Archives de catégorie : Edito

Edito mars

Le 1700e anniversaire du Symbole de Nicée (325)

C’est un événement considérable pour l’Église d’aujourd’hui, nous expliquons pourquoi.

Qu’est-ce qu’un symbole de foi ? C’est une formule destinée à exposer en résumé l’essentiel de ce qu’il faut croire pour être considéré comme chrétien. La nécessité du symbole remonte à l’origine même de l’église chrétienne : des petites communautés de croyants rassemblés à partir de la prédication et de l’initiative d’un apôtre ou d’un de leurs disciples, répandues à travers tout le monde antique, surtout le monde gréco-romain, mais bientôt asiatique, africain et européen ; Ces communautés étaient environnées de païens dont il importait de se distinguer. Quand un baptisé voyageait et se présentait dans une autre communauté chrétienne, il était nécessaire de le reconnaitre, alors que des divergences doctrinales avaient déjà vu le jour (gnostiques, docètes, subordinatianistes etc…).

Chacune des communautés avait sa formule propre pour dire : « Dieu-Créateur, son Fils unique Jésus-Christ, sauveur des hommes par son incarnation, sa passion et sa résurrection. L’Esprit-saint qui unifie les croyants dans une unique église qui transmet la rémission des péchés, la sanctification et la foi en la vie éternelle. » Ces formules échangées entre les communautés chrétiennes s’étaient ajustées progressivement les unes aux autres pour être intégrées dans la catéchèse et la liturgie baptismale.

Au début du IVe s. Arius un prêtre d’Alexandrie, célèbre prédicateur et instruit de la philosophie grecque rechercha une expression plus compréhensible, selon lui, pour parler de l’Incarnation du Christ. Il enseignait que Jésus, Fils de Dieu, avait été créé avant les autres créatures, comme intermédiaire entre Dieu et ses créatures, il n’était donc pas lui-même Dieu au même titre que le Père, mais seulement associé au divin, de par son origine. En raison de son succès oratoire, cette explication séduisit un grand nombre de chrétiens d’Alexandrie, puis de là, des chrétiens d’autres églises asiatiques. Des discussions et des querelles s’ensuivirent au point d’inquiéter l’empereur Constantin nouvellement converti, mais non encore baptisé. Il souhaitait l’apaisement et l’unité de la communauté chrétienne, à travers son empire. Il convoqua donc une assemblée des évêques, en 325, pour formuler une expression commune de la foi chrétienne. Le nombre des évêques présents, selon les diverses sources varie entre 230 et 318. Malgré d’intenses disputes, le diacre Athanase, soutien de l’évêque Alexandre d’Alexandrie qui avait condamné Arius, parvint à faire admettre sa profession de foi par l’ensemble des évêques, sauf deux qui quittèrent l’assemblée. Ce fut le premier Concile œcuménique, dont le symbole servit de matrice aux symboles publiés par les conciles suivants. A partir du 5e siècle, après apaisement des querelles, il devint le symbole officiel de la liturgie chrétienne, surtout baptismale.

Portée œcuménique
Et il demeure, jusqu’aujourd’hui la référence essentielle des églises chrétiennes, comme pour le Conseil œcuménique des églises chrétiennes, fondé en 1948 qui rassemble plus de 300 communautés ecclésiales et a comme critère d’appartenance : « l’Église professe la foi dans le Dieu trinitaire selon les Écritures, et telle que cette foi est reflétée dans le Symbole de Nicée-Constantinople. » C’est dire sa portée œcuménique, car toute tentative de rencontre pour un retour à l’unité chrétienne, part de cette formule de foi.

La Fédération protestante de France et l’église grecque orthodoxe dans son ensemble se réfèrent donc à ce symbole ; avec cependant deux restrictions : La traduction française « catholique » du mot grec « Katholicos » qui signifie bien « universel », mais qui a le tort à leurs yeux de faire référence privilégiée à l’église romaine ; et l’expression « Filioque » ajoutée au IXe siècle au symbole de Nicée-Constantinople, sur une initiative de Charlemagne qui légiféra en liturgie pour l’ensemble de son empire. C’est le lieu d’un débat encore actuel entre les églises d’Occident et les églises d’Orient.

Actualité du symbole de foi.
Dans la société contemporaine fortement sécularisée, où beaucoup de chrétiens se contentent d’une expression approximative de leur foi et n’hésitent pas à se forger, pour chacun, sa propre conception doctrinale, il est important de se référer à une valeur sûre, une formule qui remonte à l’origine de l’Église, professée par l’ensemble des chrétiens qui se reconnaissent dans cette profession de foi. Pour la catéchèse d’aujourd’hui, il est urgent d’exposer et d’expliquer cette base catéchétique que nous avons accueillie lors de notre baptême et qui nous permet, dans notre prière de nous approcher avec sûreté du vrai Dieu, vivant et vrai, Père Fils Esprit Saint, auteur de la création et du salut de tous les hommes, manifesté et réalisé en son Fils Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme qui nous promet la vie éternelle en communion avec Dieu et avec l’humanité sauvée.

N-B. Pourquoi le retour à l’expression « consubstantiel au Père »

Il est vrai que c’est un mot difficile. Une première traduction qui a eu cours pour les pays francophones, entre le Concile Vatican II et 2019, semblait écarter cette difficulté en proposant « de même nature que le Père ». Mais cette traduction entraînait une ambiguïté, car elle exprimait bien le caractère divin du Christ, mais pouvait être comprise comme s’appliquant à deux êtres différents, de même que Pierre et Jacques sont possesseurs de la même nature humaine, mais sont deux individus différents. On a donc préféré revenir au texte d’origine… qui cependant suppose une catéchèse pour chaque génération.

