Ce chapitre est un appendice. La première édition de l’évangile s’arrêtait aux versets 30-31 du chapitre 20, qui sont à l’évidence une conclusion générale. Est-ce Jean ou ses disciples qui l’ont ajouté ? Dans l’état actuel des connaissances, nul ne peut répondre à cette question.
Sous les apparences très simples et très vivantes de ce récit, Jean laisse percer une intention théologique nette. En fait, c’est l’avenir de l’Eglise qui est ici mis en scène, et il nous apprend quel sera son statut fondamental.
L’Eglise sera missionnaire (la pêche miraculeuse – 21, 1-8)
Il est essentiel à l’Eglise d’être missionnaire. Jésus rencontre ses disciples, et pour la dernière fois, alors qu’ils sont en train de pêcher. C’est le pendant de la toute première scène de vocation : « Venez à ma suite, je ferai de vous des pêcheurs d’hommes ! ». Ici, c’est la confirmation solennelle, avant de les quitter.
Si l’Eglise cessait un jour d’être missionnaire, elle ne serait plus l’Eglise du Christ. Elle le trahirait, lui dont toute la mission fut de rassembler tous les hommes dans le Royaume.
➡️ Au chapitre 20, lors de l’apparition aux 10, le Christ envoyait ses disciples en mission de réconciliation, après avoir soufflé sur eux l’Esprit Saint. Ici, au chapitre 21, la pêche miraculeuse représente, comme une parabole vivante, cette mission en œuvre. ➡️ L’efficacité de la mission dépend tout entière du Seigneur Jésus, de sa présence et de sa parole (cf. 15, 5 : Hors de moi, vous ne pouvez rien faire »). On reconnaît le Seigneur au coup de filet miraculeux. C’est la preuve que c’est lui qui agit à travers ses missionnaires. Sa présence est assurée, mais il revient à l’Eglise de se conformer à sa parole, de ne pas y substituer une autre parole. Autrement dit d’être fidèle au message qui lui a été confié. ➡️ L’ampleur de la mission est symbolisée par les 153 gros poissons. Ce chiffre correspond, d’après les naturalistes de l’époque, aux espèces de poissons connues. Donc, signe de totalité et d’universalisme. Dans le livre des Actes (2, 1-11) le nombre des peuples présents est 17. Saint Augustin, dans son interprétation de l’évangile selon saint Jean (122, §8), écrit que la somme de tous les nombres de 1à17 est 153. Donc, ce chiffre dit la totalité des nations. ➡️ L’unité de la mission et du rassemblement dans le Royaume est bien figurée par la remarque de Jean que « le filet ne se rompit pas » (cf. la tunique non divisée). La mission de l’Eglise consiste à rassembler sans désunion et sans factions. Si nombreux que soient les fidèles, l’Eglise doit demeurer une.
L’Eglise sera ‘Eucharistique’ : nourrie par Jésus (repas au bord du lac – 21, 9-14)
➡️ L’Eglise est non seulement envoyée au large pour jeter le filet, mais également rassemblée autour de son Seigneur, pour qu’il puisse la nourrir de ses mains. Double condition de l’Eglise, double réalité, double devoir : elle est présence au monde, mais à condition de se recevoir d’en haut. Elle est mouvement d’expansion, mais aussi de recueillement. ➡️ « Venez manger ! » C’est le Seigneur qui convoque à sa table. ➡️ « Il prend le pain et le leur donne ; et de même le poisson. » Même expression que lors de la multiplication des pains (6, 1-13), et lors de la Cène. ➡️ Les apparitions sont souvent liées à un repas avec Jésus ressuscité (signe de joie). Un lien étroit unissait dans l’Eglise primitive repas et eucharistie au souvenir des repas pris par les apôtres avec Jésus après sa résurrection.
Le Collège des Bernardins est un haut lieu de spiritualité et de culture. Le début de son édification (1248) correspond à la fin, pour l’essentiel, de celle de Notre-Dame de Paris (1250). C’est donc comme par filiation qu’il accueille aujourd’hui une exposition en l’honneur de son aînée. Elle le surplombe toujours à quelques dizaines de mètres à vol de moineau au-dessus de la Seine, de toute sa hauteur ou presque, malgré la catastrophe dont elle fut victime le 15 avril 2019. L’événement blessa le cœur des Parisiens aux premières loges, et celui des chrétiens pour qui elle était et reste un symbole éminent, et il affligea tous les amoureux d’Histoire admiratifs du passé et de la belle pierre, en France comme dans le monde entier.
L’ exposition, présentée dès décembre 2021 sur le parvis de la cathédrale, est d’un genre nouveau, marqué par le spectaculaire technologique : elle est dite « augmentée », sans que l’on sache précisément ce qui a été augmenté… La réponse est peut-être dans le fait que l’établissement public chargé de la restauration de Notre-Dame l’ait réalisée conjointement avec la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image « dans le cadre de l’année de la bande dessinée », et qu’elle soit « soutenue » (terme plaisamment ambigu) par la marque L’Oréal. On peine à voir le lien avec la culture classique et encore plus avec la spiritualité, mais on n’arrête pas le progrès… Et en effet, on y est accueilli par d’accortes jeunes gens qui remettent au visiteur une tablette numérique indispensable et suffisante à parcourir une exposition qui, ne présentant que des objets concrets négligeables en nombre et en intérêt, n’occupe qu’une petite partie de la magnifique nef des Bernardins. On navigue en-suite d’un point à un autre où l’on charge ladite tablette en informations nouvelles, c’est-à-dire en représentations graphiques telles que l’on en trouve dans les jeux vidéo, non pas ici afin de pourfendre des ennemis virtuels, mais dans le but d’accroître la connaissance de ce trésor patrimonial, religieux et historique. Certains trouveront la chose bienvenue, notamment — reconnaissons-le — parce que ce mode d’exposition pourrait favoriser la visite d’un public jeune, voire enfantin, si ce n’est infantile, qui s’initierait plus volontiers à l’exercice d’apprendre quelque chose, à condition toutefois de lire les quelques lignes qui accompagnent les images. D’autres la trouveront contestable, non seulement pour les mêmes raisons, mais aussi parce que la part la plus importante est consacrée aux travaux de restauration, certes intéressants, mais cela au détriment de l’histoire de la construction et de l’évolution de l’édifice et du symbole, moins traitée, et de façon pauvrement scolaire, à travers des événements sortis du manuel tels que le couronnement (par lui-même) de Napoléon, peint par un David de la palette graphique.
