« Père très Saint, avec Saint François d’Assise nous te supplions.
Au nom de Jésus-Christ donne-nous ton Esprit.
Répands-Le sur tous les hommes, toutes les femmes, et tous les enfants,
Sur la Création toute entière.
Qu’Il chasse la pandémie et restaure les corps et les cœurs.
Nous te le demandons à Toi qui vis pour les siècles des siècles. »
Prière composée par fr Michel Laloux, ministre provincial, en cette période de pandémie.
Cette réflexion se fera, sœurs et frères, tout en continuant l’appel à la prière.
La joie
Peut-on être triste et affirmer en même temps que nous sommes franciscains ?
Comme la minorité, la joie est constitutive de notre spiritualité.
Mais de quelle joie parlons-nous ?
Je laisse pour commencer la parole à des sœurs et des frères pour témoigner de leurs expériences.
frère Joseph (assistant régional)
Après l’annonce du confinement le 15 mars; la première semaine a été très difficile, très angoissée et la peur de la maladie, de mourir, peur de l’inconnu, de perdre pieds et de ne plus rien maitriser m’envahissait. 😪
Je regardais sans cesse les nouvelles sur l’évolution du virus et J’ai fini par lâcher prise!!!!!
Mes joies sont simples. La première est d’avoir remonté la pente et de donner du sens au quotidien, cela reste quand même un travail de chaque instant….
Les appels donnés ou reçus par la famille, on se rend compte dans ces moments là que le lien et l’affection sont bien présents. Les échanges sont simples et vrais ou chacun se livre davantage.
L’attention que l’on se donne entre voisins est rassurante, on n’est pas seul. Je retrouve le plaisir du jardinage avec une voisine. L’envie de mettre des fleurs,🌻 de la couleur….Profiter du soleil ☀️
Les applaudissements le soir à 20H créent des liens, échange de livres avec une voisine. Une enfant de 3ans qui tous les soirs me souhaite « bonne nuit »; pour elle c’est devenu un rite avant le coucher. Si je continue à aller à ma fenêtre tous les soirs, c’est bien pour elle.
Cette semaine, j’ai repris mes activités au resto du cœur, plaisir de retrouver les autres bénévoles et les familles.
Avec les précautions prises, la tâche est plus compliquée et demande un gros travail de préparation.
Les bénéficiaires sont de plus en plus nombreux.
Les verbes, Ecouter, Regarder, Echanger, Prendre soin, Faire ensemble ont été source de joie pour moi.
Quelle est ma joie aujourd’hui, alors que des milliers de personnes meurent chaque jour dans le monde de ce méchant virus qui nous met pare terre ? Alors que le confinement, mesure de protection indispensable, coupe les liens charnels entre les personnes et aggravent les solitudes déjà lourdes à l’état ordinaire de la vie, avec tous les drames à venir qui se profilent avec des angoisses qui émergent déjà.
Chaque jour, même quand mes vieux os se font douloureux au réveil, une indicible paix et tranquillité qui vient de très loin me font sourire à la vie de ce jour nouveau.
Je regarde le ciel bleu de ma fenêtre, j’entends les oiseaux chanter plus qu’à l’ordinaire, je contemple la nature qui s’éveille en ce printemps pas comme les autres et cela me réjouit. J’écoute la vie qui vient des habitants du voisinage et de la cour, et j’aime ces signes de vie. Le téléphone sonne et mes enfants ou amis sont là pour prendre ou donner des nouvelles ; les réseaux sociaux me permettent aussi de rester en contact de visu avec eux.
J’entends à la radio des nouvelles réjouissantes de solidarités qui se mettent spontanément en place, du personnel médical ou soignant à la retraite qui reprennent du service, et des bénévoles qui se mettent au service de leurs concitoyens en difficulté de tout genre.
Comment ne pas rendre grâce pour cette présence et sollicitude bienveillante ? Je sais que le Seigneur est présent en chacun de nous et nous inonde de son amour inlassablement. Il est la source de toute cette bienveillance et générosité.