F. Luc Mathieu, ofm
Paris 2025

Edito de février

Le courage de la douceur Abhorrons-nous le conflit ou le jugeons-nous inévitable et nécessaire dans nos relations humaines ? L’affrontons-nous ou le fuyons-nous lorsqu’il survient ?

Quoique notre culture judéo-chrétienne affirme l’incompatibilité entre foi et violence, elle n’est pas sans exalter aussi la lutte, l’effort voire l’affrontement. « Dans la Bible, écrit la sociologue Hesna Caillau, les prophètes juifs apparaissent comme des lutteurs, et n’esquivent pas la confrontation publique. Moïse affronte le Pharaon, le menace de châtiments terribles ; Jésus traite les pharisiens de “sépulcres blanchis”, de ”race de vipères, chasse les marchands du temple, prédit sa destruction… Il en résulte que pour nous la vie est un combat, une lutte permanente, qu’il nous faut vaincre la nature, mais aussi forcer sa nature. »

On peut ne pas être d’accord avec ce point de vue, mais il rejoint incontestablement une adhérence culturelle occidentale qui vient de loin, d’Héraclite par exemple, qui tenait le conflit pour le « père de toute chose ». Ainsi, persuadés comme Hanna Arendt qu’« une société sans conflits serait une société totalitaire », beaucoup d’entre nous, dans leurs échanges interpersonnels ou au cours de réunions, se plaisent à provoquer, batailler, titiller, pour que d’un désaccord naisse du constructif. En soi, un désaccord n’est pas forcément mauvais, mais c’est la manière de le traiter qui peut poser problème. Si l’écoute et le respect sont présents, le conflit peut, certes, faire avancer. A condition qu’il n’y ait pas de volonté de domination, et c’est bien cela — la domination — que François d’Assise nous supplie d’éviter.

Que nous dit le saint ? Qu’avant de monter au créneau, il nous faut écouter, essayer de comprendre la situation dans laquelle se trouvent ceux dont le comportement nous étonne ou nous choque ; considérer l’autre — le loup de Gubbio, les brigands, les lépreux, le sultan… — comme un frère ; célébrer la diversité comme une chance — les milles facettes du « frère parfait » — ; tenir tout homme pour une « histoire sacrée ».

Lorsque, venu soit pour convertir, soit pour gagner le martyre, le Poverello, rencontre le sultan à Damiette, les choses ne se passent pas du tout comme il l’avait prévu. Au cours de cette rencontre historique, chacun se révèle disposé au dialogue bien davantage peut-être qu’il ne l’imaginait lui-même et remet en cause les idées reçues qu’il se faisait de l’autre et de sa religion. Les préjugés mutuels tombent, l’amitié et l’estime croissent comme simple résultat d’une écoute mutuelle. La visite au sultan, et les quelques jours passés avec lui sont un étonnant exemple de démarche faite de respect, d’écoute et de courage dans le dialogue, sans qu’aucun n’abdique ses propres convictions. François a le courage de la douceur, là où, presque simultanément, les cinq martyrs franciscains partis convertir les musulmans par l’anathème et l’insulte, ont eu le pseudo courage de l’invective.

À méditer pour nous qui, si souvent, nous pensons courageux en maniant les effets de manche en réunion, en multipliant les bravades, ou en ne manquant pas une occasion de dire à l’autre l’inconvenance de sa conduite. La correction fraternelle est certes une saine pratique dans nos communautés, mais ne convient-il pas toujours de se demander si elle est opportune et surtout utile ? Si, en disant à l’autre ses quatre vérités, nous le faisons parce que nous pensons que cela lui sera profitable, ou simplement, pour alléger notre conscience, pour être « courageux », sans que cela aboutisse à autre chose qu’envenimer la situation ? Comment pouvons-nous, à la suite de François, être des artisans de paix, des « pèlerins d’espérance » en cette année jubilaire ?

Comité de rédaction

Edito de janvier

Vivre simplement pour que simplement chacun puisse vivre

Les chiffres sont effrayants : 9 millions de personnes vivent aujourd’hui en France sous le seuil de pauvreté selon certaines associations, 5 millions selon d’autres, peu importe, c’est trop, beaucoup trop. Dans son rapport 2024, le Secours Catholique, pointe une pauvreté croissante, multiple et complexe, alerte sur la dégradation du niveau de vie des plus pauvres et constate la difficulté à accéder à la protection sociale face à la dématérialisation des démarches administratives. Comment fait-on lorsque l’on ne maîtrise pas Internet ou quand on n’y a même pas accès ? Cela s’appelle l’exclusion.

Récemment, un Français a acheté pour 115 000 euros une banane scotchée au mur avec un ruban adhésif gris à la Foire d’art contemporain de Miami ; une grande marque de luxe commercialise actuellement des « sneakers » (sorte de baskets) salies, usées et déchirées pour plus de 1000 euros, et un « destroyed denim jean », pantalon déchiré de part en part aux couleurs de désespoir est proposé par la même marque pour 3 568,98 euros (sic) ; quant à ces fameuses Rolex dont un publicitaire disait naguère qu’un cinquantenaire qui n’en avait pas encore acquis une avait raté sa vie, la gamme s’étend de quelques milliers à quelques centaines de milliers d’euros. N’en jetez plus !