L’exposition, qui a le grand et honnête mérite d’être gratuite, reste à visiter comme une nouveauté sans doute destinée à se reproduire : une sorte de « fast culture » à l’instar du fast food et à peu près aussi nourrissante. On pourra y prendre, c’est vrai, un certain plaisir à voir s’animer des images colorées que l’on peut aussi trouver avec plus de profit — mais aussi de fatigue ? — dans des livres, et l’on s’amusera à observer ses co-visiteurs penchés sur leur tablette, dans la même solitude que dans le métro, en conversation « immersive » (variante d’ « augmentée ») avec leur téléphone portable. C’est qu’il ne faudrait pas perdre les bonnes habitudes. « Parce que vous le valez bien » nous rassure L’Oréal.
Jean Chavot
Boro, Est-Ouest Un livre de D. Franck et J. Vautrin
Un jour de l’année 1987, mon attention fut attirée par le dessin figurant sur un livre de poche. Il me rappelait mon passé de jeune lecteur de l’hebdomadaire Pilote. Le hasard d’une fastidieuse journée, le clin d’oeil lancé sur la première de couverture d’un ouvrage par un homme et une femme portant des tenues des années folles, me jetèrent dans les aventures du jeune Blèmia Borowicz.
Orphelin depuis 2009 du photographe-aventurier, son souvenir me revint durant l’été 2021 lorsque le fonds Hélène et Édouard Leclerc exposa des œuvres d’Enki Bilal sur le site de l’ancien couvent des Capucins construit au xviie siècle à Landerneau. Je retrouvais l’artiste, complice iconographique de Franck et Vautrin créateurs de Boro, le photographe-reporter-aventurier du XX°siècle dont le neuvième tome des aventures est enfin paru. Certes, Jean Vautrin nous a quittés mais Dan Franck poursuit l’équipée débutée avec La Dame de Berlin[1]. Boro, c’est Blèmia Borowicz, un juif hongrois venu à Paris afin de respirer le vent de la liberté. Témoin des soubresauts du XX°siècle, il a connu la montée du nazisme, les conjurés fascisants de la Cagoule, le Front Populaire, la guerre d’Espagne, le second conflit mondial et la résistance. Insolent, sûr de lui, intrépide, on l’imagine élégamment vêtu de blanc coiffé d’un trilby arpentant les rues avec sa canne et son Leica. Spectateur et acteur des bouillonnants événements de l’Histoire, ayant côtoyé les plus grands, il nourrit une fougueuse conscience libertaire, luttant contre les iniquités et les oppressions, défendant l’amour contre vents et marées. Il y a bien sûr du Robert Capa dans le charme du héros, dans ses engagements politiques, dans sa judaïcité comme dans l’agence Alpha-press. Boro, à l’instar de Endre Ernő Friedmann perdit un amour sur le front de Brunete[2] et courut après le souvenir d’une actrice, sa cousine Maryicka Vremler, peut-être inspirée de Hedwig Kiesler-Hedy Lamarr, la « plus belle femme du cinéma ». Pourtant, les similitudes s’arrêtent là, car le neuvième volume des aventures de Boro commence avec la capture du sinistre Eichmann et s’achève avec l’érection du mur de Berlin. Or, Robert Capa mourut en Indochine en mai 1954. Boro aurait dû du reste disparaître lui aussi comme l’envisageait l’un de ses créateurs mais Dan Franck décida de laisser la vie au burlesque aventurier.
Est-Ouest, c’est l’histoire des Hongrois qui ont fui Budapest, celle de l’espionnage durant la guerre froide ; c’est la chasse aux nazis, la guerre d’Algérie, les porteurs de valises, l’avion U2, la Baie des Cochons et la mort d’un président américain icône des années 60 ; bref, un temps que les moins de 70 ans ne peuvent pas connaître. Boro toujours à la pointe du combat des convictions contribue à l’enlèvement d’Eichmann, participe aux activités du réseau Jeanson, organise la fuite d’Allemands sous le mur de la honte, photographie les bidonvilles nanterriens des victimes de la ratonnade d’octobre 1961. Cinq années intenses durant lesquelles Boro-Franck demeure fidèle à ses engagements avec courage et humour au coeur de l’Histoire et au fil des histoires humaines. Roman-reportage, aventures incessantes au gré des pays et des époques, péripéties vouées à continuer. Les errances du témoin boiteux devraient se poursuivre d’autant qu’apparaît un nouveau personnage, Jolan, jeune résistant hongrois ramené en 1956 par Boro ; un apprenti photo-reporter qui ressemble fort au héros « historique » lorsqu’il avait lui-même 20 ans.
Un excellent livre de vacances en un style alerte que l’on referme sur un post-scriptum attisant la fébrilité : « à suivre ».
Érik Lambert.
[1] Franck et Vautrin, La Dame de Berlin, Paris, Pocket, 1999. [2] Robert Capa perdit Gerta Pohorylle, alias Gerda Taro le 26 juillet 1937 lors de la guerre d’Espagne.
