UN CAPUCIN PLONGÉ DANS L’HISTOIRE DU XX°SIÈCLE.

Épisode 2 : Le choix de la Résistance face à l’antisémitisme de l’État français.

Pierre Péteul durant la Grande Guerre.

Revenu de Rome à la faveur du déclenchement de la seconde guerre mondiale, le frère Marie-Benoît s’établit à Marseille. 

Le contexte de la partition de la France à l’issue » de l’armistice du 22 juin 1940 en sept zones et deux zones interdites[1] laissait pour certains l’illusion que celle qualifiée de « libre » jusqu’en novembre 1942, offrait un havre de relative sérénité pour les proscrits et surtout les juifs. Or, il n’en fut rien et ce fut plutôt en zone italienne élargie après l’opération Torch[2] que les juifs se réfugièrent. 

Nombre de juifs étrangers vinrent en « zone libre » mais, quoiqu’affirmèrent certains lors de scrutins nationaux récents, les juifs furent la cible de la législation de l’État français dès le 12 juillet 1940. Puis, le 3 octobre 1940 fut promulgué le premier statut des juifs, début d’une longue litanie de textes antisémites. Ceux qui se « réfugiaient » en zone vichyste étaient souvent en résidence surveillée ou internés dans des camps tel celui de Gurs[3], en Béarn. Frère Marie-Benoît se trouvait au couvent des capucins, au 51 de rue Croix de Régnier, lorsque le gouvernement de Vichy publia le Statut des Juifs. 

Le frère capucin mena d’abord une action isolée puis à partir de 1941, il contribua à une filière d’évasion.  Les Juifs n’avaient souvent aucun papier d’identité et Marie-Benoît les aidait lorsqu’ils frappaient à sa porte, sachant que son soutien leur était acquis. Dès 1940 à Marseille il accueillit des juifs et leur procura de faux papiers, des certificats de baptême, fabriqués dans les sous-sols du monastère. Mais certains allaient le trouver pour d’autres raisons comme cette femme qui souhaitait fêter la Pâque juive et manquait de pain azyme. Pour cela il lui fallait des tickets et c’est le père qui les lui a fournis.

Il participa aux activités de la résistance au sein de Combat[4] et de secours juif ce qui le conduisit à rencontrer Jules Isaac[5]. Il participa aux réseaux d’exfiltration des juifs vers l’Italie à partir de la fin de 1942. Une telle activité exploitait la politique de protection diplomatique vis-à-vis des juifs dans la zone d’occupation italienne entre le 24 juin 1940 et le 8 septembre 1943. Les Italiens de la CIAT, commission italienne d’armistice, ne purent s’entendre avec le gouvernement de Vichy. Après l’occupation par les Allemands de la zone libre, le 12 novembre 1942, des réfugiés juifs s’enfuirent en zone italienne et en Corse. À la fin de 1942, le gouvernement de Vichy décida de rafles, menées par la police française, contre les juifs étrangers dans la zone d’occupation ce qui était une entorse aux droits des Italiens. En décembre 1942, un accord fut signé entre l’Italie et l’Allemagne pour expulser les juifs et les étrangers au-delà de la ligne de démarcation italo-allemande, dans les territoires occupés par l’Allemagne. Les juifs affluèrent dans la zone italienne, préférant être en résidence forcée plutôt qu’en zone allemande. À Nice, le capucin rencontra Guido Lospinoso, commissaire italien aux affaires juives, envoyé par Mussolini à la requête des Allemands. Le prêtre parvint à convaincre Lospinoso de ne rien entreprendre contre les milliers de Juifs qui vivaient à Nice et ses environs. Pourtant, il s’agissait là de la mission pour laquelle il était mandaté.  À partir du printemps 1943, la situation des Juifs de Marseille devint rapidement difficile face à l’action du chef de la Gestapo Muller, de son adjoint le lieutenant Bauer et du sinistre Ernst Dunker-Delage.[6]

Avec l’assistance du prieur des Dominicains[7], le R.P.Parceval et d’un certain nombre d’autres personnes, le Père Marie-Benoît facilita l’évasion de juifs en Afrique du Nord par mer ou à-travers l’Espagne. 

Repéré par la Gestapo, son arrestation était imminente mais il fut rappelé à Rome en 1943 afin d’occuper sa chaire de théologie.

Parvenu au Vatican, il engagea des démarches afin d’être reçu par le Pape. Pour préparer cette entrevue, il rencontra les autorités juives françaises : le président de la Communauté, M. Heilbroner, le Grand rabbin de France M. Schwartz, ainsi que le rabbin Kaplan, le Grand rabbin de Lille, M. Berman, le rabbin de Strasbourg, M. Hirschler, le rabbin de Marseille, M. Salze, le président de l’Union générale des Israéliens de France M. Raoul Lambert et M. Edmond Fleg, président des Explorateurs israéliens.

Le 16 juillet 1943, il fut reçu chaleureusement en audience par Eugenio Pacelli, devenu Pie XII. Celui-ci s’étonna de ce qui se produisait alors : « Nous n’aurions jamais cru cela de la part du gouvernement de Vichy ». Le père Marie-Benoît exposa la situation sociale des Juifs espagnols, l’urgence d’évacuer vers l’Italie les juifs de la zone française occupée par les troupes italiennes par l’Afrique du Nord. Il insista pour obtenir des nouvelles des 50.000 juifs français déportés en Allemagne ; pour œuvrer à un traitement plus humain des juifs internés dans les camps de concentration français. 

Pierre Marie accueillait les juifs dans un hôtel « Salus » appuyé sur un réseau mené par Stefan Schwamm qui devint un grand ami de Padre Benedetto. 

