Un livre / Une expo

Le Pays où vont mourir les rêves, tome 1
Un livre d’Olivier Cojan

O. Cojan, Le Pays où vont mourir les rêves, tome 1 1898-1919, Paris, pocket, 2020, 1056 pages, 11,50€

Parfois, il est des romans qui sont considérés comme des « lectures de gare ». La plume est vive mais le style peu fouillé, les personnages sont convenus, l’intrigue manque de vigueur et l’éditeur est celui des « ouvrages sentimentaux ». Ce peut être l’impression qui naît lorsque l’on rencontre par hasard la saga écrite par Olivier Cojan, Le Pays où vont mourir les rêves. Après avoir fermé le premier volume de cette aventure forte de six « épisodes » on ressent indiscutablement le désir de retrouver la compagnie des Callac et des Franquin. Certes, cette fresque eurélienne semble de la même veine que Luca di Fulvio[1] plus que de celle de Maurice Druon[2]. Toutefois, à regarder de plus près, on perçoit la passion de l’auteur pour l’histoire, pour les gens, pour la lutte des petits face à l’adversité. À la lecture de Cojan, je me souvenais de ces discussions animées avec mes enseignants historiens très réputés que je ne citerai pas et qui considéraient les romans historiques d’Eugène Sue, Dumas ou Hugo comme de la vulgarisation de mauvais aloi. Devenu enseignant je pus mesurer la béance du gouffre de l’ignorance auquel j’étais confronté. L’incapacité stupéfiante de nombre de jeunes comme d’adultes d’imaginer comment était l’existence quotidienne de ceux qui vécurent auparavant. Or, des ouvrages tels que celui d’Olivier Cojan contribuent à combler des lacunes abyssales. Sans doute est-ce là l’héritage de la carrière d’instituteur passionné tant par l’histoire que par la transmission. L’intrigue a pour cadre un petit village d’Eure-et-Loir traversé par la Blaise où se côtoient à la fin du XIX°siècle un mode rural en voie de disparition et une modernité qui éclot. L’ancien monde meurt avec la grande Guerre qui fauche des générations de paysans. L’aventure des Beaucerons, héros du roman de Cojan commence avec le siècle qui s’achève et l’autre qui naît dans la boue des tranchées. Le XIX°siècle historique qui périt avec la grande boucherie, constitue la trame structurant le récit. Ainsi que l’auteur l’a déclaré, l’histoire écrit le scenario. Les personnages qui peuplent cet ouvrage sont issus des familles Callac, Franquin, Gautron et Cochereau. Ils font, vivent, subissent l’Histoire. L’amitié improbable de deux garçons aux statuts sociaux dissemblables, les mariages de convenance, les amours contrariés, les secrets, les trahisons, les illusions perdues donnent au roman sa dimension humaine. Suivre le pas de ces « acteurs » ; c’est vivre le quotidien des Français du XX°siècle naissant. Leurs luttes, leurs espérances, leurs souffrances sont celles que connurent les femmes et les hommes qui vécurent les grands bouleversements du siècle. Ce fut celui des guerres totales, des totalitarismes, des armes de destruction, des génocides, du fulgurant développement des transports et des communications, de la conquête du ciel[3] et de l’espace ; des puissants bouleversements politiques, sociaux, et démographiques, accélérateurs de l’Histoire. L’auteur laisse transpirer une certaine bienveillance pour les luttes sociales mais aussi pour les femmes ; pourrait-on lui reprocher ? Afin d’éviter que le lecteur se perde dans la foule de personnages, Cojan rappelle les liens qui les unissent dès le début de l’aventure et organise tout le récit en offrant à chacun d’entre eux quelques pages. 

Le travail de recherche, l’exploitation de témoignages, l’évocation d’événements historiques et d’acteurs de la « grande histoire » font du livre le témoin d’un monde disparu. 

