Edito de juin

En mai, fais ce qu’il te plaît
(mais ne l’impose à personne)

Les nouvelles se sont égrenées au fil des jours de mai sans rapport apparent les unes avec les autres, mais dont la succession composait une litanie qu’on aurait souhaitée moins affligeante. Ainsi entendit-on au tout début du mois qu’en réponse au ministre de l’éducation qui venait de signaler l’importante augmentation des atteintes à la laïcité à l’issue du Ramadan, le recteur de la Grande Mosquée de Paris s’insurgea contre ce qu’il considérait comme un procès discriminatoire, en outre fermement condamné par l’organisation « Musulmans de France ». Le 10 mai, on apprit la démission du maire de Saint-Brévin après l’incendie criminel de son domicile. Un lourd climat de tension et de menace pesait sur la municipalité du fait des menées d’opposants à l’implantation d’un Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA). La surdité à ses appels de l’État, qui lui avait pourtant imposé le centre, avait préalablement usé et découragé l’édile. Quatre jours plus tard, le 14 mai, c’était au tour de membres du mouvement catholique traditionaliste Civitas d’alimenter la chronique après q’ils eurent empêché par la force la tenue d’un concert de l’organiste Kali Malone prévu dans l’église Saint-Cornély de Carnac dont ils bloquèrent l’entrée aux cris de « Arrière Satan ! », jugeant « profanatoire » l’oeuvre de l’artiste contemporaine. Et la litanie continua, chaque jour apportant son lot d’absurdité et de confrontation obtuse et brutale, en mai comme sans doute en juin et désormais tout au long de l’année. Suffit-il de le déplorer, doit-on s’y résigner ? Certainement non, pas en tant que citoyen et encore moins en tant que chrétien.

Essayons de comprendre ce phénomène de notre temps : la fragmentation de la société individualiste en de multiples groupes et groupuscules incapables de dialoguer, constitués et mus par la volonté d’imposer leurs intérêts particuliers au mépris de l’intérêt général et au nom d’une vérité qu’ils seraient seuls à posséder contre tous. Faut-il imputer cette involution aux formes spectaculaires du journalisme dominant qui se repaît de polémique, de « clash », aux réseaux dits « sociaux » qui enferment dans des opinions arrêtées plutôt qu’ils ouvrent à d’autres conceptions ? C’est un peu court, dirait Cyrano, car il s’agit là de symptômes plutôt que des raisons profondes du mal. Nous constatons en effet chaque jour le délitement accéléré du lien social : macro-social avec le creusement indécent des inégalités et l’élargissement de la coupure entre les catégories dominantes et les autres, et donc la rupture du contrat social et le repli dans des mirages identitaires ; micro-social avec, par exemple, la disparition des principes élémentaires de la courtoisie qui témoigne d’un déficit aggravé d’attention au prochain, si ce n’est d’hostilité a priori. Dès lors, on ne peut dire un mot sans que l’interlocuteur, au lieu de chercher à le comprendre dans ses nuances, se demande à quel groupe ennemi l’on se rattache, d’où il déduit tout un discours convenu que l’on n’a jamais tenu, à quoi il répond par un autre discours convenu conclu par l’impossibilité définitive de s’entendre sur rien, d’autant que le langage lui-même tend à s’appauvrir par l’utilisation de formules toutes faites et de mots creux divulgués à l’envi par les médias. Or, on le sait, l’incapacité à s’exprimer par la parole est la grande porte ouverte à la violence.

Devant cette violence, le chrétien se trouve bien désemparé, comme devant la fragmentation de la société qui met à l’épreuve son amour du prochain et sa foi dans le salut collectif. C’est qu’il lui est imposé une double contrainte : d’un côté il ne peut réagir à la violence par la violence ni à l’individualisme par le repli sur lui-même, et de l’autre il ne peut accepter de subir ou que soient subies ni l’une ni l’autre. Il y a pourtant et toujours une solution à la double contrainte, et une seule : la refuser, comme Jésus nous apprend à le faire face aux multiples et vaines tentatives des pharisiens et des scribes pour le piéger. Comme lui, avoir le courage de résister sans trahir sa foi, insister inlassablement sur ce qui rassemble, soigner son langage en en chassant les lieux communs, cultiver l’écoute au lieu de fourbir ses réponses dogmatiques, élargir le débat plutôt que chercher à clouer le bec, ne viser qu’à la paix et au bien… la liste est longue des ressources dont nous trouvons la richesse et la puissance dans notre foi et dans l’Évangile. À quoi l’on peut ajouter, quand chacun prend le prétexte d’affirmer et de défendre sa liberté pour imposer sa vérité aux autres, qu’il n’est de liberté qu’en Dieu car Lui seul nous libère de nous-mêmes. Ainsi résonne particulièrement la parole de saint Pierre dans sa première épître (3,15-18), adressée (selon la Bible de Jérusalem) aux « étrangers de la Dispersion » (!) :« Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous ; mais faites-le avec douceur et respect. »

Le comité de rédaction