Tout au long de ma vie, j’ai apprécié la discrétion de Charles de Foucauld. Dans son désert, loin du bruit de la ville, loin des crises de l’Eglise, il semblait inatteignable et distant par rapport aux situations tragiques de notre société. L’annonce de sa canonisation imminente m’a interrogé. Quel sens peut-avoir aujourd’hui cette canonisation ?
Deux mots caractérisent notre monde actuel : encombrement et désert. Notre société est suréquipée, suralimentée, surchargée, et elle produit des crises : les routes sont encombrées, les oreilles n’entendent plus par excès d’information, les estomacs sont lourds, les cerveaux sont inondés de nouvelles superflues. Et non loin de nos lieux de vie, c’est le manque, la pénurie, la faim, la soif, l’absence de vie ou la peur…
Au milieu de cela, un homme apparaît : Charles de Foucauld. D’où vient-il ? Issu d’une famille noble et aisée, il s’engage dans l’armée, malgré sa résistance à l’autorité et son goût pour les distractions mondaines. Et c’est au cœur de ce cadre de vie disciplinée qu’il découvre le vide de la vie. C’est une conversion foudroyante et un cheminement profond, en quête de sens et de vérité. Il sort des sentiers d’une vie tracée par l’armée, il fuit les promotions et se lance dans l’aventure d’une vie autre : il découvre le Maroc et un peuple religieux qui lui fait toucher du doigt la grandeur de Dieu… Il est marqué par l’expression de la pratique musulmane et la transcendance de Dieu…
Charles est touché par cette religion musulmane et vibre à l’Absolu de Dieu. Il déchiffre un monde qui aboutira plus tard, pour lui, à un travail sur la langue parlée des Touareg. Il facilitera la communication entre eux et avec lui. Avec patience et passion, et ce n’est pas la moindre des actions humanitaires, il révèle une culture, et une langue, il donne vie à un peuple. Et ce n’est pas la partie la plus connue de la vie de Charles de Foucauld.
Ses activités multiples et sans lien apparent ébauchent ce visage unique qui n’apparaîtra qu’en fin de vie : « Frère universel ». Il devient un homme parmi les humains, après de longs temps de recherche, sans aucune étiquette, simplement disciple de Jésus. Sa « forme de vie » accompagnée par le rare courrier de quelques témoins, constitue une innovation dans l’Eglise de son temps et interroge encore aujourd’hui. Il est travaillé par un immense amour de Dieu; et cela se révèle dans les rencontres et l’amitié sans frontière pour tous.
Désencombré à l’extrême et sans structure religieuse, c’est dans cette situation qu’il perçoit la grandeur de Dieu. Charles, à la suite de Jésus, voudra aimer toujours davantage.
Comment la mémoire populaire imagine-t-elle le Moyen-Âge ? À l’aune du film Les Visiteurs, au fil de productions romanesques ou de poncifs véhiculés par de vagues souvenirs d’école bercés par le roman national : guerres, famines et épidémies étaient le lot de nos ancêtres médiévaux. Malgré le court mais brillant essai produit par Régine Pernoud[1], on oublie que du XIème au XIIIème siècle, s’étendit le manteau des cathédrales[2] manifestation du « beau Moyen-Âge ». De l’An Mil, qui fut celui de la naissance de nombre d’États actuels, au début de la guerre de cent ans la chrétienté occidentale fut le théâtre de puissantes transformations économiques, intellectuelles, artistiques et politiques dont notre « civilisation » fut le fruit. Au XIIIe siècle, la société européenne occidentale entra en profonde mutation. L’essor démographique qu’elle connut s’accompagna de deux changements fondamentaux : le développement des cités et l’extension des surfaces cultivées. Cette période fut souvent perçue comme une ère de progrès et de relative prospérité. Du reste, l’histoire des constructeurs et le développement des cathédrales gothiques furent liés à l’essor des villes dans le monde chrétien ainsi qu’à l’expansion des ordres monastiques que connut l’Europe dès la fin du premier millénaire.Elle s’exprima dans l’art gothique qui se répandit, dans la floraison des cathédrales qui modelèrent un nouveau paysage urbain, mais aussi dans l’émulation intellectuelle des grandes cités. Ce bouillonnement intellectuel du XIII°siècle trouva son expression dans la disputatio,[3] sorte de joute théorique. Cette spectaculaire évolution se manifesta par le développement des échanges économiques, la réduction du nombre des disettes, les progrès techniques. Or, l’un des acteurs essentiels de ces transformations fut l’Église catholique, dont le chef spirituel était le pape. Elle était d’autant plus respectée que la population communiait dans une foi profonde et sincère, quoique entachée de violences et de superstitions. Au cœur du message chrétien, au Moyen Âge, nos ancêtres nourrissaient l’espoir d’être sauvés et l’angoisse d’être condamnés lors du Jugement Dernier. Les morts seraient alors jugés par Dieu selon leur foi et leurs œuvres: les bons iraient au paradis, les méchants en enfer. Entre les deux, l’Église médiévale développa l’idée du purgatoire, un lieu où l’on « purgerait » les fautes avant le paradis. C’est pour les hommes imparfaits l’espoir d’être sauvés après un temps plus ou moins long de pénitence.
Toutefois, comme l’écrivit Georges Duby[4], « L’époque, en fait, fut dure, tendue, et fort sauvage« . Les conflits entre les différentes classes de la société furent fréquents. L’insécurité et la crainte résignée du lendemain étaient symbolisées par la roue de Fortune[5], que l’on trouvait souvent représentée dans les églises et dans les manuscrits.