Jeunes et moins jeunes seraient fort avisés de se plonger dans cette aventure aux côtés de Joseph et d’Hubert afin de se familiariser avec ce que fut la vie d’alors. Nul doute que cette saga pourrait susciter l’intérêt des producteurs de séries, adeptes de diffusion en flux continu[4] ; on ne pourra que s’en réjouir.


[1] Auteur italien prolifique de romans ayant rencontré beaucoup de succès comme Le Gang des rêves.
[2] Maurice Druon, résistant qui écrivit avec Joseph Kessel le Chant des partisans. Ministre des affaires culturelles d’avril 1973 à mars 1974. Secrétaire perpétuel de l’Académie française. Romancier qui écrivit Les Rois maudits et Les Grandes Familles
[3] Des pionniers de l’aviation (1890) à l’homme sur la lune (1969). Des premiers engins dotés de moteurs à explosion vers 1880 à l’automobile d’aujourd’hui ; l’accélération fut spectaculaire. 
[4] Ce que l’on nomme streaming.


Expo « À la grâce de Dieu, les Églises et la Shoah »

Expo mémorial Shoah, jusqu’au 23 février À la grâce de Dieu, les Églises et la Shoah, Du dimanche au vendredi de 10h à 18h. Nocturne le jeudi jusqu’à 22h