Entre le scandale de l’exclusion sociale et celui des fortunes outrageantes, nous voici au défi de nous situer et d’agir en laïcs franciscains qui n’ignorent pas le chapitre II de la Deuxième Règle du Poverello d’Assise : « Et que tous les frères soient vêtus de vêtements vils et puissent les rapiécer de sacs et d’autres pièces, avec la bénédiction de Dieu. Et je les avertis et je les exhorte à ne mépriser ni juger les hommes qu’ils voient vêtus de vêtements raffinés et colorés, user d’aliments et de boissons délicats, mais plutôt que chacun se juge et se méprise soi-même. » 

Vertigineux ! Ne pas juger, ne pas rejeter les fautes sur les uns, ne pas tout attendre des autres, mais nous convertir, nous, tout simplement (si l’on peut dire) ! Et rentrer dans une démarche de sobriété partageuse : nous considérer comme gestionnaires et non propriétaires de nos biens ; ne pas perdre la paix de l’âme en donnant trop aux associations ; faire la différence entre besoins et caprices ; accueillir ; protéger nos frères et la Création ; et en résumé vivre simplement pour que simplement chacun puisse vivre[1].  Cette dernière formule, règle d’or du partage, nous rappelle que, comme consommateurs, nous pouvons facilement être des prédateurs. Nous pouvons en effet accroitre la pauvreté par notre oubli des conditions de travail et de rémunération de ceux qui fabriquent nos vêtements ou l’exploitation des enfants dans les mines africaines d’où sont extraits les métaux indispensables à nos (indispensables ?) smartphones. Nulle morale dans ces propos. Notre sobriété peut nous rendre libres, simples, et heureux.

Bien entendu, notre comportement individuel, s’il nous permet de soulager notre conscience (après tout ce n’est pas peccamineux), ne suffit pas. En tant que chrétiens, nous avons aussi un rôle, par nos engagements, nos démarches, nos bulletins de vote, pour tenter d’infléchir les politiques publiques dans le sens du bien commun. Sans juger (refusant ainsi la facilité du « tous pourris ») mais sans nous endormir non plus au cours de l’année qui s’ouvre.

Comité de rédaction


[1] Cette belle formule est empruntée au livre-manifeste des chrétiens du diocèse de Nantes Pour un engagement écologique : simplicité et justice, Parole et Silence, 2014.

Edito Décembre

La prière franciscaine

François d’Assise apparut à ses contemporains comme un homme de prière : « La prière-faite-homme », dira l’un de ses biographes. Sa prière est louange gratuite et action de grâce, tout du moins sa prière exprimée, car la prière d’adoration, gratuite par essence, est silencieuse, et quand elle atteint vraiment son objet : proprement ineffable. Si la prière est notre relation consciente à Dieu, alors la prière « gratuite » est notre seule vraie prière, ou plus exactement la perfection de notre prière.

Tant que nous sommes empêtrés de nous-mêmes, de nos besoins, de nos désirs, de nos soucis… nous sommes à notre place de créatures totalement dépendantes. En affirmant cette dépendance par la manifestation de nos désirs, nous voudrions que les actions divines s’y conforment. Notre prière est alors intéressée. Mais quand nous contemplons Dieu en lui-même, découvrant son amour « qui ne veut et ne fait que le Bien » dans l’acte par lequel, éternellement, il aime et engendre son Fils, nous percevons que le Père nous aime éternellement dans son Fils en qui il a aimé et voulu tous les êtres, et dans son Esprit, le Don suprême. Alors nous découvrons admiratifs que toute l’histoire du Salut est exprimée dans l’Incarnation de son Fils et nous ne pouvons que soupirer avec François : « Qui es-tu Seigneur, et qui suis-je ?…» Cette expérience spirituelle nous renvoie vers le monde que nous contemplons avec un regard purifié, elle sollicite de nous une compréhension et une action nouvelles envers les créatures éternellement aimées de Dieu qu’il nous propose comme des dons. À commencer par nous-mêmes, notre propre existence, notre propre histoire à l’intérieur de l’histoire des hommes. L’esprit évangélique, l’esprit d’enfance qu’il faut pour entrer dans le Royaume, c’est aussi s’aimer soi-même par amour pour Dieu et s’émerveiller de ce premier don. La prière nous pousse à une bienveillance et une admiration fondamentales pour tout ce qui nous est donné par Dieu, qu’il nous faut respecter, partager gratuitement et dans l’action de grâce. La prière de gratuité s’adresse à Dieu, elle attend de lui seul ce qu’il lui plaira de donner. En ce sens, la prière de demande peut être une prière de gratuité, pourvu que l’on soit toujours disposé à recevoir son Esprit-Saint qui seul, comme le dit Paul, « sait prier comme il faut », c’est-à-dire selon le vouloir de Dieu. Parfaite illustration de cet enseignement, François d’Assise nous a légué la très belle Oraison qui clôt sa lettre à tout l’Ordre : « Dieu tout-puissant, éternel, juste et bon, par nous-mêmes nous ne sommes que pauvreté ; mais toi, à cause de toi même, donne-nous toujours de faire ce que nous savons que tu veux, et de vouloir toujours ce qui te plaît ; ainsi nous deviendrons capables, intérieurement purifiés, illuminés et embrasés par le feu du Saint- Esprit, de suivre les traces de ton Fils notre Seigneur Jésus-Christ, et, par ta seule grâce, de parvenir jusqu’à toi, Très-Haut, qui en Trinité parfaite et très simple unité, vis et règnes et reçois toute gloire, Dieu tout puissant dans tous les siècles des siècles. Amen ».