C’est en ces temps de chambardements que le pape Honorius IV[6] mourut le 3 avril 1287. Les cardinaux se réunirent en conclave très rapidement mais leur assemblée fut frappée par l’épidémie qui conduisit six cardinaux à se présenter devant leur créateur ; funeste présage ! Après dix mois, le 22 février 1288, les survivants élurent comme pape, à l’unanimité, le cardinal-évêque de Palestrina[7]. Théologien et ministre général des Franciscains, Jérôme d’Ascoli avait été promu cardinal par Grégoire IX[8] qui l’avait envoyé comme légat[9] à Constantinople en 1272 pour travailler à l’unité des Églises en invitant les Grecs à participer au second concile de Lyon.
Peu après son intronisation, le premier pape franciscain nomma comme cardinaux deux Colonna[10], Napoléon et Pierre, et le ministre général des franciscains, le théologien Mathieu d’Aquasparta. Cette connivence avec la famille des Colonna qui avait déjà fourni deux papes : Jean XII et Benoît IX[11] fut à l’origine de tensions voire de troubles à Rome.
Par ailleurs, le 28 mai 1291, en Palestine, les 200 000 hommes du sultan El Achraf Khalil réduisirent les défenses de Saint-Jean d’Acre, malgré la résistance des Templiers groupés autour du grand maître Guillaume de Beaujeu. Saint-Jean d’Acre était l’ultime bastion de ce qui fut le royaume franc d’Orient. Sa chute mit un point final à l’épopée des croisades presque deux siècles après la prédication du pape Urbain II. Nicolas IV tenta en vain d’organiser une nouvelle croisade en fusionnant Templiers et Chevaliers de Saint-Jean.
Sourcilleux quant à ses pouvoirs temporels, il employa sa diplomatie à obtenir du roi Alphonse d’Aragon[12] la libération du roi Charles II de Naples qu’il retenait prisonnier. Charles se rendit aussitôt à Rome, où il fut couronné solennellement le 19 mai 1289.
Soucieux des missions en Orient, Nicolas IV envoya en 1288 en Tartarie[13] le franciscain Jean de Montecorvino, qui remplit une ambassade auprès du roi de Perse, puis, en 1291, rejoignit l’Inde et parvint jusqu’à la cour du grand khan[14] des Tartares, auprès duquel il demeura onze ans. En Europe, il fonda les universités de Montpellier[15] et Lisbonne.Nicolas IV mourut le 4 avril 1292, après seulement quatre ans de pontificat, et fut inhumé dans la basilique Sainte-Marie-Majeure, qu’il avait restaurée.
Érik Lambert
[1] Régine Pernoud, médiéviste qui publia en 1977, un livre décapant, Pour en finir avec le Moyen-Âge dans lequel mille ans d’histoire resurgissent. Le Moyen Âge est mort, vive le Moyen Âge ! [2] Expression que l’on doit à Raoul Glaber (985 – 1047), moine clunisien et chroniqueur du roi Robert le Pieux, témoignant au début de l’an mil du phénomène de reconstruction des églises, et de l’érection des cathédrales avec la formule désormais célèbre du « blanc manteau d’églises » qui recouvre le monde. [3] Il s’agissait d’un débat, un mode de réflexion argumentative qui a progressivement supplanté la pédagogie monastique vouée à la seule lectio. La disputatio de quolibet (débat en règle sur tout sujet) est la forme la plus solennelle que revêt la disputatio dans l’Université médiévale. Le genre est illustré par les plus grands noms de la scolastique comme Thomas d’Aquin ou le franciscain Guillaume d’Ockham. [4] Historien médiéviste membre de l’Académie française et professeur au Collège de France qui est un des rares historiens à voir son œuvre publiée dans la « Bibliothèque de la Pléiade ». [5] Les Grecs avaient fait de la Fortune (fille de Zeus) une divinité qui dispensait bien et mal selon ses caprices. Les Romains l’adorèrent dans de nombreux temples sous le nom de Fortuna, puis l’on représenta la Fortune sous les traits agréables d’une jeune femme ailée, parfois nue, souvent les yeux bandés, le pied posé sur une roue, ayant à la main une corne d’abondance. La roue tourne : qui aspire à devenir riche doit prendre garde. La Fortune, aux yeux bandés, ne sait à qui elle distribue. Le mouvement de la roue est continuel et toujours, les hommes seront sensibles aux charmes de la déesse Fortune : on est au plus haut ou au plus bas de la roue ; tel est le symbole de la vie humaine. Au sens figuré, la roue de la fortune représente les révolutions, les hasards et les vicissitudes dans la vie des hommes : la roue tourne et ne s’arrête jamais. [6] Pape de 1285 à 1287. Il s’est opposé aux prétentions espagnoles en Sicile. [7] Ville importante du Latium déjà du temps des Romains. [8] Devenu pape en 1227 il joua un grand rôle, avant son accession au souverain pontificat, dans la formation de l’ordre des Frères mineurs (Franciscains). Il fut l’ami de François d’Assise, pour lequel il éprouvait une très vive admiration et dont il suivit les entreprises en se faisant nommer cardinal protecteur de l’ordre. Il dirigea celui-ci vers des entreprises d’action et vers une règle de vie qui ne correspondaient peut-être pas à l’idéal du Poverello. Son œuvre principale, fut l’organisation de l’Inquisition érigée en office universel afin de lutter contre l’hérésie. [9] Le légat a latere est un cardinal représentant, dans des circonstances exceptionnelles, le pape en personne, et il a droit aux mêmes égards que ce dernier. [10] Au Moyen Âge et à la Renaissance, la péninsule italienne était constituée de multiples États voire de villes-États dominés par de puissantes familles. À l’instar des autres familles nobles d’Italie, les Colonna, puissant lignage romain apparu à la fin du XIe siècle, recourent à la violence afin de s’imposer sur la scène politique. Rome s’embrase souvent de leur fait comme, par exemple, en 1455, au lendemain de l’élection pontificale de l’oncle de Rodrigo Borgia, sous le nom de Calixte III. Les Colonna affrontent alors dans les rues leurs ennemis héréditaires, les Orsini. Partisans de longue date des Borgia, les Colonna mettent leurs armes à leur service, que ce soit sous Calixte III ou sous Alexandre VI, contre leurs adversaires, en particulier les della Rovere. [11] Puis Martin V au XV°siècle. [12] Le traité de Tarascon signé le 19 février 1291 par le pape Nicolas IV, le roi Charles II de Naples (maison d’Anjou) et le roi Alphonse III d’Aragon. Suite au conflit opposant la papauté, alliée à la maison d’Anjou, et la maison d’Aragon pour la possession du royaume de Sicile. Ce conflit ouvert par les Vêpres siciliennes de 1282 est aggravé par la croisade d’Aragon de 1285. Le roi de France Philippe le Bel et Nicolas IV, soutiens de Charles 1er de Sicile, voulurent chasser le roi Jacques 1er de Sicile. Pour y parvenir, ils engagèrent des négociations avec son frère aîné le roi Alphonse III d’Aragon qui aboutirent à la signature du traité de Tarascon. [13] Nom donné par les Européens au Moyen-Âge à la partie de l’Asie centrale et septentrionale s’étendant de la Mer Caspienne et de l’Oural à l’Océan Pacifique. [14] Titre porté par celui qui exerce un pouvoir politique, religieux dans le monde mongol ou soumis à l’influence mongole (Turquie, Perse, sous-continent Indien) [15] Héritière de la Faculté de médecine créée en 1289, l’Université de Montpellier a été l’une des premières à paraître en Occident.