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Le discours du candidat Zemmour exonérant Vichy et une certaine France de toute responsabilité dans l’exécution de la politique génocidaire menée par l’Allemagne nazie a illustré l’effacement progressif de la mémoire, érodée par la marche du temps. L’exposition proposée par le Mémorial de la Shoah à la faveur du quatre-vingtième anniversaire de la rafle du Vel d’hiv[1] contribue à raviver cette mémoire devenue très floue. Nommer cette rétrospective documentaire « À la grâce de Dieu, les Églises et la Shoah » interpelle notre conscience de catholique. 
L’exposition présente le comportement adopté par les confessions chrétiennes confrontées au génocide perpétré à l’endroit des communautés juives d’Europe. L’attitude des individus comme des « institutions » ne saurait être appréhendée avec manichéisme. Or, le mémorial ne s’érige pas en témoin à charge mais pose un regard sur les ambiguïtés, les compromissions comme sur l’héroïsme des Églises et des fidèles.
Comment l’assassinat de millions de personnes a-t-il pu être perpétré au cœur d’une Europe empreinte de culture chrétienne et d’humanisme ? 
L’exposition présente le poids de l’ambivalente et complexe tradition multiséculaire chrétienne fustigeant les Juifs tout en sauvegardant un « peuple témoin ». Comme l’écrivirent les évêques de France, « Les Pasteurs et les responsables de l’Église ont si longtemps laissé se développer l’enseignement du mépris à l’endroit des Juifs », contribuant à ce que « Les consciences se trouvaient souvent endormies et leur capacité de résistance amoindrie quand a surgi avec toute sa violence criminelle l’antisémitisme national-socialiste »[2].
Cette ambiguïté est manifestée par le cardinal Baudrillart, recteur de l’Institut catholique de Paris, qui, à l’été 1941, considérait que les États avaient le droit de prendre des mesures antisémites mais qu’ils devaient, toutefois, « respecter des principes chrétiens de charité et de justice ». 
L’exposition imposante, dense, parfois trop ; nécessite de lui consacrer un temps conséquent. Son grand intérêt et sa richesse ne reposent pas sur des slogans ou des « ben voyons ! » confortables mais sur des archives inédites du Vatican, de l’Église de France et de l’Église réformée de France. Affronter la réalité de ce que furent les comportements, les silences, les collaborations et les actes d’héroïsme engage les Églises et nos consciences chrétiennes. Des lettres d’évêques, de nonces ; le brouillon du discours du pape de Noël 1942[3] ; des photographies envoyées clandestinement depuis la Pologne, les notes de l’ambassadeur de France près du Saint-Siège au Maréchal Pétain sur le statut des Juifs ; des pages manuscrites du Rapport Gerstein[4], la série des cahiers du Témoignage chrétien publiés clandestinement, des affiches, des unes de journaux, des photographies d’ecclésiastiques déportés, d’émouvantes correspondances de victimes, divers objets issus de camps, des films[5], sont présentés dans les vitrines latéralement disposées et les plots centraux. Les salles flottent en une troublante pénombre rompue par l’éclairage savamment étudié des vitrines. 
Sans doute soucieux de ne pas appréhender la question de manière simpliste, l’exposition s’ouvre sur les portraits de religieux qui protégèrent des juifs. Puis les lettres de cinq évêques[6] ou archevêques, qui, à l’été 1942 eurent le courage de s’élever contre le traitement inhumain infligé aux Juifs raflés les 16 et 17 juillet. Le célèbre texte de l’archevêque de Toulouse, Mgr Saliège qui rappellait que « Les juifs sont des hommes, les juives sont des femmes. Tout n’est pas permis contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. » sauva l’honneur de l’Église de France. Il est désormais acquis que, dès 1941, les protestants, réagirent plus rapidement face aux persécutions. Le pasteur Marc Boegner qui présidait la Fédération protestante de France écrivit en effet une lettre de soutien au grand rabbin. Le village du Chambon-sur-Lignon, montagne-refuge[7] accueillit quant à lui des réfugiés espagnols, allemands et autrichiens antinazis puis des réfractaires au STO et s’engagea dans la protection des Juifs.
Les rapports des Églises avec le pouvoir de la Révolution nationale sont abordés. L’œuvre de restauration nationale voulue par Vichy fut soutenue par les Églises, reflétant le sentiment de l’écrasante majorité des Français. La politique antisémite de Vichy qui devança les exigences des Allemands ne suscita guère de réaction de la hiérarchie catholique. Toutefois, à une échelle plus modeste, les initiatives de prêtres, de pasteurs et de fidèles des différentes confessions chrétiennes cultivèrent l’entraide voire la résistance à l’image de Mgr Rémond évêque de Nice, du capucin Pierre-Marie Benoît, du jésuite Pierre Chaillet ou du pasteur André Trocmé. Comme l’écrivit François Mauriac à l’été 1943 : « Non pas malgré leur foi, mais à cause de leur foi, que les chrétiens de toutes confessions demeurent donc en pleine mêlée ».
L’exposition insiste sur l’importance des rafles de l’été 1942 en France qui secouèrent la relative apathie des Églises chrétiennes face aux persécutions. Or, ce fut très sensible en zone dite « libre » frappée à partir du 26 août 1942. Les prises de position publiques de l’épiscopat de zone sud et des Protestants ne furent pas de même facture que la lettre adressée par le cardinal Suhard[8] au Maréchal Pétain, au nom des cardinaux et archevêques de la zone nord après la rafle du Vel d’Hiv.
Enfin, la dernière salle évoque l’après-guerre, les difficultés à discerner[9] et l’espérance entrevue après Vatican II qui ouvrant la voie à un autre regard porté sur les Juifs.   
L’ambition de l’exposition n’est pas de dresser un réquisitoire à l’endroit des institutions religieuses chrétiennes mais de montrer que ces Églises ne constituaient pas des blocs homogènes. Elles étaient faites d’hommes et de femmes avec leurs grandeurs et leurs faiblesses. Le devoir qui est celui des chrétiens est de regarder le passé de nos Églises avec les ombres qui furent leurs. Face aux aveuglements populistes qui prospèrent dans nos démocraties, la visite de l’exposition « À la Grâce de Dieu, les Églises et la Shoah » contribue au combat de l’humanisme contre la barbarie car le ventre est encore fécond[10] d’où sont sortis l’effroyable expérience et les silences coupables. 