La prière gratuite est christique, filiale, spontanée, constante, libre, sans complication ni méthode, car elle se laisse guider par l’Esprit Saint. Humble, elle se sait émaner d’un pécheur qui ayant tout reçu ne saurait rien revendiquer. Admirative, confiante, elle est prête à tous les recommencements. C’est le sens de l’invocation à la prière du Christ et de l’Esprit, dans la grande action de grâce de la première Règle : « Indigents et pécheurs que nous sommes tous, nous ne sommes pas dignes de te nommer ; accepte donc, nous t’en prions, que Notre Seigneur Jésus-Christ, ton Fils bien-aimé en qui tu te complais, avec le Saint-Esprit Paraclet, te rende grâce lui-même pour tout, comme il te plaît et comme il lui plaît, lui qui toujours te suffit en tout, lui par qui tu as tant fait pour nous. Alleluia ! » (1R 23, 5)

Fr. Luc Mathieu, ofm

Les « Béatitudes »

La liturgie catholique, pour la fête de la Toussaint, nous invite à redécouvrir le texte des Béatitudes.
Que signifient-elles dans notre présent, profondément habités que nous sommes par la quête du bonheur ? Comment les comprenons-nous ? En terre d’Israël, les Béatitudes, c’est une montagne et au cœur de nos existences, c’est un projet.

Mon but n’est pas de vous faire rêver mais, malgré les débordements du mal, de faire porter vos regards sur la vie espérée et sauvée pour tant d’individus et de groupes de notre société. Malgré les tensions qui blessent et qui tuent, les yeux sont éblouis et le cœur touché par tant de gestes d’amour que la vie porte autour de nous. Le Bien chimiquement pur n’existe pas sur la Terre, dans le réel que nous connaissons. Le mal et le Bien se partagent le monde où combattent et se manifestent à la fois la réalité dévastatrice de l’un et la force constructive de l’autre, l’énergie spirituelle qui inspire et soutient les accompagnants, les aidants, les bénévoles… tous d’une magnifique exemplarité, dans tous les domaines. Nous ne pouvons certes ignorer le mal, si bruyant, si écrasant, mais nous pouvons encore moins le laisser étouffer la voix du Bien, le murmure de son eau vivifiante qui pénètre toute chose de sa douce puissance pour lui donner réalité et vie. La salutation franciscaine « Paix et Bien » est pour nous une parole créatrice qui stimule et réconforte, un souhait étendu à tous, à commencer par ceux qui sont maltraités, c’est-à-dire victimes de telle ou telle atteinte du mal. « Paix et Bien » est une expression concentrée de l’Amour qu’est Dieu, transmis dans l’Évangile. Nous croyons à la source heureuse de la Vie qui, par la création, féconde le Bien. L’Esprit nous inspire pour développer et sauver le Bien. Mais ce n’est pas magique, car il faut y œuvrer, et compter avec l’incontournable facteur du « temps » pour mettre la création en bon ordre. Le synode en est une illustration. Comme dans la société, le mûrissement, la patience, la négociation sont autant de mouvements qui accompagnent celui de la vie.

Bien avant nous, Jésus a pris dans sa vie terrestre le risque d’une vie donnée, cela dans une période elle aussi difficile. L’histoire de l’humanité dépasse nos histoires personnelles car nous sommes témoins et messagers d’une vision positive du monde. Au-delà de la montagne en terre d’Israël, les Béatitudes sont notre horizon, notre avenir. Dès maintenant, il nous est possible de reconnaître ce projet et d’en faire le guide de nos existences. Des étincelles de bonheur scintillent çà et là et c’est déjà le bonheur en Dieu.

« Paix et Bien »
Fr. Thierry autour de la fête de Toussaint 2024

EDITO OCTOBRE

N’ayons pas peur

La mondialisation qui suivit l’écroulement du bloc soviétique nous fut présentée comme l’aube d’une ère de paix garantie par les grandes démocraties occidentales — les USA triomphants et leur alliée déférente, l’Europe unie alors en pleine extension — assortissant leur promesse pacifique de celle d’une abondance pour tous les peuples à laquelle pourvoirait le libre marché mondial. Force est de constater après trente-cinq ans de globalisation menée tambour battant qu’il n’en fut rien, qu’au contraire, localement comme internationalement, injustices et inégalités se sont notoirement accentuées, les conflits se sont intensifiés et multipliés, et les grandes puissances toutes désormais acquises aux dogmes du profit capitaliste s’affrontent de plus belle pour la suprématie impérialiste. Elles ne peuvent le faire directement sans risquer un embrasement qui signerait la fin du monde — et pire encore : la fin des affaires. Elles s’y livrent donc en jouant avec le feu sur le terrain de conflits régionaux, certes dévastateurs, mais circonscrits, où de plus faibles s’entretuent par millions en pensant défendre des causes qu’ils jugent nobles quand, tout bien pesé, le ressort déterminant d’une telle multiplication de violence et d’horreurs est la prédation ultra-libérale des plus forts en concurrence pour la domination du monde : USA décadents qui s’obstinent à croire encore à leur hégémonie, Europe suiveuse qui s’essouffle dans sa course à l’échalote, Chine et Russie en tête de gondole de ce qu’on appelle « le Sud global », qu’il serait plus franc de nommer « pays de Cocagne du bon temps des colonies ». Si l’on veut bien y songer un moment loin de la propagande servie par les médias qui pousse à choisir un camp avec sa logique absurde, partiale et mensongère de bons et de méchants, rien n’empêcherait ces mêmes grands pays d’employer leur puissance opulente à éteindre les conflits plutôt qu’à les alimenter en armes, en tactiques et au besoin en prétextes, voire à les provoquer avec des alibis humanitaires et démocratiques indécents. On découvrirait alors deux choses : une, que les bombes ne tombent jamais là où il n’y a pas de pouvoir à prendre et de pactole à ramasser ; deux, puisque les massacres lointains nous émeuvent si moindrement : que nous aussi, spectateurs qui applaudissons ou déplorons derrière nos téléviseurs, nous ne sommes pas à l’abri d’être appelés à tuer et à nous faire tuer, pour peu que ceux qui de haut nous gouvernent jugeraient opportun que la guerre les confirme dans leur domination vorace.