En relisant mon parcours, j’ai découvert que ma vie de foi se divisait en deux périodes très distinctes. Il y a eu un avant et un après. Un avant semblable à celui de beaucoup de chrétiens. Née dans une famille croyante et pratiquante j’ai suivi une route qui, au départ, s’est imposée à moi mais qui me plaisait : école religieuse, scoutisme, retraites spirituelles, engagements sur ma paroisse,… Je me suis mariée et ma foi a commencé à évoluer : plus d’engagements, des formations, un mari devenu diacre. C’était toujours la même certitude, Dieu existe mais il restait tout de même très lointain et inaccessible. Et puis un après. Lionel se tue à moto et tout bascule. Je me retrouve seule avec ma douleur. Tout s’écroule, je me sens vide, bancale, inutile. Seul l’amour de mes enfants et leur propre souffrance me forcent à tenir debout. Certes il y a aussi la présence des amis mais il me manque quelque chose. Alors commence un long chemin de reconstruction et peu à peu je prends conscience que ce vide intérieur qui m’a envahie est habité. Je me mets à l’écoute, je sonde mon cœur et je sens enfin que le Seigneur est là, blotti au plus profond de moi. Il m’attend. Je me laisse apprivoiser, je suis en confiance, je m’ouvre librement et peu à peu je m’apaise. Il est la réponse à ce manque, à cette absence que je n’arrivais pas à définir. Il devient mon compagnon de route. Avec le temps, je suis moins active mais ma foi s’est fortifiée. Elle est devenue plus personnelle, plus intime. Elle s’est incarnée.
La foi, un tout petit mot dont les racines s’étendent à l’infini, un tout petit mot débordant d’espérance et de charité.
« La haine, les rancœurs, les disputes familiales, le mépris, les brusqueries, l’omission, sont des armes contre la paix. Tout comme nous pouvons être marchands de ces armes, nous pouvons travailler à les éliminer. »(1) Lequel d’entre nous n’a pas vécu des tensions dans sa famille, dans son couple, dans son milieu professionnel, et même dans sa fraternité ? Ce sont autant de situations d’incompréhension ou d’injustice qui laissent parfois un goût amer et peuvent être porteuses, au fil du temps, de germes de discorde, beaucoup plus profonds et sournois qu’il n’y parait. « Il y en a beaucoup qui sont férus de prières et d’offices, et qui infligent à leur corps de fréquentes mortifications et abstinences. Mais pour un mot qui leur semble un affront ou une injustice envers leur cher moi, ou bien pour tel ou tel objet qu’on leur enlève, les voilà aussitôt qui se scandalisent et perdent la paix de l’âme. » (Admonition 14) A une remarque qui nous semble injustifiée, notre première réaction n’est-elle pas de répondre immédiatement ? Et pour peu que nous ayons le sens de la répartie, cette réponse se fera cinglante et parfois cruelle… Mais qu’avons-nous à y gagner ? La satisfaction d’avoir mouché l’autre, certes, mais cette consolation ou cette petite victoire, nous le savons, sont bien éphémères. Par contre, la relation à l’autre s’en trouvera blessée, et parfois durablement. Si nous ne pouvons agir directement sur les conflits internationaux, c’est dans le quotidien de nos existences que nous pouvons être véritablement des artisans de paix. Cela suppose d’être soi-même pacifié, de se laisser habiter par une paix qui n’est pas la nôtre mais qui est don de Dieu. Comme l’écrit François : « gardons-nous de tout orgueil et de toute vaine gloire. Gardons-nous de la sagesse de ce monde et de la prudence égoïste…Celui qui est docile à l’esprit du Seigneur…s’applique à l’humilité et à la patience, à la pure simplicité et à la paix véritable de l’esprit » (1 Reg 17) ou encore : « Où règnent patience et humilité, il n’y a ni colère, ni trouble. » (Adm 27,2) C’est une conversion de chaque jour qui nous attend : apprendre à faire le silence en soi pour mieux se mettre à l’écoute de l’autre, apprendre à entrer en dialogue et non en concurrence, apprendre à recevoir les remarques ou les objections sans en éprouver du ressentiment, accepter de ne pas avoir le dernier mot…Rien de triomphal ou d’éclatant dans tout cela, mais une école de patience et d’humilité, à l’exemple de François d’Assise. Il ne s’agit pas de fuir ou de renoncer au conflit, celui-ci peut être salutaire, mais il s’agit de l’aborder autrement, en renonçant à tout esprit de domination et à la tentation d’avoir raison coûte que coûte, en recherchant les conditions d’un dialogue fructueux et des solutions justes et équitables pour chacune des parties. Car la paix est toujours le fruit de la justice. Dans son encyclique Ecclesiam suam, Paul VI décrit les principaux caractères du dialogue, en particulier la douceur : « La douceur, celle que le Christ propose d’apprendre de lui-même : ”Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur” (Mt 11,29) ; le