Érik Lambert


[1] À l’aube du 16 juillet 1942 débute à Paris la « du Vél d’Hiv».  Plus de treize mille Juifs parisiens de 2 à 60 ans dont la plupart sont déportés au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Cf. L.Joly, La Rafle du Vel d’Hiv.
[2] https://eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/textes-et-declarations/369207-declaration-de-repentance-des-eveques-de-france/ Drancy, 30 septembre 1997. Ce texte pose clairement la responsabilité de l’État français. 
[3] Le 24 décembre 1942, dans un message de Noël diffusé sur Radio Vatican, Pie XII évoquait les «centaines de milliers de personnes, qui, sans aucune faute de leur part, et parfois pour le seul fait de leur nationalité ou de leur race, ont été vouées à la mort ou à une extermination progressive». Pie XII évite de nommer les Juifs et les nazis.
[4] P.Joffroy, L’espion De Dieu – La Passion De Kurt Gerstein. S.Friedländer, Kurt Gerstein ou L’ambiguïté Du Bien 
[5] Des extraits du film Amen sont diffusés. Le caractère militant de Costa Gavras ne fait aucun doute, suivant en cela le manuscrit de la pièce der Stellvertreter (Le Vicaire en français) de Rolf Hochhuth. Même si la charge contre Pie XII est sans nuance, la pièce puis le film s’inspirent du rapport Gerstein.  
[6]Plusieurs s’indignèrent : Mgr Saliège, Mgr Théas, Mgr Moussaron, Mgr Gerlier, Mgr Delay, Mgr Vanstenberghe provoquant l’ire des milieux collaborationnistes. Ainsi, Brasillach accusa Mgr Saliège de « révolte quasi-ouverte contre l’ordre nouveau » Je Suis partout, 21 août 1942. Au Pilori, hebdomadaire de l’ultra-collaboration, 8 octobre 1942: « Du fait de son autorité sacerdotale qu’il prostitue, cet homme est un danger public et il est un de ceux qui méritent immédiatement le poteau. Au nom de la France, au nom de ma Patrie chérie, de la chrétienté tout entière, je réclame la tête de Gerlier, cardinal, talmudiste délirant, traître à sa foi, à son pays, à sa race, Gerlier, je vous hais » 
[7] Terme créé par l’historien François Boulet.
[8] Emmanuel Suhard, archevêque de Paris qui accueillit Philippe Pétain à Paris en avril 1944 puis assista aux obsèques du collaborateur Philippe Henriot le 30 juin 1944. https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/afe86002764/les-funerailles-nationales-de-philippe-henriot . Il lui fut interdit d’accueillir le Général de Gaulle en août 1944. 
[9] L’affaire Finaly et les réseaux d’exfiltration des bourreaux au sein même du Vatican (l’évêque Aloïs Hudal)
[10] B.Brecht, La Résistible Ascension d’Arturo Ui.

prière d’octobre

LOUANGES DE DIEU

Tu es le seul Saint, Seigneur Dieu, toi qui fais des merveilles !
Tu es fort, tu es grand, tu es le Très-Haut, tu es le roi tout puissant,
toi Père saint, roi du ciel et de la terre.

Tu es trois et tu es un, Seigneur Dieu,
tu es le bien, tu es tout bien, tu es le souverain bien, Seigneur Dieu vivant et vrai.

Tu es amour et charité, tu es sagesse, tu es humilité, tu es patience, tu
es beauté, tu es douceur,
tu es sécurité, tu es repos, tu es joie, tu es notre espérance et notre
joie,
tu es justice, tu es mesure, tu es toute notre richesse et surabondance.

Tu es beauté, tu es douceur, tu es notre abri, notre gardien et notre défenseur,
tu es la force, tu es la fraîcheur.

Tu es notre espérance, tu es notre foi, tu es notre amour, tu es notre grande douceur,
tu es notre vie éternelle, grand et admirable Seigneur,
Dieu tout puissant, miséricordieux Sauveur.