Ce tableau peut paraître simpliste ; en effet, beaucoup de paramètres interviennent dans l’actuelle situation globalement explosive : réchauffement climatique, surpopulation, héritage colonial, corruption locale, épuisement des ressources… et chaque situation particulière a ses spécificités et sa complexité. Pourtant, afin d’agir en bienheureux artisans de paix, il nous faut identifier les causes profondes de la guerre dans leur grande et tragique simplicité uniforme : la convoitise et la domination insatiables qui engendrent injustice et violence. Il nous faut les identifier en nous, fils de Caïn, tant ces penchants que Satan flatta en vain pour tenter Jésus au désert sont terriblement humains, et rendre la charité plus forte en nous afin de nous en guérir par l’amour du prochain, ami comme ennemi, car il n’y a aucun mérite à aimer ceux qui nous aiment (Marc 5:46). Il nous faut également et indispensablement les identifier dans la société afin de l’en guérir par le partage équitable et la juste exploitation raisonnée des richesses naturelles que la création met à notre disposition commune, et par le respect indissociable, égal et absolu de toute vie de la naissance à la mort. Rappelons-nous le Psaume 84 : « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent. » Le combat pour la paix, d’une âpreté et d’une difficulté infinies, est celui du bien contre le mal, dans lequel le bien s’interdit par nature et par choix d’utiliser les mêmes armes de violence, de mensonge, de domination et d’injustice. Il commence par la recherche obstinée de la vérité en son âme et conscience et se poursuit par l’écoute, le dialogue, la compréhension de la souffrance de l’autre, tel François avec le loup de Gubbio ou avec le Sultan à Damiette alors que deux armées se font face. Il demande un courage extraordinaire pour ne pas fuir comme pour ne pas laisser la peur nous convaincre que la violence est le seul recours, pour rendre à César ce qui est à César — une ridicule effigie sur un rond de métal — et contribuer au seul trésor qui est dans les cieux. « Si quelqu’un te frappe sur une joue, tends-lui aussi l’autre joue » (Luc 6:29) ; au contraire d’une injonction à la soumission, ce conseil est une exhortation à ce que le mal déteste à en mourir : qu’on lui tourne le dos pour avancer résolument vers la vérité qui est Paix et Bien.

Le comité de rédaction

Edito Septembre

Un peu de décence, bon Dieu !

Les mœurs sexuelles semblent avoir beaucoup évolué depuis la Seconde Guerre mon-diale, avec une nette accélération au décours des Trente glorieuses (1968), suivie d’un plateau de confusion inquiète lié à l’épidémie de sida et d’une nouvelle et forte accélération dans ces deux dernières décennies, de l’instauration du PACS (1999) à celle du mariage homosexuel (2013) avec l’intensification des pratiques de procréation assistée qui s’ensuivit, tandis que l’on ob-serve conjointement la tendance d’une partie tapageuse du féminisme français à s’inspirer de l’agressivité obtuse de son homologue anglo-saxon, traditionnellement puritain, marqué par le wokisme « déconstructeur », la judiciarisation et la médiatisation à outrance (Me too, 2017).

Mais les mœurs ont-elles tant évolué que cela, ou s’agit-il d’autre chose ? La question est légitime, car notre époque n’a pas inventé l’amour — qu’on se le dise — ni aucune de ses formes. Pour peu que l’on cesse de s’imaginer à la pointe ultime d’une évolution à laquelle au-raient enfin abouti des millénaires de bestialité patriarcale, on voit qu’aucune des structures, des pratiques, des orientations, des paraphilies, des perversions sexuelles ne nous attendit pour exister. Nous avons pourtant l’absurde prétention anthropologique de croire que la sexualité, dans un sursaut évolutif de nos seules générations, se serait enfin affranchie du carcan des lois naturelles, de la religion, de l’ignorance de l’anatomie féminine, et pour finir de la distinction des genres. Il faut certes affirmer que la criminalisation de l’homosexualité était inadmissible, que les nouvelles possibilités de contraception étaient bienvenues, que le viol devait être sévèrement réprimé… Mais ces avancées sont très relatives car elles étaient déjà souhaitées ou effectives depuis des millénaires, et ne résultent dans leur effectivité nouvelle, bien sûr non-négligeable, que du secours de la science et du droit. On ne peut donc à leur sujet parler de « libération sexuelle » comme on l’entend couramment : ni prescriptions ni proscriptions n’ont jamais eu d’effet réel et durable sur ce qui se déroulait dans la chambre, l’alcôve ou le foin. Il suffit de feuilleter l’imposant « Manuel de folklore français contemporain » d’Arnold Van Gennep pour se convaincre que nos aïeux n’auraient rien appris de nous. Ce que nous appelons libération n’est tout au plus que l’annulation des traces de l’hypocrite puritanisme bourgeois du XIXè siècle, déjà d’inspiration anglo-saxonne et protestante, avec malheureusement le concours de l’Église. La prétendue révolution sexuelle, théorisée par Wilhelm Reich entre deux guerres dans le cadre d’un « freudo-marxisme » doublement contestable et contesté, n’a donc de réalité que dans le discours. Mais ça n’a rien de rassurant : à notre époque où les classes dominantes ont la mainmise sur les instances politico-médiatiques, le discours a la fâcheuse tendance à se substituer à la réalité. Or, quelle « révolution » voyons-nous se produire : la sortie de la sexualité du périmètre de l’intime où la cantonnait et la protégeait la simple décence ; la dangereuse intrusion de l’État outrepassant son rôle pour statuer sur les mœurs ; l’explosion de la pornographie en tant que telle et inondant par ailleurs la publicité, le cinéma, les clips, etc. de ses représentations hautement nuisibles à l’imaginaire, notamment des enfants ; la proclamation de sa différence sexuelle (tout en revendiquant que cela ne fasse aucune différence) comme premier critère de son affirmation personnelle assorti de l’injonction, au nom de la liberté, qu’il soit entériné par tous sans discussion ; le dévoiement d’un féminisme oublieux qui n’est plus rien dès lors qu’il cesse d’être un humanisme ; l’addition périodique d’une nouvelle entrée au sigle LGBTQIA+, si bien que la sexualité, pourtant seul de nos instincts à nous porter vers l’autre, tendrait à replier l’individu sur sa particularité, de sorte qu’il faudrait bientôt inventer dix milliards de lettres : une par personne.