dialogue n’est pas orgueilleux ; il n’est pas piquant ; il n’est pas offensant. Son autorité lui vient de l’intérieur, de la vérité qu’il expose, de la charité qu’il répand, de l’exemple qu’il propose ; il n’est pas commandement et ne procède pas de façon impérieuse. Il est pacifique, il évite les manières violentes ; il est patient ; il est généreux. » (83) Être pacifié, c’est aussi convertir son regard sur l’autre : reconnaître en lui un frère pour lequel l’amour bienveillant et miséricordieux du Père, de notre Père, ne peut se démentir. Et croire, par conséquent, qu’il peut lui aussi se laisser convertir. « Que votre douceur incite tous les hommes à la paix, à la bonté et à la concorde…Beaucoup nous paraissent suppôts du diable, qui deviendront disciples du Christ. » (Légende des trois compagnons, 58)
« La paix soit avec vous ! » Demandons au Seigneur, jour après jour, qu’il fasse sa demeure en nous, qu’il vienne pacifier notre cœur et notre esprit pour que nous puissions devenir, à la suite de François, des artisans de paix pour le monde, et en premier lieu pour tous ceux que nous sommes appelés à rencontrer, comme nous y invite le Projet de Vie des laïcs franciscains : « Porteurs de la paix qu’ils savent devoir construire sans cesse, ils chercheront, dans le dialogue, les voies de l’unité et de l’entente fraternelle, faisant confiance en la présence du germe divin dans l’homme et en la puissance transformante de l’amour et du pardon. » (Projet de Vie 19)
(1). viechrétiennne.catholique.org/méditation/La paix du Christ
➡️ Importance bien soulignée de l’identité entre celui qui apparaît et le crucifié d’hier : il est le même. Et pourtant, importance bien soulignée aussi de la différence : il est d’un tout autre monde (portes fermées, apparition, disparition…)
➡️ Jésus apparaît avec ses plaies : c’est l’Agneau immolé qui se présente aux siens, celui dont parle l’Apocalypse (5, 6), l’Agneau égorgé qui trône dans les cieux.
➡️ Jésus leur déclare la paix. Que veut-il signifier ? • ce n’est pas seulement le « shalom » habituel des rencontres • Jésus ne prétend pas seulement les rassurer, calmer leur peur, leur donner confiance ; • Il leur déclare solennellement le pardon de Dieu. L’amour du Père est plus fort que le péché des hommes. Au-delà de la mort en croix, où s’étalait la preuve du péché des hommes, le Père présente maintenant, en la personne de Jésus ressuscité montrant ses plaies, le sceau vivant d’une parole donnée qu’il ne reprendra plus : la Paix !
➡️ Jésus envoie ses disciples en mission. Mais c’est la nature de cette mission qui est remarquable. Jésus ne leur donne pas simplement mission d’exhorter à la conversion, ou d’annoncer la Rédemption. Il affecte à ses disciples la même mission que la sienne, la même qu’il reçut du Père. Jésus intègre ses disciples dans sa mission propre. C’est donc, au plan de la mission, une intégration trinitaire.
➡️ Jésus souffle sur eux l’Esprit Saint… C’est le rappel de la création de l’homme, d’après la Genèse, qui s’est faite par insufflation du souffle vital par Dieu. Les disciples sont donc une nouvelle création, purifiée de ses péchés et refaite dans la sainteté.
➡️ Jésus leur donne mission de pardonner. Pour les juifs, seul Dieu pardonne les péchés. Or Jésus, déjà, s’était arrogé ce pouvoir. Et voilà qu’il accorde ce pouvoir à ses disciples. C’est bien la preuve de leur « intégration trinitaire ».
Apparition aux 11 disciples (20, 24-29)
➡️ L’incrédulité des apôtres devant l’apparition du ressuscité est l’un des traits communs des récits des 4 évangélistes sur les apparitions, et Jésus le leur reproche (Mt. 28, 17 ; Mc. 16, 14 ; Lc. 24, 36-42). Jean concentre cette incrédulité sur Thomas.
➡️ En quoi consiste l’incrédulité de Thomas, qui représente pour Jean l’incrédulité-type ? • Thomas ne veut pas croire sur parole, il veut voir et toucher. C’est donc un refus du témoignage. Or ce sera une des missions essentielles de l’Eglise : témoigner du Christ ressuscité. La foi chrétienne est une chaîne de la foi : nous croyons, non pas parce que nous avons vu, mais parce que nous croyons les témoins qui ont vu. L’Eglise est chargée de la transmission de la foi qui lui vient des témoins. • Thomas impose à Jésus les conditions de sa foi en lui : toucher ses plaies. C’est le contraire exact de l’attitude chrétienne, qui consiste essentiellement à se recevoir humblement de Dieu et du Christ.
➡️ Par contre, la confession de foi de Thomas est admirable et étonnante : « Mon Seigneur et mon Dieu ». Elle est une des plus hautes expressions de la foi chrétienne des origines. Thomas associe en Jésus les titres de Seigneur et de Dieu. Jésus est Dieu, comme dans le 1er verset du prologue où le « Verbe était en Dieu ». Et comme le dira saint Paul : « Jésus est Seigneur ».