En mission dans le nord de l’Italie, pour trouver des points de passage vers la Suisse, il se retrouva dans un bar à Milan avec son assistant, Schwamm, afin de rencontrer une personne susceptible de les aider. Mais c’était un guet-apens organisé par la police fasciste. Schwamm fut arrêté, mais put avertir discrètement le père, qui parvint à s’enfuir et à retourner à Rome. 

La configuration évolua le 8 septembre 1943. En signant l’armistice[8], les Italiens laissèrent la place aux Allemands avec les conséquences que l’on imagine pour les juifs. 

Érik Lambert


[1]Par la convention d’armistice du 22 juin 1940, le gouvernement du Maréchal Pétain, établi à Vichy, se voit reconnaître une autonomie de façade sur le reste du territoire : c’est la « zone libre » au sud de la ligne de démarcation. Une zone interdite au retour des réfugiés, une interdite rattachée au gouverneur militaire allemand de Bruxelles, l’Alsace-Moselle annexées, une zone italienne, une zone littorale interdite et bien sûr une zone occupée par les Allemands au nord de la ligne de démarcation.
[2] Le 8 novembre 1942, dans le cadre de l’opération «Torch», 100.000 soldats américains et anglais débarquèrent en Afrique du nord. Bénéficiant de l’effet de surprise, ils s’emparèrent de Casablanca, Oran et Alger, en vue de préparer la libération du continent européen…
[3] https://www.campgurs.com/
[4] ,À l’origine du groupe de résistance Combat, un  capitaine d’état-major qui refusa l’armistice, et chercha dès l’été 1940, à Marseille, à rassembler des hommes et des femmes pour poursuivre la lutte. Ce fut seulement plus tard que son nom fut révélé lorsqu’il abandonna ses pseudonymes : Henri Frenay. Ce jeune officier fonda un mouvement clandestin, le Mouvement de libération nationale. Du regroupement de plusieurs mouvements naquit Combat. Le mouvement couvrait la zone dite « libre » soumise à une administration française théoriquement indépendante dont le siège est à Vichy, sous l’autorité du maréchal Pétain. Combat comprenait plusieurs dizaines de milliers de sympathisants et environ 200 permanents. Parmi eux Bertie Albrecht infirmière protestante et amie personnelle de Henri Frenay. Le mouvement organisa des filières d’évasion vers la Suisse ou l’Espagne.
[5] Jules Isaac, professeur d’histoire de 29 ans participa à la rédaction des célèbres manuels d’histoire de la collection Malet. Or, Albert Malet fut tué au front en 1915 conduisant Jules Isaac à rédiger seul la nouvelle mouture imposée par de nouveaux programmes. Mais l’éditeur Hachette exigea que Malet restât associé au nom de l’ouvrage car Isaac était un nom juif qui pouvait indisposer l’École catholique. Isaac, lui-même blessé lors de la Grande Guerre poursuivit l’œuvre engagée avec Albert Malet. Membre de la Ligue des droits de l’homme et du citoyen, puis du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, il s’engagea en faveur d’une meilleure compréhension entre Français et Allemands, 
Il fut révoqué par l’État français suite à la loi du 3 octobre 1940 instituant un statut discriminatoire des juifs. Sa femme et de sa fille furent du reste déportées et exterminées à Auschwitz. En 1947, Jules Isaac cofonda les Amitiés judéo-chrétiennes en 1947.
[6] Sous-officier SS, Ernst Dunker prit la tête de la Gestapo.  Issu des bas-fonds berlinois, ce tortionnaire fut d’une redoutable efficacité. Il se ménagea la collaboration du milieu local traquant les résistants durant deux ans. Lire N.Balique et V.Biaggi, Ernst Dunker et la Gestapo de Marseille, éditions Vendémiaire. 
[7] Le couvent des Dominicains de Marseille a été fondé en 1225 et, après sa suppression en 1790, a été restauré à partir de 1868 à 1878. Depuis, les frères occupent les mêmes bâtiments au 35 Rue Edmond Rostand, lieu qui de 1940 à 1942 servit de refuge aux Juifs persécutés. “La nouvelle de l’organisation le 21 avril 2018, dans des locaux de l’ordre des Dominicains de Marseille, d’un « week-end d’hommage à Charles Maurras » par la Fédération royaliste provençale et l’Action française Provence me choque peut-être encore plus que d’autres citoyens”… C’est par ces mots que commence une tribune publiée dans la presse en avril 2018 par le petit-fils d’une résistante. En effet, un colloque organisé par l’Action française, dans le cadre d’un “week-end hommage à Charles Maurras” se tenait dans le centre Cormier, salle polyvalente du couvent dominicain, rue Edmond-Rostand, à Marseille.
[8] Le 10 juillet 1943, les Anglo-Saxons débarquèrent en Sicile. Ils débarquèrent également en Calabre le 3 septembre et en Campanie le 9 septembre 1943. À Rome, ce fut la panique. Dans la nuit du 24 au 25 juillet 1943, le Grand Conseil fasciste releva Mussolini de sa charge et le roi Victor-Emmanuel III l’assigna à résidence. Le maréchal Badoglio prit la direction du gouvernement et s’empressa de négocier un armistice avec les envahisseurs. Celui-ci fut rendu public le 8 septembre 1943 dans la plus grande confusion. Hitler ne voulait pas laisser l’Italie sortir de la guerre. Il dépêcha 30 divisions de la Wehrmacht en Italie pour neutraliser les troupes italiennes et contenir l’avance des Alliés. Et il fit délivrer celui-ci à la faveur d’un raid audacieux. Empêché par le Führer de prendre sa retraite en Allemagne, Mussolini dut regagner très vite l’Italie du nord et se mettre à la tête d’une éphémère et dérisoire «République sociale italienne». Celle-ci fut implantée à Salo, sur le lac de Garde .