Si tu savais le don de Dieu

Si nous étions entrés dans ce temps de Carême 2020 sans vraiment nous y préparer, l’épidémie de coronavirus qui frappe notre monde est venue tout bouleverser, et peut-être nous réveiller… En effet, comment ne pas faire le parallèle entre confinement/désert et guérison/résurrection ?
Sans l’avoir voulu, nous voici contraints de nous mettre en retrait, de renoncer à tout ce qui nous tient à cœur : activités professionnelles et associatives, rencontres familiales et amicales. Mais cette épreuve, qui nous a tout d’abord plongés dans la sidération et la peur, pourrait, si nous le voulons, nous conduire à retrouver le sens de ce temps privilégié qu’est le Carême.

« Si tu savais le don de Dieu »… C’est la parole de Jésus à la Samaritaine, mais c’est aussi la parole qu’il adresse à chacun et chacune d’entre nous. De tout temps, Dieu se présente à nous pour nous donner la Vie, celle-là même qu’il insufflait à l’homme en le créant. Cependant, trop souvent, comme l’aveugle-né, nous avons les yeux fermés, comme le peuple d’Israël au désert, nous avons le cœur endurci. Refusant d’écouter la voix du Seigneur, nous choisissons de vivre en fils de Satan et non en enfants de lumière.
Ce temps du Carême nous est donné pour prendre du recul, faire silence et nous ouvrir à la Parole de Dieu. Au tentateur qui s’approche alors qu’il a jeûné quarante jours et quarante nuits et qu’il a faim, Jésus répond : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » (Mt 4,4) Cette parole, nous l’avons entendue maintes fois, mais, avec l’émergence de ce virus dans nos existences, elle ne peut que résonner en nous, qui sommes devenus des « surconsommateurs », brutalement confrontés à l’éventualité du manque. Elle vient singulièrement questionner notre mode de vie et nos priorités. Nos placards remplis à l’excès avant même cette crise, et nos poubelles qui croulent sous le poids de tout ce que nous jetons, ne révèlent-ils pas un autre manque beaucoup plus profond ? Où est l’essentiel pour nous aujourd’hui ? Qu’est-ce qui fait sens dans notre vie ?

« Si tu savais le don de Dieu »… Nous sommes invités à relire les Écritures et à prier. Nous sommes invités à contempler le Christ pauvre en croix et à méditer sa mort et sa résurrection. Il nous faut abandonner les modèles qui nous ont faussement fait croire à la toute puissance de l’homme moderne, pour nous laisser transformer et convertir. C’est ainsi que nous pouvons renouer la relation filiale, si souvent blessée, retrouver le face à face avec Dieu et entrer, nous aussi, dans ce dialogue d’amour qui unit le Père et le Fils. Humblement, avec nos pauvretés, mais riches de tout ce qu’il nous donne, nous redécouvrons alors ce que veut dire : tout recevoir de lui et se recevoir de lui. Dieu est la source de toute bonté, de tout amour, et c’est la Vie en plénitude qu’il est venu nous offrir en son Fils.
C’est ce que François expérimente lorsqu’il se retire sur une île du lac Trasimène pour y vivre le Carême dans la solitude, jeûnant quarante jours et quarante nuits, ne mangeant rien de plus qu’un demi pain. (Fioretti 7) Prier Dieu, louer Dieu, adorer Dieu, avec cette intime conviction qui l’animera durant toute sa vie : « Mon Dieu et mon Tout ».

« Si tu savais le don de Dieu »… Jésus poursuit : « Quiconque boit de cette eau aura de nouveau soif ; mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. » (Jn 4,13-14) Cette eau vive c’est l’Esprit, qui fait de nous des adorateurs du Père en vérité. « Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » (1Co 3,16) Sous l’emprise de l’Esprit, nous expérimentons la bonté et l’amour de Dieu, et nous pouvons, à notre tour, devenir source d’eau vive pour nos frères et sœurs en vivant des fruits de l’Esprit, comme St Paul nous y invite : « Autrefois, vous étiez ténèbres ; maintenant, dans le Seigneur, vous êtes lumière ; conduisez-vous comme des enfants de lumière – or la lumière a pour fruit tout ce qui est bonté, justice et vérité – et sachez reconnaître ce qui est capable de plaire au Seigneur. » (Ep 5, 8-10) « Cherchez à imiter Dieu, comme des enfants bien-aimés, et suivez la voie de l’amour, à l’exemple du Christ qui vous a aimés et s’est livré pour nous » (Ep 5,1-2) Aujourd’hui plus que jamais, nous sommes appelés à vivre des fruits de l’Esprit en posant des gestes concrets de solidarité et de partage, par exemple avec tous ceux qui sont isolés dans leur confinement, ou encore avec tous ceux qui sont à notre service malgré les risques encourus. Dans un message récent, l’évêque de Nanterre, Matthieu Rougé, déclarait : « Tout cela, nous pouvons le vivre dans la confiance et l’espérance. Nous nous préparons à la Semaine Sainte, c’est-à-dire à la célébration de la mort et de la résurrection du Christ. Notre foi en cette victoire de l’Amour sur la mort est la source d’une paix inaltérable dont nous sommes appelés à témoigner. La coïncidence entre la lutte contre le virus et le carême constitue un appel à lutter contre tous les « virus » qui peuvent nous faire du mal : l’égoïsme, la division, la malveillance, le découragement. Dans la paix de la foi, nous pouvons à l’inverse contribuer à l’espérance de tous. »

En chemin vers Pâques, dans la confiance et l’espérance, accueillons l’appel du pape François à nous laisser réconcilier avec Dieu et devenons ce que nous sommes : des enfants de lumière… « Que votre lumière brille aux yeux des hommes, pour qu’en voyant vos bonnes actions ils rendent gloire à votre Père qui est dans les cieux. » (Mt 5, 16)

P. Clamens