➡️ « Heureux ceux qui croiront sans avoir vu ». C’est sur cette béatitude de la foi que se terminait primitivement l’évangile selon saint Jean, avant qu’il n’ajoute l’appendice du chapitre 21 dans une édition ultérieure. C’est bien donc à cette béatitude que tendait toute la scène, que tendaient aussi toutes les scènes d’apparitions du chapitre 20, et que tendait probablement tout l’évangile de Jean, qui insiste sur l’incrédulité et sur la foi.
➡️ Mais remarquons aussi que l’évangile de Jean contient une seule autre béatitude : « Heureux serez-vous si vous mettez en pratique mon commandement de vous laver les pieds les uns aux autres » (13, 17). C’est la béatitude de la charité-service.
Conclusion
Le chapitre 20 des apparitions du Ressuscité insiste sur 2 points :
1. L’incrédulité spontanée des disciples : l’homme a du mal à faire confiance à Dieu. 2. Le temps de l’Eglise commence avec la présence/absence de Jésus (il est là, mais selon tout un autre mode de présence) ; et avec une mission confiée qui est la continuation de la sienne, parce qu’elle est totalement intégrée à la sienne.
Dieu notre Père, accorde à ton Église les saints dont elle a besoin pour témoigner de ta présence et de ton Royaume.
Donne aux jeunes la joie d’écouter ton appel à aimer. Apprends-leur à discerner leur vocation pour vivre à ta suite dans la diversité des états de vie.
Père, fais grandir en nous cette passion pour le Christ et pour l’humanité afin d’annoncer la joie de l’Évangile.
(Texte composé pour la journée mondiale de prière pour les vocations – 8 mai 2022)
Du 12 avril 2022 Au 24 juilet 2022 Bibliothèque François-Mitterrand – Galerie 2 👉 En savoir plus
La Bibliothèque nationale ouvre régulièrement ses trésors au public à l’occasion d’expositions toujours précieuses, riches et instructives. Elle a en outre le mérite de proposer des tickets d’entrée à des prix raisonnables (9 à 7 €) et d’offrir la gratuité aux moins de dix-huit ans. Elle a en revanche parfois le défaut d’un penchant livresque — on comprend pourquoi. Mais dans notre époque qui abuse des raccourcis de l’image, est-ce là un défaut ou une mission salutaire du service public ?
C’est purement d’écriture qu’il s’agit dans cette belle exposition tous publics — « L’aventure de Champollion » réalisée avec la contribution du musée du Louvre et du Museo Egizio de Turin, le plus ancien et l’un des plus grands musées d’antiquités égyptiennes. Elle a pourtant de quoi séduire les jeunes autant que les moins jeunes, car les arts graphiques et plastiques y sont à l’honneur par la nature même du hiéroglyphe à l’élégance toujours saisissante, ainsi que par la présence de nombreux objets plus admirables les uns que les autres, témoignages d’une civilisation profonde et raffinée qui ne cesse d’émerveiller.
L’exposition célèbre Jean-François Champollion (1790-1832) pour le deux centième anniversaire de son déchiffrement des hiéroglyphes dont il fit la communication officielle le 27 septembre 1822, mettant fin à toute crédibilité des interprétations précédentes et contemporaines, farfelues ou fantasmatiques comme celles des symbolistes ou des francs-maçons. Plus personne n’était capable de lire ces « gravures sacrées « (c’est le sens du mot hiéroglyphe) depuis plus de 1 500 ans, et s’était donc perdu le secret de ce système de notation de la parole vieux de 5 000 ans qui est la première marche vers l’écriture telle que nous la connaissons, avec les précédents des écritures sumériennes pictographique (6 000 ans) et cunéiforme (5 700 ans), et ses déclinaisons cursives postérieures que sont l’écriture « hiératique », puis « démotique », moins connues et pourtant à l’origine directe de nos alphabets modernes. C’est dire l’importance de la découverte que fit Champollion grâce à la fameuse pierre de Rosette trouvée dans la ville éponyme par un officier français lors de la campagne égyptienne de Bonaparte (1798-1801). Un contingent de savants et de dessinateurs avait accompagné la troupe dans ce pays encore bien mal connu, à l’importance historique largement sous-évaluée, occultée par la prééminence accordée à la civilisation grecque. On doit à ces explorateurs l’énorme documentation rassemblée dans les vingt-trois volumes de La Description de l’Égypte publiée en 1809 qui détermina la vocation de Champollion et de nombreux autres futurs égyptologues. Âgé alors de dix-neuf ans, ce grand travailleur et savant original, à l’esprit indépendant doté d’une intuition extraordinaire, avait déjà démontré que la langue copte était une forme tardive de l’égyptien ancien. Une bonne dizaine d’années d’efforts et de curiosité plus tard, il pouvait livrer des résultats à même d’éclairer les quarante siècles d’Histoire qui nous contemplaient du haut des pyramides, et au-delà. Car si c’est par l’écriture que l’homme put commencer à livrer son témoignage sur sa propre époque — faculté distinguant la Préhistoire de l’Histoire —, encore fallait-il que ses descendants fussent en mesure de la lire.
