Il est des mondes intérieurs que la seule conscience ne peut décrire. À peine effleurer. La conviction d’une habitation profonde, d’une confiance en ce qui ne peut se dire avec des mots, en un Verbe créateur, ce « souffle » de vie permanente : tout cela fait partie de l’indescriptible. La foi. Trois lettres alignées, à l’image de la Trinité. La fidélité, l’oreille attentive du divin, l’intime.
En tant que déiste, j’ai toujours été admiratif, et le reste, de ces êtres capables de se fondre dans cette conviction située au-delà du tangible. Dans leur capacité à croire sans se défaire de l’humain. Jusqu’à rayonner parfois en dehors de leur enveloppe corporelle. J’ai, par exemple, le souvenir de déjeuners parmi des moines bénédictins, dans le silence juste ponctué d’une lecture d’un ouvrage d’Alain Decaux sur Paul. Ou de sœur Rébecca, des Fraternités monastiques de Jérusalem, à Paris. Nous avions rendez-vous dans le cadre d’une enquête que je menais sur le monde (justement) monastique. À l’église Saint-Gervais-Saint-Protais, j’ai été saisi par la simplicité intense de leur liturgie, mixte par ailleurs. Et lorsque, l’office terminé, je me suis approché de sœur Rébecca, elle s’est retournée. Son visage rayonnait d’une beauté spirituelle fascinante. Comme si tout en elle était habité d’une lumière à la fois intense et apaisée, sans cesse en mouvement tout en étant dépouillement. Un Buisson ardent personnel. De même les frères et les autres sœurs qui l’entouraient. Comment étaient-ils parvenus à cette grâce, puisqu’il s’agissait bien du divin ? Au repas qui suivit, également dans le silence, la réflexion que m’avait faite un moine de l’abbaye Notre-Dame d’Aiguebelle m’est revenue : « Il faut plusieurs vies pour devenir moine. » Plusieurs vies…
Une autre interrogation intervient de manière récurrente. La foi peut-elle se transmettre, notamment par l’éducation, l’environnement culturel, la tradition ? Et les rites suffisent-ils à l’entretenir ? Aucune réponse n’est satisfaisante. Cette habitation est tellement personnelle. Tout individu la vit de façon distincte. Dieu ne s’adresse-t-il pas à tous, et à chacun en particulier ? Les cas de conversion, puis de vocation, sont très nombreux, à l’image de Max Jacob, et de bien d’autres.
Ensuite, lorsque l’on est croyante, ou croyant, où peut-on se situer ? Ici intervient la conscience et le choix individuels conduisant à un engagement. Ainsi que la notion de « religion », ce qui unit, crée un lien autour d’une foi, de textes sacrés et fondateurs, d’une organisation – parfois hiérarchique. En tant qu’historien (précisément encore) des religions, je demeure fasciné par leur capacité à fédérer, que l’on soit juif, chrétien, musulman, c’est-à-dire des frères qui partagent le même Dieu au sein d’une formidable diversité ; hindouiste, bouddhiste, etc. Aussi, si nous laissons de côté le passé et ses errements, ses drames, ainsi que la manipulation au profit d’une radicalisation dont la religion n’est qu’un prétexte politique, que nous reste-t-il ? À revenir sans cesse aux racines, à l’essentiel, aux fondements de chaque religion. Si nous prenons les monothéismes : « Dieu est avant tout un créateur qui, par conséquent, tient à ce qu’il crée, en l’occurrence l’univers, les êtres vivants. Il les entoure d’amour paternel, de protection, de grandeur. En retour, juifs, chrétiens et musulmans s’engagent à vivre leur foi dans le respect de ces préceptes de charité et de fraternité. » Cet extrait est tiré de l’avant-propos du Dictionnaire de Dieu, à paraître en septembre 2023. Ce livre explique simplement, en mille notices, ce que sont ces trois « fois », ou croyances. Parce que l’Homme a toujours ressenti le besoin de « croire », et, lorsqu’elle est d’essence spirituelle, de structurer sa croyance, depuis les premières inhumations identifiées, il y a cent mille ans environ. Parce que, fidèle ou non d’une religion, nous ressentons et ressentirons toujours ce besoin, cet appel. Savoir, comprendre, expliquer, transmettre, restent des actes fondamentaux.
Pierre