’appeler Vénus n’était en fait guère adapté car son origine grecque aurait dû la conduire à être baptisée Aphrodite ou peut-être Amphitrite.
Candice Nedelec, perspicace, soulève les enjeux que pouvait représenter cette statue. Comme elle le suggère, le hasard fit bien les choses puisque la découverte fut fortuite. Ce fut celle d’un paysan gêné par la résistance offerte à sa charrue qui dégagea la belle au visage parfait, mais au corps mutilé.
Un officier français de passage imagina que la France eût été avisée d’acquérir cette apparition antique. L’auteure perçoit le contexte d’alors, celui d’une compétition entre puissances européennes pour garnir les musées de collections qui seraient les vitrines de leur puissance. L’Antiquité était au goût du jour, l’expédition de Bonaparte en Égypte et l’émergence du néoclassicisme appelaient à une beauté idéale aux proportions rigoureuses. Les romantiques, eux, étaient plutôt enclins à privilégier les passions plus que la vertu ; pourtant, les tourments de la Grèce nourrissaient leur inspiration. La France de Louis XVIII fut donc prête à accueillir l’œuvre mais ce ne fut possible qu’après des négociations avec l’ombrageuse Sublime Porte avide de remplir les caisses de l’État. Les enchères firent l’objet d’intenses négociations. Candice Nedelec décrit avec pertinence mais en un style parfois laborieux le voyage de la belle Égéenne, les discussions animées entre experts pour décider s’il convenait de soigner Aphrodite en lui faisant un petit lifting ou en pratiquant une greffe de marbre. L’aventure de cette Vénus au superbe drapé jeté sur les hanches, fut celle des Français ballotés entre la guerre franco-prussienne et la Commune. Elle vécut l’évacuation à la faveur des conflits mondiaux, fut bringuebalée au gré des expositions et des contingences politico-diplomatiques imposées au patrimoine culturel. Il est vrai que l’auteure se laisse un peu aller à des fantaisies romanesques mais son ambition n’était pas de faire œuvre d’historienne. Le souci de mêler l’Histoire, l’Histoire de l’art et l’imagination littéraire conduit à une écriture parfois pesante. Certes, la confusion des genres nuit effectivement à l’élégance de l’écriture mais les aventures de la beauté amputée et mystérieuse, œuvre d’un Praxitèle, d’un Phidias ou d’un obscur Alexandros d’Antioche du Méandre séduit le lecteur. L’ouvrage de Candice Nedelec, malgré quelques faiblesses, a le mérite de réveiller la célèbre déesse, véritable satisfaction érotique fantasmée par Dali, avide de découvrir l’intérieur du corps et de l’âme de la divine apparition.
Érik Lambert.