L’enseignement catholique

Le 30 août 2024 marquera le jour de ma 23ème rentrée scolaire au sein de l’Éducation Nationale et de l’enseignement catholique, et, en écrivant ces lignes, je me demande combien d’années encore je vais réussir à exercer mon métier avec sérénité.

Le métier d’enseignant est un des plus beaux métiers du monde : il permet de transmettre et de recevoir, de construire avec les jeunes, de les faire grandir en leur inculquant des valeurs comme le respect et la tolérance. Ce qui m’a animée depuis le début et m’a apporté un épanouissement professionnel s’est heurté ces dernières années aux dysfonctionnements d’une société malade. Que s’est-il passé ?

Issue d’une famille modeste des Deux-Sèvres, mes sœurs et moi avons été baptisées par tradition et parce que cela représentait une étape importante dans la vie de notre famille. Cependant je n’ai jamais reçu d’éducation religieuse avant mes 11 ans. A l’entrée au collège, nos parents ont fait le choix de nous inscrire dans l’enseignement catholique. Ils voulaient nous protéger des violences que nous subissions à l’école de notre quartier et nous offrir l’accès à la réussite scolaire. J’étais consciente que cela représentait un sacrifice financier pour eux et j’ai vécu ma scolarité au collège l’Espérance comme dans une bulle de protection. Nous étions en 1989 et la vie dans notre cité des 3000 (appelée aussi la Rose-des-Vents) n’était pas de tout repos. Aujourd’hui, j’éprouve de la gratitude et de la reconnaissance à l’égard de cette institution, et particulièrement à l’égard des professeurs et des encadrants qui m’ont toujours octroyé un espace de confiance et de liberté, et cela tout en m’imposant un cadre et des règles. Si l’enseignement et l’éducation que j’y ai reçus n’ont pas fait de moi une catholique pratiquante, ils m’ont apporté la confiance et des valeurs que j’ai aujourd’hui plus de mal à transmettre à des élèves en perte de repères.

Ma carrière d’enseignante a débuté en même temps que les premières journées nationales des assises de l’enseignement catholique, en 2000, et que les politiques d’éducation prioritaire dans l’Éducation Nationale. Il soufflait un vent de réformes et les formations de l’ISFEC et de l’IUFM dont je bénéficiais me donnaient le sentiment que la « guerre privé/ public » s’estompait, et disparaissait. Nous travaillions ensemble avec mes collègues du public et du privé. Ce qui importait était d’avancer en faisant preuve de plus de considération des individus. J’ai choisi l’enseignement privé catholique pour différentes raisons et je partage les valeurs de l’humanisme chrétien. Aussi je continue de croire que nous pouvons tous ensemble construire une école ouverte aux différences, soucieuse des libertés de chacun et en faire un espace de paix, un sanctuaire. Dans tous les établissements catholiques que j’ai fréquentés, nous accueillions des élèves en difficulté ou aux profils sociaux très divers ; et les efforts pour inclure l’autre dans sa différence étaient un succès chaque fois que les moyens humains et financiers étaient déployés. Quelques années plus tard, je constate que malgré cette volonté commune de réformer l’école dans le bon sens, les difficultés demeurent.

Aujourd’hui, j’enseigne dans un établissement catholique de province et le profil des élèves (issus de catégories sociales moins élevées) et celui des professeurs (globalement moins impliqués dans la pastorale) est très différent de celui que j’ai connu en région parisienne, mais les conséquences sur notre travail qui sont liées à la transformation de notre société restent les mêmes partout. Lorsque j’évoque plus haut les dysfonctionnements d’une société malade, des élèves en perte de repères ou les difficultés que je rencontre au sein de l’enseignement catholique, je fais référence à tout ce qui rend mon quotidien plus difficile qu’il ne l’était lorsque j’ai commencé ce métier. Jusqu’à présent, je n’avais pas à faire face à autant de situations familiales compliquées et très diverses (mésententes des familles quant à l’éducation, détresse de parents dépassés, souffrances d’enfants qui n’ont ni cadre ni limites, parents omniprésents ou absents, familles dans le jugement…). Dans la solidarité de notre équipe, je vis et côtoie avec impuissance le mal être de notre corps enseignant (manque de reconnaissance et de moyens, manque de confiance, de soutien ou de cohésion dans la communauté, fossé entre les discours et les actes…) et je constate avec tristesse que les politiques actuelles vont à l’encontre du bien-être de l’école. Non, les groupes de niveaux et le regroupement d’élèves en difficulté ne fonctionnent pas. Nous l’expérimentons tous les jours, cela fonctionne pour les « bons élèves », pour « l’élite » mais pas pour ceux qui sont en difficulté. Les établissements ne devraient-ils pas éviter de « ghettoïser » les élèves ? Je me demande si les enseignants de Stanislas ressentent le même mal être que celui des professeurs de mon petit collège de province ? En effet, l’enseignement catholique est lui aussi confronté aux problèmes que connaissaient déjà les établissements publics de mon quartier il y a 35 ans.
Je me sens impuissante lorsque je me retrouve face à une classe qui concentre plusieurs élèves en grandes difficultés scolaires : des élèves TDAH, des élèves dyslexiques, des élèves aux troubles psychiatriques ou souffrants d’anxiété mais aussi des élèves dont les bases éducatives sont si différentes les unes des autres. Nous avons besoin d’encadrants et de petits effectifs mais aussi d’un climat de confiance pour réussir notre mission d’enseignants-es /éducateurs-trices.
N’est-il pas temps de dépasser les guerres politiques privé/public pour apporter à l’école les moyens financiers et humains qui sont aujourd’hui plus qu’indispensables ?

V. Cerceau, professeur d’espagnol
Le 26/04/2024