Les catholiques ont une parole heureuse et salvatrice à prononcer sans crainte sur les sujets de la sexualité. Il est temps de relever la tête, le rapport de la Ciase ne doit pas nous la courber indéfiniment, pas plus que l’intransigeance révolue d’un clergé plus dispensateur de leçons que de pardon. Mais ne succombons pas pour autant aux séductions d’un prétendu progressisme qui se définit lui-même par la négation des vertus éternelles auxquelles nous croyons, au premier rang desquelles la décence est inséparable de la charité. En quoi la décence consiste-t-elle, sinon à s’abstenir d’exposer et d’imposer au public ses inclinations et ses fonctions privées ? Sortir la sexualité du périmètre de l’intime sans aucune symbolisation ni compréhension de sa valeur spirituelle, qui est de manifester l’amour, c’est ruiner les fondements mêmes de la civilisation, c’est fractaliser l’humanité en une poussière d’individus sans avenir. Nous nous y refusons : l’humanité est une ou elle n’est nulle part.

Le comité de rédaction

Edito Juillet & août

Foi et politique

La France a été plongée dans une confusion politique dont on ne sait quand elle se dissipe-ra tant notre démocratie est en souffrance. Il s’avère plus urgent aujourd’hui de réfléchir à la ma-nière utile de vivre ces temps plutôt que de se jeter dans un débat certes indispensable, mais qui en l’état actuel suscite des emportements néfastes, tous imputables à la tentation du pouvoir dont l’Évangile nous renseigne sur l’inspiration diabolique et l’Histoire sur ses conséquences calami-teuses. Prendre du recul n’est en rien se mettre en retrait : « Même si en nous l’homme extérieur va à sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. » (2 Co 4,16)

Sans juger ici de l’honnêteté ni de la validité des différentes propositions, observons que toutes sont avancées non seulement comme les seules tenables, mais comme les seules protec-trices contre les dangers que comportent les propositions concurrentes. Quelle qu’en soit l’orientation idéologique, l’accent est mis sur la défense : de la nation ; du libre marché ; des droits sociaux ; de la femme ; de la nature… et des différentes conceptions de la démocratie attingentes à ces choix. Ainsi le discours politico-médiatique représente-t-il le monde clivé en plusieurs ordres irréconciliables alors qu’il est un dans sa réalité, celle vécue par les citoyens que l’artificialité de ces antagonismes livre au désarroi. De là, et d’une pratique dévoyée de la démocratie, résulte que la plupart se positionnent par défaut contre ce qu’ils estiment être la plus dangereuse des proposi-tions, et qu’un nombre croissant d’autres ne se prononcent plus du tout. Pour les y inciter, la parole publique appuie là encore sur le ressort de la peur, et secondairement sur celui de l’espoir. Mais qu’est-ce que l’espoir sinon le sourire de la peur : une même attente éperdue où s’étiole l’attention au présent et s’éteint la conscience, où prospèrent les faux prophètes en terrain conquis, labouré par des médias aux mains des plus riches, aux ordres des dominants. Ajoutons le creusement indécent des inégalités, l’absence ou l’obscurité des perspectives, la déperdition culturelle et — bien qu’un déplorable consensus autour d’un prétendu « progrès sociétal » censure cet aspect — l’égarement moral dans lequel les insistantes initiatives des différents pouvoirs plongent la popula-tion incitée à rompre avec la stabilité immémoriale des piliers de la civilisation : nous obtenons le tableau d’une société en dissolution, à la recherche désespérée de repères, disponible à toutes les aventures autodestructrices : idolâtriques, hédonistes, pornographiques, technologiques, guer-rières… « Justesse éthique et justice sociale vont de pair » rappelait la conférence des évêques de France à la veille des élections présidentielles de 2022. C’est qu’on n’ébranle pas le contrat social sans de graves dommages pas plus qu’on ne transgresse les lois éternelles sans de très lourdes conséquences. Alors, comment pouvons-nous être utiles à cette société comme à nous-mêmes, nous, fidèles qui sommes « dans le monde sans être du monde » ? Avant toute chose, contre la peur, en écoutant la voix de la paix et en la diffusant autour de nous. « Pourquoi avez-vous si peur ? N’avez-vous pas encore la foi ? » (Mc 4,40) nous interroge Jésus dans l’agitation que nous pre-nons pour une tempête. Laissons donc la foi — la confiance — nous guider afin qu’aussitôt nous revienne la lucidité : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Je ne vous la donne pas comme le monde donne. Que votre cœur ne se trouble pas et ne se laisse pas effrayer. » (Jn 14.27). Nous sommes dans le monde sans être de ce monde parce que nous y vivons l’Espérance, « vertu surnaturelle par laquelle nous attendons de Dieu, avec confiance, sa grâce en ce monde et la gloire éternelle dans l’autre », nous dit Charles Péguy, « L’Espérance ne déçoit pas » (Rm 5,5), contrairement à l’espoir qui, par la passivité et l’inévitable déconvenue, mène au désespoir. Com-ment faire résonner l’Espérance dans un monde où nous sommes sans en être ? C’est une ques-tion infiniment plus fine et utile que celles qu’on se pose dans l’isoloir, lequel porte de mieux en mieux son nom.

