« UNE RÈGLE QUI SE VEUT PROJET DE VIE… » 2ème PARTIE

Dans cette relecture de notre Règle comme Projet de Vie, nous nous sommes arrêtés sur quelques points : la pauvreté, la simplicité et la désappropriation, dans une première partie ; la paix, la fraternité et la joie, dans cette seconde partie.

« Porteurs de la paix qu’ils savent devoir construire sans cesse, ils chercheront dans le dialogue, les voies de l’unité et de l’entente fraternelle, faisant confiance en la présence du germe divin dans l’homme et en la puissance transformante de l’amour et du pardon. » (PDV 19)
Il y a, bien sûr, les combats pour plus de justice et de paix entre les hommes, que nous pouvons mener avec d’autres, mais, en premier lieu, et ce n’est en rien contradictoire, c’est dans le quotidien de nos existences, dans la diversité de nos rencontres, que nous sommes appelés à être des artisans de paix.
« Vous annoncez la paix par vos paroles, disait François, ayez-la encore plus dans vos cœurs. Ne soyez pour personne une occasion de colère ou de scandale, mais que votre douceur incite tous les hommes à la paix, à la bonté et à la concorde » (Légende des trois compagnons 58). Une paix qui n’est pas la nôtre car elle est don de Dieu. Il faut pouvoir la demander et l’accueillir chaque jour, avant de vouloir la construire, ce qui suppose une vie spirituelle nourrie par la Parole, par la prière et par les sacrements.
Convertis et pacifiés par cette relation intime avec le Père, avec le Christ ressuscité, et dans l’Esprit, nous pouvons alors nous faire proches de ceux qui nous entourent et créer avec eux les conditions d’un véritable dialogue. Comme l’écrivait Paul VI dans Ecclesiam suam : « Le dialogue n’est pas orgueilleux ; il n’est pas piquant ; il n’est pas offensant… il n’est pas commandement et ne procède pas de façon impérieuse. Il est pacifique, il évite les manières violentes ; il est patient ; il est généreux. » (83)
S’ouvrir au dialogue, c’est faire taire en soi l’orgueil, les préjugés, la méfiance ou la peur, c’est renoncer à imposer « sa vérité » et croire que dans la différence peut naître la communion…

Convertis et pacifiés, nous pouvons changer notre regard sur les autres pour reconnaître en eux des frères à accueillir, car ils sont un don (« Après que le Seigneur m’eut donné des frères », dira François, Testament 14) des frères à aimer, à l’exemple du Christ : « Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres » (Jean 13,34). Nous le savons bien, la fraternité ne va pas de soi, elle est à désirer et à repenser continuellement pour que l’amour et le pardon transfigurent les inévitables déchirures et incompréhensions. Dieu, qui fait de nous ses enfants, des frères et sœurs en Christ, notre aîné, nous a voulus de toute éternité pour nous associer à ce mouvement d’amour incessant qui unit et anime la Trinité.
François nous enseigne la fraternité universelle : pour lui, toutes les créatures procèdent d’un même amour créateur, et en chacune, même la plus insignifiante – en apparence – il contemple le visage de son Bien-Aimé : « Il appelait frères et sœurs les créatures même les plus petites, car il savait qu’elles et lui procédaient du même et unique principe. » (Legenda Major 8,6), « Il se réjouissait en tous les ouvrages sortis de la main de Dieu, et grâce à ce spectacle qui faisait sa joie il remontait jusqu’à Celui qui est la cause et raison vivifiante de l’univers. Il savait, dans une belle chose, contempler le Très-Beau et poursuivait à la trace son Bien-Aimé en tout lieu de sa création, se servant de tout l’univers comme d’une échelle pour se hausser et atteindre Celui qui est tout désirable. » (Legenda Major 9,1).
Notre Projet de Vie nous invite donc à vivre, nous aussi, cette dimension de la fraternité universelle : « Qu’ils (les laïcs franciscains) respectent aussi les autres créatures, animées et inanimées, car « elles portent signification du Dieu Très-Haut », qu’ils cherchent à passer de la tentation d’en abuser à une conception franciscaine de Fraternité qui s’étend à tout l’univers. » (PDV 18)
Dieu nous a confié sa Création, ce qui n’en fait pas de nous les maîtres, mais nous confère une immense responsabilité. « La fin ultime des autres créatures, ce n’est pas nous. Mais elles avancent toutes, avec nous et par nous, jusqu’au terme commun qui est Dieu, dans une plénitude transcendante où le Christ ressuscité embrasse et illumine tout ; car l’être humain, doué d’intelligence et d’amour, attiré par la plénitude du Christ, est appelé à reconduire toutes les créatures à leur Créateur. » (Pape François, Encyclique « Loué sois-tu » 83)
Nous avons à respecter la Création et à la préserver, ce qui implique des choix collectifs et individuels qui dépassent largement le strict cadre de l’écologie. Le pape, dans cette encyclique, aborde la notion d’écologie intégrale car elle est, à la fois, environnementale, économique et sociale. Justice, paix et sauvegarde de la Création sont intimement liées et sont depuis longtemps une préoccupation majeure pour l’ensemble de la famille franciscaine.
« Nous n’avons jamais autant maltraité ni fait de mal à notre maison commune qu’en ces deux derniers siècles. Mais nous sommes appelés à être les instruments de Dieu le Père pour que notre planète soit ce qu’il a rêvé en la créant, et pour qu’elle réponde à son projet de paix, de beauté et de plénitude. » (« Loué sois-tu » 53)

