LE PAPE CLÉMENT XIV, UN PAPE CONFRONTÉ À LA TOURMENTE DES LUMIÈRES, …

Certes, il y eut Clément V, rendu célèbre par Maurice Druon relatant ce lundi 18 mars 1314 lorsque Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay furent brûlés sur « l’île aux juifs » à Paris. Malédiction aussi tonitruante qu’apocryphe[1],appelant Guillaume de Nogaret, le roi Philippe le Bel et le Pape Clément au tribunal de Dieu. Cet épisode rendit célèbre un ancien pontife dont le nom se perpétue à la faveur du grand cru classé de Graves dont l’étiquette porte son nom. Se nommer Clément lorsque l’on coiffe la tiare serait-ce gage de lutte contre des ordres religieux ? 

Jusqu’à la fin du XVIII° siècle, la carte des confessions chrétiennes en Europe demeura une carte politique : « cujus regio, ejus religio[2] ». Le catholicisme, comme les autres confessions chrétiennes, fut frappé par la profonde crise de conscience qui, tout au long du siècle, façonna une Europe nouvelle.L’influence de l’Angleterre et de la France conduisit en effet l’élite italienne à adhérer à une « philosophie », projet de bonheur de l’humanité à la faveur du développement des sciences et des techniques. Faire reculer les superstitions ; tout cela conduisait à privilégier la « raison », le « progrès », la « bienfaisance » voire le « cosmopolitisme ». Paradoxalement, cette aspiration à améliorer le sort du collectif conduisit à une exaltation de l’individu auquel il fut offert l’opportunité d’échapper à des pressions ancestrales. Le « temps des Lumières » commença en Italie après la paix d’Aix-la-Chapelle de 1748[3] qui conclut la guerre de succession d’Autriche. Après les traités d’Utrecht et de Rastadt[4] la domination espagnole sur la péninsule prit fin. Si les papes les plus emblématiques de ce XVIII°siècle furent l’intelligent et pittoresque Benoît XIV[5]et « le père des pauvres », Pie VI[6] ; ces deux pontifes ne laissèrent en grande partie que des projets. L’histoire fit peu de cas de Vincenzo Ganganelli, fils d’un modeste chirurgien, né près de Rimini en janvier 1705. Fait cardinal en 1759 par le Pape Clément XII sur la recommandation du Général des jésuites Ricci. Qui était-il ?

Jean-Vincent fit ses études d’humanité chez les jésuites de Rimini puis chez les piaristes[7] d’Urbino. Ce fut en cette ville qu’il prit l’habit chez les frères conventuels sous le nom de frère Laurent. Après avoir enseigné au scolasticat[8] de la province de Romagne[9],  il fut nommé professeur au collège Saint-Bonaventure de Rome. En 1731, il soutint sa thèse de doctorat sur Saint-Ignace et fut élu définiteur général[10] de son ordre. C’est cet homme qui fut élu au Saint-Siège le 18 mai 1769 après un conclave de …3 mois ! ÉRIK LAMBERT.


[1] « Pape Clément !… Chevalier Guillaume !… Roi Philippe !… Avant un an, je vous cite à paraître au tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste jugement ! Maudits ! Maudits ! Maudits ! Tous maudits jusqu’à la treizième génération de vos races ! » Ainsi s’exclame Jacques de Molay, le dernier maître des Templiers, au moment de périr sur le bûcher le 18 mars 1314. C’est en tout cas ce qu’écrit Maurice Druon dans la suite romanesque Les Rois maudits.

[2] « Telle la religion du prince, telle celle du pays.» est une maxime exprimé en latin qui édicte le principe politique selon lequel le souverain d’un pays impose sa religion à ses sujets. Ce principe plutôt d’inspiration protestante fut consécutif aux conflits nés de la Réforme. Principe affirmé suite à la paix d’Augsbourg de 1555. Cet adage manifeste la supériorité du temporel sur le spirituel. 

[3] Le 18 octobre 1748, le traité d’Aix-la-Chapelle met fin à la guerre de la Succession d’Autriche. Cette guerre de huit ans révéla l’émergence d’une nouvelle puissance avec laquelle il faudra compter : la Prusse.

[4] Le traité d’Utrecht, complété le 6 mars 1714 par celui de Rastatt mit fin à la guerre de Succession d’Espagne (1702-1714). L’Angleterre en fut la principale bénéficiaire, obtenant Gibraltar, et, surtout, des positions territoriales et commerciales décisives dans l’Amérique colonisée, qui assurent sa prépondérance économique et diplomatique au XVIIIe siècle. La France de Louis XIV, fut affaiblie mais parvint à installer un prince Bourbon, Philippe V, sur le trône d’Espagne, brisant le vieil encerclement du royaume par les possessions des Habsbourg.

[5] 1740-1758.

[6] 1775-1799.

[7] La congrégation des Piaristes ou Frères des écoles pies a été fondée par le prêtre espagnol José de Calasanz (1556-1648). Celui-ci, ayant fixé sa résidence à Borne, y avait en 1597 une école gratuite pour les enfants pauvres. Vingt ans plus tard, il organisa les instituteurs qu’il employait en une société religieuse, la « Congrégation Pauline des pauvres de la Mère de Dieu des écoles pies » ; en 1621, la Congrégation fut transformée par Grégoire XV en un ordre religieux, les Piaristes. Les écoles pies se répandirent assez rapidement en Italie, en Espagne, en Allemagne, et surtout en Pologne, où les piaristes eurent au dix-septième et au dix-huitième siècles des collèges florissants. 

[8] Institut religieux où les futurs prêtres font leurs études

[9] Région du nord de l’Italie qui s’étend de la chaîne des Apennins jusqu’au fleuve Pô avec des villes comme Bologne et Ravenne (capitale de l’Empire romain d’Occident en 402 sous le règne d’Honorius jusqu’à la déposition de Romulus Augustule en 476. Ce dernier a inspiré le roman de V.Manfredi, La Dernière Légion puis le film éponyme de Doug Lefler )

[10] Religieux qui est chargé d’assister pour un temps déterminé le supérieur général ou le provincial dans l’administration des affaires de l’ordre.