St François d’Assise


événements octobre

Célébration régionale de la fête de St François :

le vendredi 7 octobre, à 19h,
chez les sœurs franciscaines de Fontenay-sous-Bois
33, rue du Commandant Jean Duhail – 94120 Fontenay-sous-Bois

La St François sera aussi célébrée à Lagny, le 4 octobre à 19h
Paroisse Val de Lagny, salle St Fursy
35 Rue du 27 Août 1944, 77400 Lagny-sur-Marne


Le COMBAT SPIRITUEL
à la lumière de saint François d’Assise et de ses frères

Les Fraternités Franciscaines Séculières Saint-Louis de Tours et de la région Centre vous invitent à vivre ensemble, un cheminement sur le COMBAT SPIRITUEL à l’école de François d’Assise accompagné par Suzanne Giuseppi-Testut, franciscaine séculière, accompagnatrice de nombreuses personnes et communautés religieuses et auteure de plusieurs ouvrages liés à la spiritualité de saint François d’Assise :

les samedi 5 et dimanche 6 novembre 2022
à la Maison Diocésaine de Tours, 13 Rue des Ursulines, Tours.

Ce week-end est ouvert aux membres de la FFS de toute la France.
Inscriptions ouvertes jusqu’au 31 octobre
Libre participation aux frais
Possibilités d’hébergement

👉 En savoir plus : tract et programme

Cycle Duns Scot 4/5

L’Immaculée Conception

A l’époque de Duns Scot, la majorité des théologiens opposait une objection, qui semblait insurmontable, à la doctrine selon laquelle la très Sainte Vierge Marie fut préservée du péché originel dès le premier instant de sa conception. En effet, cela allait à l’encontre de l’universalité de la Rédemption, Marie alors n’aurait pas eu besoin du Christ et de sa rédemption.
Or la foi, tant dans l’Immaculée Conception que dans l’Assomption corporelle de la Vierge, était déjà présente chez le Peuple de Dieu.
Que fit Duns Scot ?

Il appliqua la notion générale de la grâce opérante prévenante pour conclure que Marie était sans péché depuis le premier instant de sa conception. « Parce que le Christ est le Rédempteur universel, il s’ensuit que Marie n’a pas eu le péché originel, et je le prouve.» Il développe alors un argument de « convenance » exprimée par la formule logique, issue de la théologie scolastique : « Potuit, decuit, ergo fecit » qui se traduit par « Il pouvait le faire, cela convenait ; donc il l’a fait ». Cette formule s’interprète comme suit : « Dieu a pu créer la Vierge dans la pureté originelle ; il convenait qu’il en fut ainsi; donc il l’a fait ». L’argument paraît subtil, mais il est solide. C’est la rédemption prévenante. Cela enthousiasma les franciscains de son temps !
La théologie a par la suite accueilli cet argument en l’état et l’a approfondi. Il deviendra le dogme de l’Immaculée Conception en 1854 avec le Pape Pie IX dans la bulle Ineffabilis Deus. Le Peuple de Dieu a donc précédé les théologiens !

Chantal Auvray

Une idée de la foi

Ma foi concerne le destin plutôt que Dieu lui-même. J’entends par foi en mon destin, la foi en la justesse de l’horizon singulier qu’il me tend. J’ai foi en mon destin, car j’ai foi en ma capacité de l’honorer, bien qu’il soit possible d’échouer à la poursuite de sa destinée. Même si je pense que les choses sont en partie écrites, je pense aussi que chaque humain est responsable de la bonne réussite de sa quête, et qu’une partie de la quête est de réunir les biens et les moyens pour finir de l’accomplir. Je pense aussi que devant les forces du destin se dressent les forces de notre propre poussée vers la mort, qui nous feraient mourir avant l’heure. L’humain doit donc se battre contre cette poussée qui le fait dévier de sa destinée. Pour s’assurer de maintenir le bon cap, il doit prendre pour guide le désir profond de répondre aux questions qui le traversent, c’est-à-dire affronter la vérité.