S’il faut rendre à César ce qui est à César, c’est qu’il n’y a pas de voie directe par laquelle la charité pourrait inspirer la politique, seulement une très délicate discipline de dialectique quoti-dienne. Mais ne nous cachons pas pour autant derrière la croix, aimons ce monde où il nous est donné d’aimer Dieu. Être chrétien et citoyen n’est pas si difficile : il suffit de se rappeler que vote signifie vœu.

Le comité de rédaction

Edito de Juin

Les enjeux olympiques

Paris s’est fait une beauté pour accueillir les épreuves des jeux olympiques dans des instal-lations qui tarderaient encore à voir le jour s’il n’avait pas fallu recevoir les seize millions de visi-teurs et les dix mille cinq cents sportifs attendus. Ils pourront circuler dans des transports publics renchéris mais améliorés pour l’occasion, après quoi athlètes et journalistes réintégreront leurs logements miraculeusement sortis de terre dans une Île de France aux un million trois cent mille mal-logés — ou dans les chambres d’étudiants dont ceux-ci auront été chassés pour la bonne cause — sans que leurs promenades touristiques soient troublées par le spectacle des campe-ments, squats, familles à la rue, migrants, SDF, mendiants… préalablement évacués au cours d’une véritable opération d’épuration sociale. Allons, pas d’états d’âme : il y allait de « l’image de la France ! » que la misère ne gâche pas la fête. Mais que fêtons-nous, au juste : la paix et l’amitié universelles, vraiment ? Ou bien, comme l’affiche la mairie de Paris : ne fêtons-nous pas simple-ment « les jeux » dans une tautologie révélatrice d’un aveuglement sur l’état du monde ?

Les olympiades antiques célébraient, en l’honneur de Zeus, la trêve entre les cités grecques ; les nôtres sont fermées à des pays et accueillantes pour d’autres aux gouvernements pas moins critiquables, selon des critères contestés par beaucoup de nations. L’attribution de leur organisation à telle ou telle, régulièrement entachée de corruption, revient peu ou prou toujours aux mêmes qui en accaparent en outre les médailles, beaucoup d’autres s’en trouvant écartées par l’exigence d’un luxe toujours plus pharaonique et d’un professionnalisme hyper-technologisé et sur-médicalisé des athlètes. Leurs populations faire-valoir en sont réduites à rembourrer l’épais matelas de droits de diffusion, de publicité et de produits dérivés. Voilà de quoi douter de l’affichage d’universalisme et de désintéressement politique et financier de l’olympisme, et de quoi nourrir au contraire le soupçon qu’il affirme la domination des pays riches et de leur « culture », autrement dit celle d’un capitalisme occidental célébrant son triomphe planétaire. Le sport, raison d’être des jeux, finirait par ne sembler que prétexte à cette démonstration de puissance. Mais de quel sport parlons-nous ? Celui que l’on pratique partout de toute antiquité, exercices et jeux grandement bé-néfiques à l’éducation et à l’équilibre du corps et de l’esprit ; ou celui que l’on regarde, grandement rentable pour les gros clubs, les diffuseurs et la gloriole des chefs d’État en place, dont la finalité est l’or, la performance et la victoire à tout prix. Né en même temps que le capitalisme industriel anglo-saxon, il porte la marque de l’élitisme, du colonialisme, de l’âpreté au gain de ceux qui le codifièrent à leur mesure. Cette hérédité se manifeste aujourd’hui au grand jour dans le sport-spectacle devenu industrie, en particulier par le phénomène d’idolâtrie qu’il induit dans les popula-tions subjuguées par des « stars », lesquelles ne se préoccupent pourtant que de leurs tendons, de leurs muscles, de leurs carrières objectivement et parfaitement inutiles au prochain à qui elles prétendent servir de modèles, cependant que les involutions de nos sociétés organisées corps et âme autour du profit — éloignement des bienfaits naturels, sédentarité due au travail et à l’intoxication numérique, délitement du lien social — rendent plus nécessaire que jamais une saine pratique sportive telle que la décrivait Pie XII le 29 juillet 1945 : « Le sport bien compris est une oc-cupation de l’homme tout entier : tandis qu’il perfectionne le corps en tant qu’instrument de l’esprit, il transforme également l’esprit en un instrument plus affiné pour la recherche et pour la transmission de la vérité. Il aide l’homme à réaliser le but auquel doivent être subordonnés tous les autres et qui est le service et les louanges de son Créateur. »

Loin de cet idéal comme de l’amour du prochain, le sport-spectacle excite et incite des populations en mal de repères à se prosterner devant un veau d’or maquillé en pousse-ballon. « Plus vite, plus haut, plus fort » ; à quoi bon si l’on ne sait pas vers quoi et que l’on ne s’en soucie guère ?

