PIE IX, UN PAPE À L’IMAGE DE SON SIÈCLE : ENTRE LIBÉRALISATION ET CONSERVATISME

3. Un pape à l’image d’une Église agitée par les sociétés en mouvement.

L’échec de sa tentative de gouvernement libéral étouffa les velléités novatrices du Pape. Désormais, il aspira à défendre son pouvoir temporel indispensable selon lui, à l’indépendance spirituelle de l’Église. Durant le reste de son règne, il ne cessa de lutter contre l’Italie naissante. Emporté par le tourbillon libéral qui balayait l’Europe, ses positions conservatrices ne s’affirmèrent pas seulement en Italie mais concernèrent l’ensemble du continent. Confronté aux patriotes italiens, il accentua les positions adoptées en son temps par Grégoire XVI[1]. Ce pontife, initialement libéral, puis perçu comme réactionnaire, combattit en son temps, la vague de religiosité romantique[2] et de naturalisme rationaliste[3]. Il condamna les doctrines de Lamennais de séparation de l’Église et de l’État et les libertés de conscience et de presse. Cette source d’inspiration nouvelle qui guida Pie IX le conduisit à nourrir une solide opposition au discours de Montalembert prononcé au congrès de Malines de 1863[4]. Il lança l’encyclique Quanta Cura[5], publiée le 8 décembre 1864. Le texte condamna le naturalisme, en particulier le rationalisme moderne et la conception libérale des rapports entre la religion et la société civile ; le socialisme et de manière générale la société moderne. Le texte était complété par une liste de quatre-vingts propositions erronées, intitulée Syllabus[6]. Toutefois, le Pape connut une popularité exceptionnelle tant il suscita l’empathie auprès du « mouvement catholique ». Considéré par beaucoup comme un martyr ; cet homme doté d’un réel pouvoir de séduction, avide de contacts[7], rallia les masses et le clergé. Sa situation fut un accélérateur de l’ultramontanisme[8]. Ce dernier courant était fidèle à la perspective tracée par Pie IX lors du XXe concile œcuménique de l’Église romaine[9], Vatican1, affirmant le principe de la primauté et de l’infaillibilité pontificale. Ce fut ce pape qui forgea le Dogme de l’Immaculée Conception dans la bulle apostolique Ineffabilis Deus[10] en décembre 1854. Le dogme de l’Immaculée Conception proclamait la conception « sans tâches » de la mère du Christ. Cela signifiait qu’elle n’était pas marquée par l’empreinte du péché originel comme l’avaient déjà affirmé de nombreux pères de l’Église[11]. Les apparitions de la Vierge à Catherine Labouré[12] en 1830 puis à Bernadette Soubirous en 1858[13]  procédèrent de ce culte marial en pleine expansion. 
Toutefois, la guerre franco-prussienne entraîna la suspension du concile Vatican1 et la disparition de l’État pontifical, privé de la protection de la France. Les troupes italiennes occupèrent Rome le 20 septembre 1870 désormais capitale du royaume d’Italie[14].
L’ambition affirmée de Pie IX de servir l’Église avec un esprit mystique ouvrit l’ère des papes missionnaires. Certes, son pontificat fut celui d’une Église sur la défensive avec le développement du laïcisme en Allemagne[15], en Suisse, en France mais il fut aussi celui d’un regain de religiosité.  

Le Pape Jean Paul II béatifia le dimanche 3 septembre 2000 Pie IX et Jean XXIII. Associer les deux souleva l’indignation. Ceux qui s’y opposèrent estimèrent que Jean Paul II, en béatifiant Pie IX, voulut ménager les milieux traditionalistes, adversaires de toujours de l’œuvre de Jean XXIII. Deux papes, l’un symbole du conservatisme, l’autre de la modernité[16].
L’Église, c’est aussi des contradictions et le long règne de Pie IX en fut l’expression : comment l’Église peut-elle affronter les défis générés par les évolutions de société ? 