Au fond, foi, désir et destin se confondent, en tant que notre désir est sûrement fait pour nous mettre dans la bonne voie, et qu’il est sûrement la source de notre foi. Encore faut-il écouter ce désir fondamental, souvent aliéné, détourné, refoulé, par la honte, la culpabilité et les souffrances rencon-trées depuis la naissance. C’est pourquoi il faut guérir de ses blessures pour prendre la bonne route. Avoir foi en son destin exige de chacun qu’il prenne soin de lui.

Mais il y a encore autre chose qui rend difficile cette quête de sa destinée. C’est que ce désir doit lui-même être écrit, et donc que le sujet du désir soit dans l’annuaire. Ce cheminement est long, et dépend de cette même inscription de ceux qui l’ont engendré. Le père et la mère s’unissent dans les lignes du destin, et l’enfant reconnu par le père dont il porte le nom, recevra de lui la plume. Mais le père n’est pas toujours en mesure de cette transmission, et il est à la charge du sujet de trouver le maître qui lui remettra la plume. C’est à la suite de cette introduction qu’intervient Dieu pour le nou-veau sujet.

La figure de Dieu recèle différents visages pour chacun, mais si quelqu’un écrit, il semble que ce soit bien lui. Pour advenir, notre désir doit donc rencontrer Dieu qui l’intégrera à ce qui est écrit. C’est ainsi que notre désir, est aussi le désir de Dieu.

Théodore Chavot

Saint Jean Chapitre 1, 1-18 (suite)

Le « Logos » (le Verbe) = la Parole + la Sagesse

➡️ ‘Logos’, dans le grec de l’époque de Jean, veut dire : parole, pensée, raison, intelligence.
Mais Jean trouve dans ce mot de quoi synthétiser 2 notions capitales de l’AT, à savoir celle de la parole et celle de la sagesse, qui tendent parfois à être personnifiées :
La parole de Dieu est performative, c’est à dire qu’elle accomplie ce qu’elle énonce : « Dieu dit… et cela fut ». Cela ne concerne pas uniquement la création, mais toute l’histoire du salut. Et l’on voit cette « parole-action », personnifiée poétiquement par Isaïe en 55, 11, et suivant le même parallélisme inversé que celui du Verbe dans le Prologue : « Comme la pluie et la neige descendent des cieux et n’y remontent pas sans avoir arrosé la terre et l’avoir fécondé, de même la Parole qui sort de ma bouche ne revient pas vers moi sans résultat, sans avoir fait ce que je voulais et réussi sa mission. »
Or, si Moïse et les prophètes disent toujours « Parole de YHWH ! » comme n’étant pas la leur, Jésus, lui, apparaît comme la parole même de Dieu (« Aucun homme n’a parlé comme lui » 7, 46).
Pour Jean, une telle puissance de la parole, une telle efficacité dans la création et la rédemption ne pouvaient être personnifiées que dans le Christ.

➡️ La Sagesse dans la Bible, c’est l’intelligence et l’amour. Dès que Dieu réalise, c’est beau.
Quand Dieu opère la création, il fait une œuvre de « sagesse » (à la fois de génie, de beauté, d’ordonnance, d’intelligence… et à la fois source d’illumination pour tout homme, car tout homme peut déchiffrer dans la Création, la signature du Créateur).
Et quand Dieu déclenche l’histoire du salut qui aboutit à la Rédemption, sa « sagesse » révèle son côté amour. Car cette sagesse salvifique est essentiellement bienfaitrice : elle est « arbre de vie » (la Loi), providence qui dirige l’histoire, distributrice de tous les biens (vie et bonheur, sécurité, grâce et gloire, richesse et justice, intimité avec Dieu).

Or, comme précédemment pour la ‘Parole’, on voit la Sagesse personnifiée poétiquement elle aussi en Pr. 8, 22-31 et par Ben Sira (24, 2-29) : descendant d’auprès de Dieu et « plantant sa tente » chez les hommes, exactement comme le Verbe dans le prologue.

