« Trésors de la Spiritualité franciscaine aux XXe et XXIe siècles » un livre de Michel Sauquet
Des chrétiens d’aujourd’hui se demandent : est-il opportun de se référer à un personnage du Moyen-Age qui a vécu il y a plus de 800 ans pour inspirer notre vie chrétienne, notre spiritualité ?
On peut répondre tout d’abord que l’Évangile, dont s’inspire tout vrai chrétien a plus de 2000 ans d’existence et que tout vrai chrétien s’en est inspiré depuis ce temps, selon de multiples façons de le lire et de le mettre en pratique. Pour ce qui concerne François d’Assise on doit constater que son propos de suivre le Christ et de mener une vie évangélique a suscité de nombreux disciples, au cours des siècles jusqu’à nos jours, tandis que les récents papes ont rappelé que François était, parmi tous les saints reconnus par l’Église, un de ceux qui ont présenté la plus convaincante image de Jésus-Christ. Le pape François a choisi ce nom et ce patronage en référence à l’amour de François pour les pauvres et parce qu’il était un promoteur de la paix et de la fraternité universelle.
C’est avec une égale conviction que Michel Sauquet a voulu présenter les trésors de la spiritualité franciscaine, en recherchant les textes qui depuis un siècle et demi ont manifesté l’intérêt pour François et sa spiritualité, chez des personnalités diverses, mais reconnues à divers titres : dans la famille franciscaines, des écrivains et auteurs spirituels largement diffusés, et hors de l’étiquette, des poètes, des littérateurs, des hommes et femmes d’action, des artistes, etc… dont la réputation pouvait paraître totalement étrangère à la spiritualité évangélique. D’Hermann Hesse à Paul Claudel et Rainer Maria Rilke ; de Paul Sabatier à Eloi Leclerc et Michel Hubaut ; de François Mauriac à François Cheng et Christian Bobin ; de Maurice Denis à Olivier Messiaen ; de Madeleine Delbrel à Michaël Lonsdale ; de Xavier Emmanueli à Germaine Quéméré ; ainsi qu’à des historiens reconnus comme André Vauchez et Jacques Dalarun… Et bien d’autres : en tout une quarantaine de textes, classés selon les thèmes habituels de la spiritualité franciscaine. Les lecteurs y feront d’étonnantes découvertes et pourront méditer sur des textes riches en résonnances et propres à raviver leur séduction pour le petit pauvre d’Assise, porteur de joie et de fraternité avec le monde créé, inspirateur de toux ceux qui aspirent à la paix, à la réconciliation, à l’unité, dans un monde qui ne devrait plus reposer sur la compétition pour la richesse ou le pouvoir.
Certainement un des meilleurs livres récents sur François d’Assise et sa spiritualité évangélique.
f. Luc Mathieu, ofm
L’abbé Pierre – une vie de combats, un film de Frédéric Tellier
Les ennemis sont désignés dès les premiers mots du film de Frédéric Tellier : la faim, le froid, la misère et la solitude. Ils sont prononcés par l’abbé Pierre vieillissant comme un résumé de sa vie, une vie entière de combats. Il mène le premier contre sa propre santé fragile qui compromet sa vocation de capucin, puis le deuxième dans la résis-tance active, les armes à la main contre l’occupant nazi dans le maquis du Vercors dont il est l’un des chefs. C’est en œuvrant dans la clandestinité sous le nom de l’abbé Pierre que Henri Grouès fait la rencontre déterminante de Lucie Coutaz. Après l’avoir protégé, elle devient l’égérie de tous les combats à venir, la femme qui se cache derrière tout grand homme. C’est un des mérites du film d’avoir restitué l’importance de son rôle dès la fin de la guerre dans la nouvelle qui commence avec acharnement contre la misère et l’injustice.
Il est inutile de détailler ici les batailles menées par ces deux combattants obstinés, connues de tous dans les grandes lignes et bien restituées par la narration. Précisément, le film montre avec intelligence de quelle manière la notoriété d’un personnage — l’abbé Pierre fut longtemps « la personnalité préférée des Français » — pour bienvenue qu’elle soit dans un premier temps, peut finalement s’avérer un obstacle à la cause défendue en la reléguant au second plan. Il en était si conscient que parvenir à l’utiliser sans être utilisé par elle fut un autre de ses combats constants, comme celui de garder son indépendance à l’égard des financiers qu’il avait su convaincre, dont l’indécrottable logique comptable était contraire à son sens de la solidarité humaine. On peut regretter en revanche que la foi de l’abbé Pierre, où il puisa une énergie hors norme et un sens aigu de la justice, n’apparaisse pas comme le fil conducteur de son action mais comme un aspect contingent de sa per-sonne. Si elle est décrite au début, encore que de manière extérieure selon des stéréotypes cinématographiques, elle se fait excessivement discrète au long du récit pour aboutir à un doute final qui semble plaqué par la scénarisation, peut-être aux fins de ne pas décourager le chaland « libre-penseur ». Cela contribue à construire une sorte d’hagiographie, certes réussie, mais tout de même convenue, dont le caractère laïc nuit à la véridicité et à la pro-fondeur du sujet. En effet, c’est tout le caractère évangélique de son action qui s’en trouve évacué, si bien qu’il y a danger d’attribuer sa puissance à l’originalité d’un tempérament et non à l’inspiration de la charité confrontée à l’absurdité et à la cruauté de l’injustice ré-gnante. Le film est malgré tout réussi, excellemment porté par des acteurs qui relèvent le défi de rôles difficiles avec une parfaite crédibilité, c’est-à-dire sans jamais forcer les effets ni dans la souffrance et le dévouement devant la misère, ni dans la rage contre l’injustice clairement identifiée comme sa seule cause. Ces qualités sont mises en valeur par une réa-lisation dédiée avec application au récit, parsemée de quelques notes lyriques, voire poé-tiques, savamment dosées, de sorte que le spectateur reste libre de ses émotions, les-quelles ne manquent pas d’occasions de venir mouiller ses yeux. Ajoutons que la qualité de justesse des maquillages et des décors donne à l’ensemble un réalisme historique qui participe, espérons-le à faire naître des vocations à la suite de l’abbé Pierre et Lucie Cou-taz.
Qu’on me permette cependant une note personnelle. Je suis entré dans une salle de cinéma vide, et lorsque je me suis levé pendant le générique de fin pour rentrer chez moi la gorge encore serrée, la salle était tout aussi vide qu’au début. Ce sont alors mes poings qui se serrèrent malgré moi. Le combat est-il éternellement à recommencer ? Et moi, qu’ai-je fait pour le « plus petit » aujourd’hui ? Eh bien, j’ai regardé un film… comme les specta-teurs ravis qui sortaient en masse de celui sur Napoléon.
Jean Chavot