Pour François, nous dit Thomas de Celano, Noël était « la fête des fêtes », celle qui lui procurait une joie ineffable « car en ce jour Dieu s’était fait petit enfant et avait sucé le lait comme tous les enfants des hommes. » (2 C 199)
Trois ans avant sa mort, François voulut célébrer et commémorer la naissance du Seigneur en donnant un éclat particulier à cette fête : « Je veux évoquer en effet le souvenir de l’Enfant qui naquit à Bethléem et de tous les désagréments qu’il endura dès son enfance ; je veux le voir, de mes yeux de chair, tel qu’il était, couché dans une mangeoire et dormant sur le foin, entre un bœuf et un âne. » (1 C 84)
C’est ainsi qu’en cette nuit de Noël 1223, alors que « l’Enfant-Jésus était, de fait, endormi dans l’oubli au fond de bien des cœurs » François fit préparer à Greccio une crèche vivante pour voir de ses propres yeux l’Enfant tel qu’il était à Bethléem et mieux percevoir, dans ce mystère de l’Incarnation, l’humanité et l’humilité de Dieu. « L’homme de Dieu, debout près de la crèche et rempli de piété, ruisselait de larmes et débordait de joie. » (LM10,7)
« C’était le triomphe de la pauvreté, la meilleure leçon d’humilité ; Greccio était devenu un nouveau Bethléem. La nuit se fit aussi lumineuse que le jour et aussi délicieuse pour les animaux que pour les hommes. Les foules accoururent, et le renouvellement du mystère renouvela leurs motifs de joie. » (1 Cel 85-86)
Voir et tenir cet enfant dans ses bras, c’est, pour François, rendre plus concret ce mystère de l’Incarnation qui le fascine. Le contempler, c’est contempler le Christ ; d’ailleurs, Celano précise qu’une des personnes présentes eut une vision merveilleuse cette nuit-là : elle vit, couché dans la mangeoire, l’Enfant Jésus lui-même : Lui qui « de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave, et devenant semblable aux hommes. » (Ph 2,6-7)
Dieu, le roi du ciel et de la terre, s’abaisse jusqu’à nous, pour prendre chair de notre chair, sous les traits d’un enfant, dans toute sa dépendance et sa fragilité, nous donnant ainsi la plus belle leçon d’humilité…
François contemple un Dieu qui ne révèle pas sa grandeur de manière triomphante, mais au contraire dans ce qu’il y a de plus humble : un nouveau-né, une petite hostie de pain, la mort sur la croix…
Dans le mystère de l’Eucharistie qui vient prolonger celui de l’Incarnation, François reconnait cette même humilité qu’il dépeint de si belle façon : « Voyez : chaque jour il s’abaisse, exactement comme à l’heure où, quittant son palais royal, il s’est incarné dans le sein de la Vierge ; chaque jour c’est lui-même qui vient à nous, et sous les dehors les plus humbles ; chaque jour il descend du sein du Père sur l’autel entre les mains du prêtre. » (Adm 1, 16-18)
« Ô admirable grandeur et stupéfiante bonté ! Ô humilité sublime, ô humble sublimité ! Le maître de l’univers, Dieu et Fils de Dieu, s’humilie pour notre salut, au point de se cacher sous une petite hostie de pain ! Voyez, frères, l’humilité de Dieu, et faites-lui l’hommage de vos cœurs. Humiliez-vous, vous aussi, pour être exaltés par lui. Ne gardez pour vous rien de vous, afin que vous reçoive tout entiers Celui qui se donne à vous tout entier.» (Lettre à tout l’ordre 27-29)
Ainsi, dans son désir d’imiter le Christ pauvre et humble, de la crèche à la croix, François choisit le chemin de la désappropriation. N’avoir rien en propre, n’exercer aucun pouvoir de domination et se faire le plus petit, le mineur, le serviteur, pour tout recevoir comme un don de Dieu, pour s’abandonner au Père et se recevoir de Lui, tel un enfant, dans une relation de pure dépendance.
« La vie s’est manifestée, nous l’avons vue, et nous rendons témoignage : nous vous annonçons la vie éternelle qui était auprès du Père et qui s’est manifestée à nous. » (1Jn 1,2)
Fêter la Nativité, c’est fêter Dieu qui manifeste sa bonté et son amour pour tous les hommes. Le Verbe incarné, le Fils bien-aimé du Père, fait de nous des fils adoptifs auxquels le salut est offert, des enfants appelés à communier à cet amour qui unit la sainte Trinité.
Notre Dieu se fait petit pour nous rejoindre dans notre humanité, pour nous élever et nous donner de participer à sa vie divine. Saint Irénée de Lyon dit : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu ».
Puissions-nous retrouver le regard émerveillé de François pour contempler et suivre les pas de Celui qui s’humilie pour notre salut et se donne à nous tout entier…
P. Clamens-Zalay