Magnifiant l’intérêt éprouvé pour ses découvertes majeures, le grand charme de l’exposition est de restituer la personnalité et les chemins de connaissance d’un homme hors du commun, dévoué scrupuleusement et ardemment à sa recherche. Son exemple de passion et de rigueur n’est pas le moindre des enseignements que le visiteur actuel, jeune en particulier, puisse en retirer. Il pourra par exemple admirer ses relevés de hiéroglyphes, ses dessins reproduisant fidèlement tout ce qu’il pouvait rencontrer de beau, d’intrigant et de significatif en un temps où la photographie n’existait pas, le tout accompagné de notes et d’observations écrites de sa main et consigné dans des cahiers impressionnants de précision scientifique comme de qualité artistique. On y pressent un homme rare, très attachant, disparu trop tôt, ainsi que le lien émouvant avec son frère aîné, Jacques-Joseph, qui poursuivit son œuvre en constituant un dictionnaire et une grammaire de l’égyptien ancien. Des années après sa découverte fondatrice, Jean-François Champollion devint ainsi immortel, à l’instar des pharaons qui sans doute avaient visité ses rêves.
Jean Chavot
Berlin Requiem Un livre de Xavier-Marie BONNOT
X-M.Bonnot, Berlin Requiem, Paris, Plon, 2021, 368 pages, 19 €
Hasard de l’actualité, Michel Bouquet nous a quittés en ce mois d’avril 2022. Or, il fut un saisissant Furtwängler dans la pièce À tort ou à raison. Le chef d’orchestre ne fut jamais un opposant au nazisme et poursuivit sa carrière au prestigieux philharmonique de Berlin durant les sombres années. Certes, à la fin de la guerre, beaucoup de musiciens le soutinrent comme Yehudi Menuhin arguant du refus du maestro de prendre sa carte du Parti comme le firent d’autres tel Herbert von Karajan. Blanchi par un tribunal de dénazification en 1946, il nourrissait des rêves chimériques dans lesquels la culture et l’art se dérobaient aux contingences politiques. L’ambiguïté du parcours du chef inspire le roman Berlin Requiem, funérailles ou nostalgie ?
Les vies de quatre personnages se croisent, s’entrecroisent Wilhelm Furtwängler, Rodolphe Meister, fils de la célèbre cantatrice Christa Meister, et la jolie Eva. Le roman est d’abord celui de l’adulé chef d’orchestre du Philarmoniker de Berlin et de ses rapports avec les nazis. Il se trouve confronté aux rivalités entre les dirigeants-coutisans pour s’attirer les faveurs d’un chancelier qui joue sur les jalousies de ses proches pour assurer son pouvoir. Au fil de son roman historique, Bonnot plonge ses personnages au cœur de Berlin lors de la funeste aventure de l’Allemagne des années 1930 et 1940.
Cette biographie romancée soulève bien des questions qui pourraient nous interpeller dans les temps que nous vivons. Quel peut-être le rôle, d’un intellectuel, d’un artiste dans une société gagnée par le totalitarisme ? Nul doute que ces sociétés n’apprécient guère ces individus rétifs par nature aux préceptes simplificateurs. Pourtant, certains d’entre eux furent envoûtés par les prêches incitant à la violence, au rejet de l’autre. Ainsi, en fut-il du dramaturge Hanns Johst[1], auteur de la pièce Schlageter honorant l’arrivée au pouvoir des nazis. Le « héros », Albert Schlageter[2] et son ami Thiemann se demandent s’il est nécessaire de nourrir des ambitions universitaires ; l’un affirmant : « Wenn ich Kultur höre… entsichere ich meinen Browning ! », « Quand j’entends parler de culture… je relâche la sécurité de mon Browning » que d’aucuns ont interprété en traduisant : « Quand j’entends le mot culture, je sors mon révolver ».
Ce livre tire avantage d’une plume alerte, engageant un débat sur l’irruption du pouvoir politique dans l’art mais aussi de l’aptitude à la résistance et à la résilience face aux pouvoirs totalitaires. Hitler considérait que la musique participait à la Gleichschaltung[3] de tout un peuple alors que pour le Kapellmeister, la musique œuvrait sur la raison et sur les sentiments. L’art, soumis, était ainsi au service de l’idéologie et participait aux projets totalitaires.
Furtwängler fut-il trop orgueilleux ? Sa responsabilité morale fut-elle engagée vis-à-vis des nazis qu’il méprisait ? Pourtant conscient de l’abjection dans laquelle s’abîmait l’Allemagne, stupéfait de la médiocrité du Führer, lors des rares échanges entre les deux hommes, nourrissant l’illusion que son prestige lui permettrait de protéger ses musiciens juifs, il ne quitta pas pour autant le pays.
Admirant le maestro, le jeune Rudolf, personnage de fiction, vit seul avec sa mère, cantatrice vieillissante. Il ignore tout de son père et nourrit l’ambition de devenir le plus grand chef d’orchestre d’Allemagne. Fasciné par les défilés en uniforme, il observe naïvement le gouffre dans lequel plonge l’Allemagne. Le lecteur partage la profonde solitude du petit prodige, solitude toutefois égayée par la présence bienveillante d’Éva. Rudolf souvent muet, vit reclus dans son univers. La musique l’accompagne, lui permet d’endurer la guerre, les humeurs puis la déportation de sa mère, d’affronter l’absence de père.
La musique est toujours présente dans ce roman ; on s’imagine dans la grotte de Herrenchiemsee entraîné dans le Ring wagnérien des Nibelungen. La culture peut-elle résister au totalitarisme ? Éviter de se compromettre en tenant sa baguette de la main droite pour ne pas faire le salut nazi suffit-il à exonérer du devoir moral ?
C’est la réflexion qu’engage l’auteur, plutôt bienveillant à l’endroit du maestro, dans ce roman palpitant qui conduit à chercher sur Internet des vidéos de Furtwängler dirigeant Tristan et Isolde. Le roman commence et s’achève alors que le « Reich millénaire » s’est effondré avec l’espoir que nourrissait Wittgenstein lorsqu’il écrivit : « De l’ancienne culture il ne restera qu’un tas de décombres et pour finir un tas de cendres, mais il y aura toujours des esprits qui flotteront sur ces cendres. »