Le chapitre 12 clôt ce que les exégètes appellent « le livre des signes ». Avec un bémol : c’est qu’il manque le signe annoncé au chapitre 3 : la destruction / reconstruction du Temple, à savoir le Corps. Et de fait, la suite des événements sera dominée d’un côté par le discours d’adieu et de l’autre côté par le récit de la Passion et de la Résurrection de Jésus.
C’est aussi d’une certaine manière un discours d’adieu que Jésus prononce ici, mais adressé à la foule. La mission s’achève. Elle devrait normalement se conclure par la reconnaissance de l’Envoyé. Et c’est apparemment le tour que prennent les événements. Arrivé à Jérusalem, à la suite de la résurrection de Lazare, Jésus est accueilli triomphalement. Et pour bien marquer la portée universelle de cette intronisation, Jean nous précise que des « Grecs » étaient présents. Le rassemblement des brebis en seul troupeau et sous la conduite d’un seul Pasteur, envisagée au chapitre 10, semble sur le point d’aboutir. Pourtant, elle tourne court. L’évangéliste à la fin du chapitre explique pourquoi la reconnaissance ne pouvait aboutir : l’incroyance des juifs et des grecs.
Un fil conducteur traverse les différentes séquences, à savoir l’annonce de la mort de Jésus.
L’onction à Béthanie : 12, 1-11
L’évangéliste délimite dans le temps cette séquence : « Six jours avant la Pâque » au verset 1 et « Le lendemain » au verset 12. Nous sommes donc dans la trame de l’histoire. Le cadre est celui d’un repas, dans l’intimité d’une maison accueillante, tandis qu’au-dehors la foule et les autorités recherchent Jésus : la foule pour le voir, les autorités pour le mettre à mort. Deux femmes sont nommées : Marthe qui sert à table et Marie qui répand du parfum sur les pieds de Jésus. Cette pratique était inconnue à l’époque. On versait du parfum sur la tête en signe de bienvenu. Sur cette tablée plane la mort : d’un côté Lazare, un mort rendu à la vie et de l’autre Jésus dont on célèbre la sépulture, en parfumant son corps. On le sait par l’interprétation qu’en donne Jésus : « c’est pour le jour de ma sépulture qu’elle devait garder ce parfum. » Qu’est-ce que cela veut dire ? Tout simplement ceci : elle pensait utiliser ce parfum le jour de mon ensevelissement, et elle a fait cela maintenant. Marie a anticipé l’honneur dû à Jésus mort, comme pressentant son départ proche. Nous avons donc ici un contraste entre la vie retrouvée pour Lazare et la mort attendu pour Jésus. Un contraste qui suggère que la vie nouvelle a comme condition la Pâque de Jésus. Dans cette perspective, la senteur du parfum qui remplit la maison (v. 3) s’oppose à l’odeur du cadavre qui horrifiait Marthe (11, 39), pour manifester la plénitude de la victoire de Jésus sur la mort.
Une autre opposition existe dans cette péricope : Jésus / Judas. Opposition positive / négative du geste de Marie. Judas dit : « Pourquoi ce parfum n’a-t-il pas été vendu trois cents deniers, qu’on aurait donnés à des pauvres ? ». Cette opposition apparaît d’une autre manière au verset 4. Judas est défini : « celui qui allait le livrer ». La mort évoquée de cette façon prépare dans le texte ce que Jésus va dire pour la défense de Marie, d’autant que Jésus sait que Judas le livrera. L’opposition entre Judas et le Maître reflète celle qui oppose vie et mort.
La seconde partie de la réponse de Jésus : « Les pauvres vous les avez pour toujours avec vous » renvoie au livre du Deutéronome 15, 11 : « Il ne cessera d’y avoir des pauvres au milieu du pays » et dont le contexte est le commandement de YHWH de porter secours aux indigents. Jésus veut donc dire que ce commandement vaudra indéfiniment dans l’avenir.
Marie, dans son amour, a communié intuitivement à la Pâque de Jésus ; Lazare, qui partage le repas avec Jésus, va être persécuté comme le Maître : « Les grands prêtres résolurent alors de tuer aussi Lazare ». Cette donnée anticipe ce que Jésus dira dans son discours d’adieu : « Rappelez-vous la parole que je vous ai dite : le serviteur n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi… » (15, 20). L’hostilité des grands prêtres s’attaque non seulement à l’Envoyé de Dieu mais aussi à celui qui est le témoignage vivant de sa victoire.
Fr Joseph