La joie…Voilà bien une vertu éminemment franciscaine ! Non pas la recherche d’un plaisir éphémère, et parfois sans saveur, mais une joie intense, que rien ne peut altérer en profondeur. Certes, les épreuves sont susceptibles de l’atténuer, de la « mettre en veille », cependant elle demeure en notre cœur, prête à rejaillir de plus belle.
Dans sa jeunesse, François a fait l’expérience, lui aussi, des joies de ce monde et des illusions qu’elles procurent. C’est tout au long de son itinéraire spirituel qu’il va découvrir le sens de la vraie joie, celle qui trouve sa source en Dieu. « N’ayons donc d’autre désir, d’autre volonté, d’autre plaisir et d’autre joie que notre Créateur, Rédempteur et Sauveur, le seul vrai Dieu, qui est le bien plénier, entier, total, vrai et souverain ; qui seul est bon, miséricordieux et aimable, suave et doux ; qui seul est saint, juste, vrai et droit ; qui seul est bienveillant, innocent et pur ; de qui, par qui et en qui est tout pardon, toute grâce et toute gloire pour tous les pénitents et les justes sur la terre et pour tous les bienheureux qui se réjouissent avec lui dans le ciel. » (1R 23,9)
Vraie joie… et joie parfaite, telle qu’il nous l’enseigne dans les Fioretti : pouvoir supporter toutes sortes de tribulations et d’afflictions, en conservant la patience, l’allégresse et la paix de l’âme, pour l’amour du Christ, en cela est la joie parfaite (Fior 8).
Cette joie se traduit aussi dans sa capacité à s’émerveiller devant chaque créature qui lui révèle la beauté, la bonté et l’amour du Père. Dans la maladie, comme au seuil de la mort, elle lui donne encore de pouvoir chanter les louanges de Dieu et de le célébrer à travers toute sa Création (Cantique de Frère Soleil).
A la suite de François, il nous revient de mettre l’espérance là où est le désespoir, de mettre la lumière là où sont les ténèbres et de mettre la joie là où est la tristesse (Prière pour la paix), comme le souligne notre projet de Vie : « Messagers de joie parfaite, en toutes circonstances ils s’emploieront activement à porter aux autres la joie et l’espérance. » (PDV 19)
Dans un monde en mal de repères, où l’individualisme l’emporte trop souvent sur le bien commun, faisant place inévitablement au désenchantement et au mal de vivre…il est urgent de témoigner de la joie et de l’espérance qui nous habitent et d’annoncer que le Salut de Dieu n’est pas réservé à quelques-uns, mais qu’il est offert à tout homme.
Dans son message aux membres de la famille franciscaine du 9 novembre 2023, le pape François soulignait que le VIIIe centenaire de la Regula bullata était une occasion de faire revivre en nous « le même esprit qui a inspiré François d’Assise à se dépouiller de tout, et à faire naître une forme de vie unique et fascinante parce qu’elle est enracinée dans l’Évangile et vécue sine glossa. » Il ajoutait : « Que ce Jubilé soit pour chacun un temps de renaissance intérieure, d’un mandat missionnaire renouvelé de l’Église qui appelle à aller à la rencontre du monde où tant de frères et sœurs attendent d’être consolés, aimés et soignés. »

P. Clamens-Zalay