Alors oui, même dans ce monde en crise, j’ai une joie profonde au fond de mon cœur, qui me fait chanter un refrain de John Littleton que j’ai chanté il y a bien longtemps :
« J’ai envie de chanter car mon cœur est heureux
J’ai envie de chanter mon Dieu
J’ai envie de te dire la joie dans mon cœur
Et de chanter pour toi Seigneur
Le bonheur qui m’étreint
Est si grand aujourd’hui
J’ai envie de te dire merci
Dans la clarté du jour
Tu m’as pris par la main
Et je chante tout au long du chemin »
La France entière est confinée. Malheureusement, une fois encore, il y a ceux qui tirent leur épingle du jeu mieux que les autres. Je pense aux familles qui vivent entre quatre murs, avec trop de monde dans la maison et sans jardin. Moi, j’ai la joie d’être dans la campagne profonde et de pouvoir me promener quand je veux, sans attestation de déplacement. En ouvrant la porte de la salle à manger tôt le matin, je goûte le concert des oiseaux dans la forêt, qu’une jolie brume enveloppe. Comme chaque année, je reste sidérée du miracle du printemps, qui fait advenir en quelques semaines une ramure verdoyante, en lieu et place d’un désert gris. Ce renouveau est le signe que Dieu donne chaque fois avec largesse, sans se soucier de nos mérites et qu’il aime à recommencer ce don sans se lasser. Comme une nouvelle chance éternellement offerte. Alors bien sûr, cette joie sensible, immédiate, ne dure pas. Les préoccupations du jour, les inévitables frottements de la vie commune, même dans un cadre idyllique, ont raison d’elle. Cent fois par jour peut-être. Quand mon cœur s’agace, s’enflamme, qu’il se remplit d’un reproche intérieur ou formulé, la tristesse vient en général tout de suite après. Il y a alors ce fameux choix. Rester dans la mort ou revenir à la vie. Qu’il coûte, ce choix ! Mais quand on choisit d’aller chercher auprès de Dieu, au fond de nous, le pardon à soi-même et à l’autre et la force de l’exprimer à demi-mots ou par un geste, la joie revient, plus profonde et libératrice. Celle de la communion et de la paix intérieure retrouvée. Dans le confinement de notre cœur, c’est la plus grande bataille qui se joue, la seule qui compte en fait. Et qu’elle a de prix, cette joie-là, qu’il faut reconquérir sans cesse ! Alors bien sûr, nous savons qu’en ligne de mire, il y a encore mieux. Il y a cette joie dont parle François à ses frères, qui nous évite même de passer par la phase de la colère et du découragement. Cette joie parfaite, qui nous fait supporter patiemment et avec allégresse les vicissitudes et les injustices de la vie, en pensant aux souffrances du Christ béni. Il faut sans doute une vie entière pour y parvenir. Mais quel but désirable !
Parler de la joie ? Membre d’une fraternité franciscaine séculière, attiré et inspiré par la manière de François d’Assise de vivre l’évangile de Jésus, mon Seigneur, devrais-je être en joie parce qu’il a décrit ce qu’est pour lui la joie parfaite ? Certainement pas ! Que Dieu nous garde d’être des clones insipides du saint d’Assise. D’ailleurs, comme le relate si bien Eloi Leclerc dans « Sagesse d’un pauvre », François d’Assise a parfois été loin de vivre cette joie parfaite au cours de son existence. Alors, suis-je moi-même joyeux ? Mais, est-ce à moi de répondre ou bien les autres peuvent-ils constater que je le suis, ou ne le suis pas ?
En évoquant la joie, il me vient à l’esprit l’idée de légèreté. Non pas insouciance, mais légèreté qui s’oppose à ce qui est pesant, plombant, lourd, grave, à ce qui nous attache aux choses matérielles (d’ailleurs, la gravité – la force gravitationnelle – nous ramène toujours à la terre). Mais je peux expérimenter que cet apprentissage, lent et difficile, du détachement par rapport aux choses matérielles rend libre pour se réjouir de ce qui se fait de beau et de bon pour et par les autres. Se réjouir de voir la croissance d’un petit enfant dans sa découverte de la vie, des découvertes scientifiques qui conduisent à une plus grande compréhension du monde, du geste gratuit, de l’engagement – professionnel ou bénévole – dans un esprit de service des autres, pour la paix et la justice.
Cette joie-là est une joie intérieure, discrète, qui repose sur la confiance. Confiance en cet Autre, si mystérieux et pourtant si proche, au plus intime de moi-même, et vers lequel je ne cesse d’être en quête. C’est une joie qui me relie aux autres, les proches et les moins proches, car je prends de plus en plus conscience que nous sommes fondamentalement des êtres de relation et que la vie est relation. Elle nous mène à vibrer en résonance avec les joies et les épreuves que vivent nos frères et nos sœurs.
Alors, cette joie-là transparaît-elle pour les autres ? Je ne sais pas. Peut-être sous la forme d’un certain humour qui ne se prend pas trop au sérieux et qui est une manière pudique de dire aux autres qu’on les aime. J’espère pouvoir être dans cette disposition de joie confiante si, demain, frère coronavirus me désigne comme le prochain invité à louer le Seigneur pour notre sœur la mort corporelle.