Le comité de rédaction

ÉDITO DE MAI

Journalisme et vérité

Les tensions et les conflits qui agitent le monde suscitent curiosité, inquiétude, accrois-sant l’exigence d’une information indépendante et diversifiée, à même de favoriser la compré-hension et la lucidité indispensables à la conscience et à l’action des citoyens. C’est la fonction du journalisme, condition primordiale de la démocratie. Mais si l’on se doit de protéger sans ré-serve son exercice et ses acteurs, n’est-on pas autorisé à s’interroger sur ses conditions in-ternes qui compromettraient sa mission et son honneur ?

Or, il est avéré que les grands moyens de la presse écrite et audio-visuelle sont la pro-priété quasi exclusive d’une dizaine de milliardaires proches des milieux de pouvoir sur lesquels ils influent directement. On ne peut non plus ignorer l’étroitesse des liens entre les journalistes les plus en vue et ces milieux, par promiscuité dans les mêmes catégories sociales, les mêmes ré-seaux, les mêmes lits parfois, si bien que nous voyons des célébrités sauter du journalisme à la politique, et inversement, avec une aussi déconcertante facilité que les ministres rebondissent d’un portefeuille à l’autre. Comment s’étonner dans ces conditions que, comme le montrent tous les sondages, le désintérêt, la méfiance, voire le dégoût s’emparent des Français à l’égard de leur presse, les jetant non sans dangers pour la démocratie dans les bras des réseaux sociaux après qu’ils ont mesuré la distorsion entre une réalité vécue aux premières loges et la manière dont les médias dominants en rendent compte dans leur langage uniforme fait de formules sté-réotypées (crise, grogne, débordements, séquence, récit…) dont la pauvreté ne convient certes pas à décrire la complexité des situations ni encore moins de leurs causes. Ainsi, par exemple, quasiment jamais l’un de ces journalistes-vedettes n’évoquera les massacres de civils palesti-niens perpétrés par l’armée israélienne sans en incriminer celui du 7 octobre, comme rarement il évoquera le sort antérieur des habitants de la bande de Gaza. Bien que les mêmes sentiments d’humanité l’animent également envers les deux camps, l’invité qui s’y aventurera se verra ins-tantanément accusé de soutenir le terrorisme par les parangons de vertu qui tiennent le micro. Nous les voyons, les mêmes, nous instruire en experts à tout propos et en tout domaine : cul-ture, arts, morale, santé, bon goût, bonnes manières… avec l’égale omniscience qui provoque l’exaspération contre laquelle ils se drapent soudain dans leur honneur de journaliste, un honneur pourtant oublié dans l’inlassable mise en scène de faits divers qui flatte les plus bas instincts à des fins d’audience rémunératrice. Il reste cependant, malgré le formatage des écoles, nombre de journalistes courageux et honorables qui le paient souvent de leur carrière, et parfois de leur vie. C’est le journalisme-spectacle qui est critiqué ici, sa complaisance à en faire un vulgaire outil de propagande grimée en vérité des faits. Mais cette « vérité des faits » est une fiction, une es-croquerie, car la vérité n’est pour l’homme qu’un horizon auquel l’honnête raison s’efforce de tendre, comme l’enseignent toute science et toute philosophie, et comme le souligne le futur utili-sé dans l’Évangile de Jean : « … et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous libérera. » (Jn 8,32). Quant aux « faits », aucun ne recèle de vérité en lui-même : il n’est jamais qu’une des appa-rences, à l’instant de son actualité, d’une réalité dont personne ne peut prétendre embrasser toute la profondeur d’espace et de temps, personne que Dieu dans son éternité et son infinité. La Bible est pleine de « faits » dénoncés par les prophètes qui, inspirés par Dieu, lisaient le pré-sent (l’actualité) et non l’avenir : le petit Daniel (Da, 13) qui sauva Suzanne des accusations des deux vieillards ; et que dire de l’aveugle-né (Jn, 9), du « fait » de sa cécité que croyaient connaître les disciples, de l’épaisse mauvaise foi des Pharisiens, de la réponse de Jésus qui vaut encore pour les propagandistes hypocrites : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais vous dites : Nous voyons ! Votre péché demeure. » Que dire enfin du silence de Joseph devant le « fait » de la grossesse de Marie ? Que l’homme juste reconnaît sa subjectivité et la tait pour écouter la voix de l’Esprit où la Vérité se donne à entendre.

Alors quoi, la vérité est-elle à notre portée, un journalisme honnêtement véridique est-il possible ? Certainement, à la condition expresse qu’il se rapproche humblement de l’inaccessible objectivité en nommant sa propre subjectivité, qu’il se défasse de ses habitudes de pensée, de perception et de langage, qu’il reste constamment critique envers lui-même dans l’observation des situations et des événements de sorte que la vérité, toujours supérieure à lui, ait une chance d’éclairer son discernement. N’est-ce pas à quoi Jésus nous invite tous dans chacune de ses paraboles : à cultiver notre liberté de conscience qui, si elle demeure incapable de produire la vérité, a l’insigne privilège de pouvoir s’en nourrir.

Le comité de rédaction