On comprend que, pour Jean, seul le Christ pouvait personnifier réellement cette Sagesse, faite de tant de beauté et de bonté.

Fr Joseph

EDITO

« Ils iront à la table du Seigneur… »

« Les frères qui savent travailler, travailleront, et exerceront le métier qu’ils connaissent (…). En échange de leur travail, ils pourront recevoir tout ce qui leur est nécessaire, mais pas d’argent. Si besoin est, ils iront à la quête comme les pauvres. » (1R7, 3a.7-8)

Cette expression contenue dans les Ecrits de saint François donne raison aux frères qui font confiance à la Providence pour parcourir le monde, sans un sou, quêtant leur nourriture et leur logement. Cela suscite le reproche de ceux qui, témoins de ce choix de vie, affirment qu’ils « feraient mieux de travailler »…

Ce que je retiens d’abord, c’est la réalité de la Providence, actualisée par celui qui agit en « bon Samaritain ». Cet aspect-là n’est pas dépassé. Combien d’entre nous aujourd’hui travail-lent gratuitement, sans feuille de paie, au service de la collectivité ? Dans le contexte actuel comme au Moyen-âge, le travail rétribué concerne une minorité. Il suffit de voir le nombre de volontaires, en retraite ou au chômage, engagés dans une association. Jour après jour, la société s’organise afin de répondre aux besoins de chacun et de compenser ce salaire qui fait défaut pour joindre les deux bouts. La Providence se manifeste d’abord dans le souci fraternel qui règle de manière ponctuelle des besoins essentiels. Mais l’argent obtenu par le travail, s’il per-met une certaine libération, comporte aussi le risque, si celui qui le reçoit n’y prend garde, de devenir suffisant ou dominant.

Travailler, c’est participer à la création d’un monde plus conforme au projet de Dieu et au bonheur humain. « Et Dieu dit que cela était bon » lit-on dans le livre de la Genèse. En cher-chant le sens de l’existence, nous découvrons que le travail humain, fondamentalement, contri-bue au bien-vivre selon Dieu. Mais dans notre histoire, l’activité n’est pas immédiatement asso-ciée à un salaire. L’œuvre réalisée dans l’harmonie est la première satisfaction, et c’est peu à peu que l’expression « L’ouvrier mérite son salaire » donne une nouvelle qualification à l’activité humaine. Mais si le salaire reçu n’est pas suffisant pour vivre, l’appel à la charité manifeste aus-si la confiance en l’autre et en une présence providentielle. La encore se révèlent les effets posi-tifs du travail accompli et de sa reconnaissance.

Le travail fait apparaître une dimension essentielle de la vie humaine. Le récit symbolique de la Création en six jours souligne ses étapes encore inachevées. Ce monde est en croissance constante, dans laquelle le « jour de repos » rythme les progressions et les retards liés à la liberté humaine. Nous sommes amenés à travailler pour une nourriture qui « demeure en vie éter-nelle ». Nous le constatons chaque jour : l’aménagement du monde est permanent, à titre indivi-duel ou collectif. Cependant, le chaos des Origines est loin d’être oublié. Il se manifeste par des résistances, des dérives d’appropriation ou de domination… Seule l’aide de l’Esprit peut mener à une plénitude bienfaisante.

Dans ce contexte de vie, une Bonne Nouvelle annonce qu’il y a du travail pour tous dans ce monde en croissance. Idéal à viser quelle que soit la place de chacun, une clé nous permet d’entrer sur ce chantier : la composante fondamentale de la Fraternité universelle, la gratuité et le partage. C’est peut-être l’exemplarité dont nous pouvons témoigner en nous associant à la manière de vivre prophétique des frères confiants dans la Providence, pour un « ciel nouveau et une terre nouvelle ». « À table ! » en ce début d’année.

Fr. Thierry