[1] Pape de 1831 à 1846.
[2] Les romantiques songeaient à une individualisation du sentiment religieux plus qu’à une religion instituée, catholique ou reformée.
[3] Le rationalisme considère que l’homme peut réfléchir par lui-même sans intervention de la religion. Pour le naturalisme, l’homme est un être vivant qui naît, vit et meurt. La pensée meurt avec le corps et il n’y a dès lors de vie après la mort. Dans les deux cas, la raison seule juge ce qui est bon et ce qui est mal.
[4] Cf. L’Église Libre Dans l’État LibreDiscours Prononcés Au Congrès Catholique de Malines, Par Le Comte de Montalembert.
[5] « Avec quel soin… » https://www.vatican.va/content/pius-ix/la/documents/encyclica-quanta-cura-8-decembris-1864.html
[6] Un recueil qui dénonçait « les principales erreurs du temps ».
[7] 9 heures d’audience par jour.
[8] L’ultramontanisme (du latin ultra, au-delà et montis, montagne) désigne ce qui est au-delà des monts alpins par rapport à la France, c’est-à-dire l’Italie et plus précisément Rome. Il se manifeste dès les XVIIe et XVIIIe siècles, mais surtout au XIXe siècle. Ses partisans, les ultramontains, considèrent que le pape a la prédominance sur les conciles nationaux pour tout ce qui concerne l’Église catholique (dogme et administration).
[9] Réuni du 8 décembre 1869 au 20 octobre 1870. Sept cents évêques pour « trouver les remèdes contre les si nombreux maux qui oppressent l’Église » 
[10] « Dieu ineffable ». https://www.icrsp.org/Saints-Patrons/Christ-Roi-Immaculee-Conception/Ineffabilis_Deus_Pie_IX.htm
[11], Saint-Augustin, in De natura et gratia « De la sainte Vierge Marie, pour l’honneur du Christ, je ne veux pas qu’il soit question lorsqu’il s’agit de péchés. Nous savons en effet qu’une grâce plus grande lui a été accordée pour vaincre de toutes parts le péché par cela même qu’elle a mérité de concevoir et d’enfanter celui dont il est certain qu’il n’eut aucun péché. »
[12] La Vierge se serait présentée comme « conçue sans péché » à Catherine Labouré.  La médaille miraculeuse a été comme « dessinée » par la Vierge elle-même ! Elle aurait en effet demandé la forme ovale, l’invocation à graver, son effigie à poser sur une face et au revers les motifs symboliques. De ce fait, la Vierge en a donné le contenu ; le message, explicite et implicite, de sa propre identité, sa Conception Immaculée. Ensuite la Sainte Vierge en a donné le mode d’emploi : « Ceux qui la porteront avec confiance », on trouve là comme un écho des paroles de Jésus à la femme guérie après avoir touché son manteau : « Va, ta foi t’a sauvée ». Enfin, la Vierge en assigne le but : recevoir de grandes grâces, nous rappelant ainsi la miséricorde de Dieu et la primauté de la vie spirituelle.
[13] La « belle dame » lui est apparue dans la grotte de Lourdes en lui disant : « Que sòi era Immaculada Concepciou », « Je suis l’Immaculée Conception » en gascon.
[14] Le Pape refusa la « loi des garanties » votée par le Parlement italien en mai 1871 laissant ouverte la « question romaine » résolue par les accords du Latran de 1929.
[15] Kulturkampf, Otto von Bismarck, ne se cachant pas d’être agnostique, voire athée, aspirait à réaliser l’unité de l’Allemagne autour de la Prusse. Pour cela, il convenait de mener un « combat pour la civilisation » qui visait en fait à éradiquer l’influence du Saint-Siège sur l’Église allemande et réduire son influence dans certains territoires allemands comme l’Alsace ou la Bavière. 
[16] Sans porter de jugement ou se lancer dans une démarche de repentance ignorant les réalités des temps, la position des deux sur les Juifs est intéressante à observer. Ainsi, l’affaire Dreyfus à l’italienne que fut l’affaire Mortara ne peut que solliciter notre intérêt.