Reconnaissance
Qui n’a rêvé de voir Jésus de ses propres yeux ! Luc nous relate que lors de sa présentation au temple comme il se devait pour tout nouveau-né, Siméon l’y attendait, « averti par le Saint Esprit qu’il ne mourrait point avant d’avoir vu le Christ du Seigneur » (Luc 2,26). Siméon reçut dans ses bras l’enfant âgé d’un peu plus d’un mois et entonna aussitôt le cantique Nunc Dimitis : « Maintenant, Seigneur, tu laisses ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole » (Luc 2,29). Il fut bientôt rejoint dans cette reconnaissance immédiate et certaine par Anne, la prophétesse qui « survenue, elle aussi, à cette même heure, (…) louait Dieu, et (…) parlait de Jésus à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem » (Luc 2,38). Comment Siméon et Anne le reconnurent-ils ? Est-ce vraiment avec leurs yeux qu’ils le virent ? Et combien furent-ils à ne voir en lui qu’un nourrisson comme un autre ?
Nous aurions tant aimé voir Jésus, mais sommes-nous certains que nous aurions reconnu en lui le fils de Dieu quand douze ans après dans ce même temple ses parents eux-mêmes « furent saisis d’étonnement » (Luc 2,48) et « ne comprirent pas ce qu’il leur disait » (Luc 2,50) ? C’est que voir de ses yeux est si peu de chose en regard de l’Éternel. François nous le dit dans sa première admonition : « Dieu est esprit, personne n’a jamais vu Dieu »(5), et « Il en va de même pour le Fils : en tant qu’il est égal au Père, on ne peut le voir autrement que le Père, autrement que par l’Esprit » (7). Reconnaître implique en effet un préalable de connaissance. Mais personne ne peut connaître Dieu qui « habite une lumière inaccessible » (5), et donc personne ne peut connaître son Fils, ni a fortiori le reconnaître. Car ce qui, en nous, connaît Jésus, c’est l’Esprit, dans la mesure où nous « reconnaissons » qu’il s’y trouve et qu’il y agit, qu’il nous « avertit », comme Siméon. Le mot reconnaissance prend dès lors le triple sens d’aveu, de confirmation et de gratitude, toutes dimensions inhérentes à la foi en progrès. Ainsi Jésus s’est-il soustrait à nos yeux de chair pour mieux nous habiter en Esprit, comme il l’annonça lui-même lors de la Pentecôte, de manière que le monde le reconnaisse. Car « Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu » (Jean 1,10). François nous le dit encore à propos de l’Eucharistie, en qui l’on peut voir une sorte de quotidienne présentation au temple : « chaque jour il s’abaisse », « chaque jour c’est lui-même qui vient à nous, et sous les dehors les plus humbles » (16 et17). Sommes-nous capables de reconnaître « les très saints Corps et Sang de notre Seigneur Jésus-Christ » (9) dans le pain et le vin comme Siméon et Anne reconnurent le Sauveur dans le corps d’un nourrisson ? Combien de fois, lorsque nous communions, sommes-nous conscients de recevoir le Seigneur ? Combien de fois réussissons-nous à pratiquer l’ascèse nécessaire : faire silence en nous pour y entendre le Verbe créateur, déciller nos yeux de chair pour que s’ouvrent en nous les yeux de l’Esprit. À l’instar des compagnons d’Emmaüs, reconnaître Jésus à la fraction du pain, c’est comprendre qu’il était déjà présent dans notre cœur « brûlant ». C’est le sens de la béatification de Carlo Acutis (2013), un adolescent italien semblable aux autres comme le nouveau-né du temple l’était aux autres nourrissons, et pourtant voué si tôt à la dévotion de l’Eucharistie qu’il reçut la communion dès l’âge de sept ans.
Siméon, François, Carlo… et que dire de nous ? Inspirons-nous d’Anne qui « parlait de Jésus à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem » et de Carlo qui consacra deux des seize années de sa trop courte vie à rassembler la documentation de 136 miracles eucharistiques dans une exposition qui fit le tour du monde. Ils nous rappellent que la foi grandit dans son partage avec le prochain, et davantage encore avec celui qui l’ignore mais en qui elle ne demande qu’à éclore et à croître par la reconnaissance de celui-même que l’Esprit a visité. Car s’il n’appartient qu’à Dieu de se révéler à chacun, il appartient à chacun de le reconnaître authentiquement et de témoigner de cette reconnaissance par la mise en actes de l’Évangile, sachant que si chaque jour Jésus s’abaisse, vient jusqu’à nous dans l’Eucharistie, il vit aussi à chaque instant dans l’affamé, l’assoiffé, l’étranger, le dépouillé, le malade, le prisonnier… (Matthieu 25,31s) en qui l’Esprit nous donne de le reconnaître avec la même fervente fidélité.
Le comité de rédaction