« François…ou quand l’autorité se fait service. » 2ème partie

Comme nous l’avons vu précédemment, François a voulu que tous ceux qui exerceraient une autorité au sein de l’Ordre vivent cette charge, non comme un pouvoir, mais comme un service auprès de leurs frères.
A leur tête, figurent le ministre général et les ministres provinciaux. Leurs tâches sont nombreuses et variées. Le ministre provincial doit, par exemple, faire respecter la Règle, convoquer le chapitre provincial, élire le ministre général, confier les charges, recevoir les postulants, assurer le lien avec l’Église. Il doit aussi pourvoir aux besoins des frères, sur le plan matériel, mais également les accompagner et les corriger, sur le plan spirituel, car l’âme de ses frères lui a été confiée et il aura à en rendre compte devant le Seigneur. (1Reg 4, 6) Ainsi, si un frère « veut se conduire en esclave de la chair et non dans la docilité à l’Esprit…son ministre et serviteur fera de lui ce que, selon Dieu, il jugera le plus à propos. Tous les frères, les ministres et serviteurs comme les autres, auront soin de ne jamais se troubler ni s’irriter à cause du péché ou du mauvais exemple d’autrui…Que de leur mieux, au contraire, les frères viennent en aide spirituellement au coupable ». (1 Reg 5, 6-8) Le ministre est donc appelé à visiter ses frères le plus souvent possible, à leur donner des avis spirituels et à stimuler leur générosité. « Les frères qui sont ministres et serviteurs des autres frères visiteront leurs frères, les avertiront, les corrigeront avec humilité et charité, sans leur prescrire jamais rien qui soit contre leur âme et contre notre règle. Quant aux frères qui sont sujets, ils se rappelleront que, pour Dieu, ils ont renoncé à leur volonté propre. Je leur prescris donc avec force d’obéir à leurs ministres en tout ce qu’ils ont promis au Seigneur d’observer et qui n’est pas contraire à leur âme et à notre règle. » (2 Reg 10, 1-3)
C’est une conception de l’obéissance très singulière que celle de François : certes, l’autorité du ministre est réelle et les frères sont tenus de lui obéir. Pour autant, il ne s’agit pas d’obéir à un homme en tant que tel, le ministre, mais au Christ qu’il représente et donc d’obéir par amour pour Dieu : « Un sujet ne doit pas considérer l’homme dans son supérieur, mais Celui pour l’amour duquel il a choisi d’obéir. » (2 Cel 151) Cette obéissance est un exemple parfait de la désappropriation, si chère à François, puisqu’elle conduit à renoncer à sa volonté propre pour s’en remettre à la volonté de Dieu : « Un sujet croit parfois sentir qu’une autre orientation serait meilleure et plus utile pour son âme que celle qui lui est imposée : qu’il fasse à Dieu le sacrifice de son projet, et qu’il se mette en devoir d’appliquer plutôt celui du supérieur. Voilà la véritable obéissance, qui est aussi de l’amour : elle contente à la fois Dieu et le prochain. » (Adm 3, 5-6)
C’est pourquoi les frères sont invités à obéir avec humilité, simplicité, rapidité et à persévérer dans cette voie. Mais le ministre ne peut commander, au nom de l’obéissance, sans une raison grave, et il ne peut aller contre l’esprit de la Règle : « Si un ministre donnait à un frère un ordre contraire à notre règle de vie ou à sa conscience, le frère ne devrait pas obéir, car il ne peut être question d’obéissance là où il y a faute et péché. » (1 Reg 5,2)
François, connaissant bien la propension de l’homme à transformer son autorité en autoritarisme, même dans la vie religieuse, a voulu contourner cet écueil et limiter les éventuelles dérives au sein de l’Ordre. D’une part, cette clause de conscience autorise les frères à ne pas obéir à un ordre qui irait conte la Règle ou contre le salut de leur âme. D’autre part, les frères qui reçoivent une charge, par élection ou par nomination, ne l’exercent que durant un temps donné et la remettent en fin de mandat. Pas de ministre à vie chez les frères mineurs ! François ajoute même dans la seconde Règle que si un ministre général n’était plus jugé « apte au service et au bien commun de tous », les frères devraient en élire un autre. (2 Reg 8,4) Animé par l’esprit de service, le ministre ne doit pas s’approprier sa fonction: «Aucun ministre, aucun prédicateur, ne revendiquera comme un bien propre, soit sa charge de ministre des frères, soit l’office de prédicateur ; mais à l’heure même où on le lui enjoindrait, il devrait abandonner sa charge sans contester. » (1 Reg 17,4) Les biographes nous disent que François fustigeait les frères qui ambitionnaient les honneurs et les hautes responsabilités ou qui s’offusquaient de ne pouvoir conserver leur charge.
François trace lui-même le portrait qui devrait être celui du ministre général, « le père de cette famille » : Il doit mener une vie digne, avoir une bonne réputation et faire preuve de discernement. Il doit savoir partager son temps entre la prière et le soin de l’Ordre qui lui a été confié. Il doit être impartial dans ses relations et répondre « avec douceur » aux besoins de chacun. Il se comportera avec simplicité, et ce d’autant plus si c’est un érudit. Il devra se méfier de l’argent et se montrer exemplaire dans son usage. Et surtout, il doit avoir des qualités de cœur : consoler ceux qui souffrent, apaiser et soulager ceux qui sont tourmentés, ne pas avoir peur de s’abaisser « pour ramener à la douceur les obstinés ». (2 Cel 185) Lorsqu’un frère commet une faute, il ne doit point s’irriter contre lui, mais l’accueillir « en toute patience et humilité », « l’aider avec une affectueuse douceur » et à chacun il doit témoigner « autant de bonté qu’il voudrait s’en voir témoigner à lui-même ». (1 Let 43-44)
Cependant, François ajoute que le ministre doit veiller à ce que son indulgence ne soit pas excessive car elle pourrait introduire tiédeur et relâchement. (2 Cel 186)
On le voit bien, la tâche des ministres n’est pas aisée : il s’agit d’être à la fois « fermes pour commander » et « indulgents pour pardonner », « ennemis du péché » et « médecins des pécheurs », c’est pourquoi François recommande aux frères de les honorer et de les aimer car ils portent un lourd fardeau. (2 Cel 187)
Quand l’autorité se fait service, c’est toujours la miséricorde et l’amour qui l’emportent, comme l’illustre si bien la Lettre à un ministre : « Voici à quoi je reconnaîtrai que tu aimes le Seigneur, et que tu m’aimes, moi, son serviteur et le tien : si n’importe quel frère au monde, après avoir péché autant qu’il est possible de pécher, peut rencontrer ton regard, demander ton pardon, et te quitter pardonné. S’il ne demande pas pardon, demande-lui, toi, s’il veut être pardonné. Et même si après cela il péchait encore mille fois contre toi, aime-le plus encore que tu m’aimes, et cela pour l’amener au Seigneur. »

P. Clamens-Zalay