Une nouvelle année est toujours porteuse de promesses, mais elle peut, aussi, être lourde d’inquiétudes; ainsi en va-t-il de 2023. Flambée des prix, appauvrissement et fins de mois difficiles pour bon nombre de Français. Projet de loi sur les retraites qui peine à voir le jour tant il pose de questions. Guerre à nos portes qui fait resurgir de vieux démons alors que le continent européen se croyait, à tort, préservé. Église empêtrée dans les dérives et les scandales au point que son annonce de la Bonne Nouvelle en devient presqu’inaudible…
Et pourtant, notre Projet de Vie nous invite à être les messagers de joie et d’espérance dont le monde a besoin : « Messagers de joie parfaite, en toutes circonstances ils s’emploieront activement à porter aux autres la joie et l’espérance. » (Projet de Vie 19) Mais de quelle joie parlons-nous ?
Les joies de ce monde, St François, comme nous, les a connues alors que la jeunesse dorée d’Assise faisait de lui le roi de ses fêtes. Mais la gloire ou le sentiment de puissance qui en résultent n’ont qu’un temps car il ne s’agit là que de plaisirs éphémères. Sa conversion va le conduire à découvrir peu à peu le sens de la vraie joie, celle que rien ne peut entamer car elle trouve sa source en Dieu. Cette joie est une grâce mais aussi le fruit d’une conversion permanente, pour ne pas se laisser envahir par la morosité ambiante, pour ne pas céder à la colère ou à la rancœur face aux déceptions et aux injustices qui jalonnent notre route.
Cheminant avec frère Léon, par une nuit d’hiver et un froid qui le faisait terriblement souffrir, François imagine que le portier de Sainte-Marie-des-Anges refuse de leur ouvrir et les chasse violemment, et c’est ainsi qu’il expose à son compagnon ce qu’est la joie parfaite : « si nous supportons tout cela avec patience, avec allégresse, dans un bon esprit de charité, ô frère Léon, écris que là est la joie parfaite. » (Fio 8) Pouvoir accueillir toutes les tribulations qu’un homme peut subir, sans se laisser ébranler, mais, au contraire, en conservant la patience et la paix de l’âme, en pensant aux souffrances du Christ et pour son amour, voilà la joie parfaite que nous enseigne François. « Au-dessus de toutes les grâces et dons de l’Esprit-Saint que le Christ accorde à ses amis, il y a celui de se vaincre soi-même, et de supporter volontiers pour l’amour du Christ les peines, les injures, les opprobres et les incommodités ». (Fio 8) Pour François, Dieu est la source de cette vraie joie parce qu’il est « le bien », « tout bien », « le souverain bien », Celui de qui vient tout bien. Pour mieux se conformer à son Seigneur, François a choisi le chemin de la pauvreté et de la désappropriation ; renoncer à toutes formes de richesse et de domination, c’est se défaire de tout ce qui peut les accompagner : aigreur, rancune, jalousie, méfiance… c’est donc être libre de se recevoir du Tout Autre pour mieux goûter la plénitude de sa joie. « Tu es amour et charité, tu es sagesse, tu es humilité et patience, tu es beauté, tu es douceur, tu es sécurité, tu es repos, tu es joie, tu es notre espérance et notre joie » (Louanges de Dieu pour frère Léon).
Se recevoir du Tout Autre, demeurer en lui, pour mieux se donner aux autres et se faire auprès d’eux des messagers de joie et d’espérance…« Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez en mon amour, comme moi j’ai gardé les commandements de mon Père et je demeure en son amour. Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète. Voici quel est mon commandement : vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés. » (Jn 15,10-12) C’est dans le service et l’amour des frères et sœurs qui nous sont donnés que nous pouvons vivre et témoigner de la joie qui nous habite.
Comme nous le rappelle Saint Paul, Dieu « nous console dans toutes nos détresses, pour nous rendre capables de consoler tous ceux qui sont en détresse » (2Co 1,4). Notre société a beau être en quête de bonheur, elle génère toujours plus de solitude et de souffrance. « La société technique a pu multiplier les occasions de plaisirs, mais elle a bien du mal à sécréter la joie. Car la joie vient d’ailleurs … ni l’épreuve, ni la souffrance ne sont éliminées de ce monde, mais elles prennent un sens nouveau dans la certitude de participer à la rédemption opérée par le Seigneur et de partager sa gloire » (Paul VI, exhortation apostolique, La joie chrétienne) Aussi, à tous ceux qui ont faim et soif d’être écoutés, regardés, soutenus, consolés… nous avons à annoncer que chacun, chacune, est enfant bien-aimé du Père, que nul n’est exclu de son amour, nous avons à annoncer la Bonne Nouvelle du salut et du Royaume à venir. Seule cette espérance d’une vie éternelle en Dieu peut permettre de supporter et de transfigurer les épreuves de ce temps. C’est dans notre présence fraternelle aux autres, dans notre foi mise en actes, que nous pouvons être d’authentiques messagers de joie et d’espérance : « Là où est le désespoir, que je mette l’espérance. Là où sont les ténèbres, que je mette la lumière. Là où est la tristesse que je mette la joie » comme nous y invite François.
Paul VI écrivait, dans son exhortation, que « c’est au cœur de leurs détresses que nos contemporains ont besoin de connaître la joie, d’entendre son chant. » Certainement, alors, l’amertume se changera pour eux en grande douceur pour l’esprit et pour le corps…
P. Clamens-Zalay